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chose renferme de vrai. Je n'ai pas besoin de développer davantage ma pensée; ce sujet a été déjà traité dans mes Méditations métaphysiques, et on en verra de solides explications dans ce qui suit, (V. App.)

31. Dieu ne veut pas nous tromper, et cependant nous le sommes très-souvent; nous devons donc chercher l'origine et la cause de nos erreurs, afin d'apprendre à les éviter; nous verrons qu'elles viennent moins de l'intelligence que de la volonté; nous verrons qu'elles ne sont pas des choses qui demandent, pour être produites, le concours actuel de Dieu. Relativement à Dieu, nos erreurs sont seulement des négations de la vérité; relativement à nous, elles sont des imperfections:

32. Car toutes les façons de penser que l'expérience nous montre en nous se peuvent réduire à deux générales: d'une part, perception ou opération de l'intelligence; de l'autre, volition ou opération de la volonté. Sentir, imaginer, concevoir des choses purement intelligibles, sont les divers modes de l'entendement; le désir, l'aversion, l'affirmation, la négation, le doute, sont ceux de la faculté de vouloir (1).

(1) Voyez à l'Appendice un très-beau passage, extrait de Bossuet, sur la théorie de l'entendement. C'est un supplément que l'on a cru nécessaire à cette question, qui est celle du spiritualisme, et que Descartes ne traite ici qu'en passant.

33. Lorsque nous avons une perception pure, sans affirmation ni négation, il est évident qu'il ne peut y avoir d'erreur, ni même lorsque nous affirmons ou nions d'une perception parfaitement claire et distincte; l'erreur ne peut exister que dans le cas où nous portons un jugement sur ce dont nous n'avons pas une exacte connoissance. (V. App.)

34. J'avoue que le jugement exige nécessairement le concours de l'entendement; car on ne peut juger de rien, s'il n'y a pas eu auparavant une perception; mais il exige aussi la volonté pour donner l'assentiment à ce qui a d'abord été perçu; non pas cependant qu'il faille, pour former un jugement tel quel, une perception de l'objet entière et complète; car très-souvent nous donnons notre assentiment à des choses dont nous n'avons qu'une connoissance obscure et confuse.

35. L'entendement ne s'étend qu'à ce petit nombre d'objets qui se présentent à lui, et sa connoissance est toujours très-limitée; au lieu que la volonté, en quelque sorte, peut sembler infinie, parce que nous n'apercevons rien à quoi notre volonté ne puisse s'étendre; et tout ce que la volonté de chaque homme peut atteindre, tout ce que l'immensité de la volonté divine peut embrasser, appartient également à notre volonté individuelle; tellement, qu'il nous est facile de

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porter l'exercice de cette faculté au-delà de nos perceptions claires, et lorsque nous en abusons de la sorte, il n'est pas étonnant qu'il nous arrive de nous méprendre (1).

36. Or, quoique Dieu ne nous ait pas donné un entendement capable de tout connoître, nous ne devons pas nous figurer pour cela qu'il soit l'auteur de nos illusions; nous nous trompons, parce qu'une intelligence créée est essentiellement finie, et qu'une intelligence finie ne peut s'étendre à tout.

37. Au contraire, il est de la nature de la volonté qu'elle ait une très-grande étendue; et la plus parfaite prérogative de l'homme consiste en ce qu'il agit volontairement, c'est-à-dire librement, en ce qu'il est tellement l'auteur de ses actions, que, par elles, il mérite ou démérite, suivant l'usage qu'il fait de sa volonté. Personne ne s'avise de louer des automates qui exécutent bien les mouvemens auxquels ils ont été dressés, parce que c'est pour eux une nécessité de les faire ainsi; mais on vante l'artiste habile qui en est l'inventeur, parce qu'en lui, tout son art, loin d'être l'effet d'une aveugle nécessité, est au contraire

(1) J'insiste également pour recommander la lecture d'un court fragment des lettres de Descartes, où l'on voit le système de ce philosophe sur la puissance de la volonté humaine. Suivant Descartes, la propriété essentielle de l'âme est dans l'activité, et l'activité consiste dans la volonté.

produit par le libre exercice de sa volonté. Par l même raison, nous avons quelque mérite de plu: d'embrasser la vérité, lorsque nous la distinguons d'avec le faux par une détermination de notre volonté, que si nous y étions déterminés et contraints loi nécessaire de notre nature. par une 38. Or, si nous tombons souvent dans de graves erreurs, il faut en accuser le mauvais usage que nous faisons de notre liberté : ce n'est jamais le défaut ne notre nature, qui reste toujours la même, soit que nous portions des jugemens vrais ou faux. Dieu sans doute eût pu accorder à notre intelligence une si puissante pénétration, que nous n'eussions jamais été sujets à faillir; mais nous n'avons pour cela aucun droit de nous plaindre de lui. On blâme un homme, et on le regarde comme coupable, lorsque, pouvant empêcher un mal, il ne l'empêche pas. Il n'en peut être de même à l'égard de Dieu; en souffrant que nous soyons trompés, il n'est pas la cause de nos illusions; car la puissance a été donnée aux hommes les uns sur les autres, à la charge dé se préserver mutuellement du mal; mais celle que la Divinité exerce sur toutes les créatures est, au suprême degré, absolue et libre. Nous devons donc à Dieu de suprêmes actions de grâce pour tous les biens qu'il nous a faits, et nous ne l'accuserons pas pour ceux que nous savons qui nous manquent, et qu'il auroit pu nous accorder.

39. Au reste, il est si évident que nous possédons une volonté libre, que nous sommes libres, sur mille objets divers, d'accorder ou de refuser notre assentiment, que cette notion sera comptée au nombre des notions primitives, et qui sont innées en nous : c'est ce qui a été rendu manifeste au commencement de cet ouvrage. Nous étant placés dans le doute universel, nous en sommes venus jusqu'à imaginer l'auteur de notre origine employant toutes les voies de sa toute-puissance pour nous tromper; mais toujours nous apercevions en nous une liberté si grande, que nous pouvions nous empêcher de croire ce que nous ne connoissions pas encore très-clairement; et certes on peut croire à la certitude la plus inébranlable de ce dont nous ne pouvions douter, dans le temps même où nous avions cessé de croire à toutes nos connoissances. (V. App.)

40. Nous connoissons Dieu, ainsi que l'immensité de sa puissance, telle que rien ne peut se passer dans notre âme qui n'ait été préordonné par lui. Penser autrement, seroit un blasphème. Ici pourtant nous tomberons dans de grandes difficultés, si nous essayons de comprendre et de concilier le libre arbitre de l'homme et la préordination divine.

41. Nous nous débarrasserons aisément de ces difficultés, si nous n'oublions pas que notre esprit a des limites, et que la puissance de Dieu,

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