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la nuit, faisons le guet, patrouilles et sentinelles. Bon Dieu! que c'est un métier plaisant à ceux qui en sont apprentifs! » La moitié des habitants était sans doute, au fond du cœur, restée fidèle au roi et faisait des voeux pour être délivrée du fléau de la Ligue; mais personne n'osait exprimer ou laisser soupçonner de pareils sentiments, dans la crainte d'être mis à mal par les ligueux, emprisonné, rançonné et même assassiné.

Le matin du 2 août (1589) le bruit se répandit tout à coup dans Paris que le roi Henri III avait été tué, la veille, par un moine jacobin. Celui qui en apporta la première nouvelle à la duchesse de Montpensier (Catherine-Marie de Lorraine) et à sa mère madame de Nemours, fut reçu comme un sauveur : la duchesse, lui sautant au cou et l'embrassant, s'écriait : « Ah! mon ami, sois le bien venu! Mais est-il vrai au moins? Ce méchant, ce perfide, ce tyran est-il mort? Dieu! que vous me faites aise? Je ne suis marrie que d'une chose : c'est qu'il n'a su, devant que de mourir, que c'étoit moi qui l'avois fait tuer! » C'était la duchesse de Montpensier, qui, au moyen de toutes les séductions et de tous les artifices que lui suggérait son implacable haine contre le roi, avait, dit-on, poussé et déterminé un jeune moine du couvent des Jacobins, nommé Jacques Clément, à se faire régicide et à sacrifier sa vie, comme un martyr, pour frapper le tyran. Les prédicateurs n'appelaient pas autrement Henri III, depuis le meurtre du duc de Guise et du cardinal de Lorraine aux États de Blois, et tous les jours, en chaire, ils invitaient leurs auditeurs à se rendre agréables à Dieu et à mériter la félicité éternelle, en immolant cet Hérode, dont la mort serait si utile à la religion et à la France. Mme de Montpensier annonça, pour témoigner sa joie, qu'elle porterait le deuil vert, « qui est la livrée des fous, » dit Pierre de l'Estoile, et distribua des écharpes vertes à tous ses domestiques. Elle monta en carrosse avec sa mère et se fit promener par la ville, en criant à haute voix : « Bonnes nouvelles, mes amis! Le tyran est mort! Il n'y a plus de Henri de Valois en France! » La mère et la fille se rendirent aux Cordeliers, et entrèrent dans l'église, suivies d'une foule de peuple, qu'elles haranguèrent, du haut des degrés du grand autel, en excitant leur auditoire fanatique à

prier Dieu pour le bon moine frère Jacques Clément, qui avait fait justice du cruel tyran, Henri de Valois, excommunié. Les églises étaient pleines de gens qui adressaient au ciel des actions de grâces; toutes les cloches sonnaient en carillon, et les prédicateurs, en chaire,

Icy fevoit come Héryde Vallois aefté misamort par vn Relig

icux de l'ordre des freres Prefcheurs,dit Iacobins, luy prefentant vne
lettre d'vn politique de cefte ville de Paris."

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N. B. L'estampe ci-dessus fait partie de la nombreuse collection des gravures populaires représentant la scène du meurtre. Le fanatisme ligueur respire dans les vers qui composent la légende. (Bibl. Nat., Rec. de Histoire de France; 1589-1590.)

glorifiaient la sainte et vertueuse action de l'assassin du roi. Déjà les faiseurs de libelles et de poésies diffamatoires se mettaient à l'œuvre, et le lendemain même on vendait dans les rues ces écrits abominables contre la mémoire du roi, avec quantité de placards accompagnés de gravures représentant l'assassinat et différents épisodes de cet horrible événement. On ignorait encore que Henri de Bourbon avait été proclamé roi de France, à titre de successeur légitime de son cousin et beau-frère Henri III.

Quand ce malheureux prince se sentit blessé mortellement, le 1er août, il se confessa, reçut l'absolution, communia, et se tint prêt à faire une fin chrétienne. Il avait mandé auprès de lui le roi de Navarre, et, en l'attendant, il parlait, avec calme et résignation, aux principaux seigneurs de sa cour, rangés tristement autour de son lit; il leur disait que son plus grand regret, en mourant, était de laisser son royaume dans un si fâcheux état; qu'il avait appris, à l'école de Jésus-Christ, le pardon des injures, et qu'il ne voulait pas qu'on vengeât sa mort. Il exhorta ensuite les assistants à reconnaître, après lui, pour roi de France, le roi de Navarre, qui était son seul héritier légitime. En ce moment, Henri de Bourbon, arrivait tout ému, et s'arrêtait au seuil de la porte. Le royal moribond l'appela, et, se soulevant avec effort, lui jeta les bras au cou et le retint pressé sur son sein, les yeux levés au ciel, comme s'il eût prié pour lui : « Soyez certain, mon cher beau-frère, lui dit-il, que jamais vous ne serez roi de France, si vous ne vous faites catholique. Soit! répondit le roi de Navarre, en pleurant; que Dieu nous conserve longtemps Votre Majesté! » Toute l'assemblée fondait en larmes; on n'entendait que soupirs et sanglots. Henri III, que les écrivains et les prédicateurs de la Ligue avaient réussi à rendre odieux à ses sujets, était chéri de ses serviteurs, qui le connaissaient bien, et qui le regardaient comme le meilleur et le plus généreux des maîtres, mais ses ennemis le représentaient comme un monstre, gangrené de vices et capable de tous les crimes. Dès lors, suivant le témoignage d'un historien judicieux et impartial, « on ne vit, dans ses dévotions, que leur bizarrerie; dans ses libéralités, que leur profusion; dans sa patience, qu'un excès de timidité; dans sa politique trop circonspecte, que de la fraude et de la mauvaise foi. On commença par le mépriser, on finit par le haïr. »

Henri de Bourbon était allé, par ordre du roi, rassurer l'armée et prendre les dispositions urgentes que commandait la circonstance. Lorsqu'il revint à Saint-Cloud, vers deux heures du matin, Henri III venait d'expirer : il se jeta sur le corps inanimé de son beau-frère et l'embrassa en gémissant; puis, se relevant avec dignité, il dit à l'assistance, d'un ton solennel : « Les larmes ne le feront pas revivre. Les

« vraies preuves d'affection et de fidélité sont de le venger. Pour moi, « j'y sacrifierai ma vie. Nous sommes tous Français, et il n'y a rien «qui nous distingue au devoir que nous devons à la mémoire de << notre roi et au service de notre patrie. » Plusieurs des assistants tombèrent à ses genoux et lui baisèrent la main, en signe d'adhésion et d'hommage. Mais il s'en fallait de beaucoup que le roi de Navarre fût reconnu roi de France par toute l'armée. Quelques-uns de ses conseillers, sachant le mauvais vouloir des principaux chefs royalistes, proposaient au nouveau roi de se séparer d'eux et de se replier sur la Loire avec la noblesse protestante. Henri de Bourbon repoussa cette proposition, qui lui eût fait perdre la couronne il pria ses officiers les plus habiles et les plus estimés, Guitry, Givry, d'Humières et Rosny, d'aller conférer avec les seigneurs catholiques dont les uns se refusaient formellement à reconnaître un roi huguenot, tandis que d'autres n'étaient pas éloignés de s'attacher à lui, à condition qu'il s'engageât à se faire instruire dans la religion du royaume.

Sur ces entrefaites, Harlay de Sancy vint annoncer au nouveau roi que les capitaines suisses consentaient à le servir, sans recevoir de paie, pendant deux mois. Givry, en apprenant cette bonne nouvelle, se rendit dans l'assemblée des seigneurs catholiques, et là, embrassant le genou du roi, dit à voix haute : « Sire, je viens de voir la fleur de votre brave noblesse; elle attend avec impatience vos commandements vous êtes le roi des braves et ne serez abandonné que par les poltrons. Ces paroles furent accueillies par une approbation presque générale, et Henri de Bourbon ayant dit qu'il ne retenait personne, et qu'il ne voulait avec lui que des cœurs de bonne volonté, un grand nombre de seigneurs catholiques se décidèrent « à le reconnaître pour leur roi et prince naturel, suivant les lois fondamentales du royaume, et à lui promettre service et obéissance, après lui avoir fait promettre et jurer, en foi et parole de roi, de maintenir et conserver dans son royaume la religion catholique, apostolique et romaine, en son entier, sans y innover ou changer aucune chose. >>

Toutefois, l'armée du roi se trouvant, par suite de quelques défections partielles, réduite à 15,000 hommes, avec des capitaines encore

incertains, il ne fallait plus songer au siège de Paris, d'autant que Mayenne commençait à recevoir des renforts qui devaient lui permettre de prendre l'offensive. Henri se hâta de battre en retraite, avec les troupes qui lui restaient et, après s'être retiré d'abord sur Poissy, il alla déposer le corps de son prédécesseur dans l'abbaye de Saint-Corneille de Compiègne, en attendant qu'il le ramenât dans la sépulture des

Le depart du Roy de Nauare, dubourg S. Clou & la conduite du corps de Hanry de Vallois à poilly Accompagné du defefperé Depernon Du gaftz & de Larchant & leurs allies.

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Fig. 2.

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Transport des restes de Henri III à Poissy.

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Combien cefte grand' trouppe & armee furieufe,
Par laquelle efperoit. foubz boulleverfer Paris.
L'accompagnant fera. grandemant doulloureufe
En pleurs fe font changes Leurs defelperes Ris,
El ce Roy Nauarrois qui le maine a compiegne
Preine exemple fur luy qu'ainfi ne luy en preigne

Fac-similé d'une estampe sur laquelle on lit à Paris, par R. Guérard et Nicolas Prevost, demeurant rue Montorgueil, au Bon Pasteur (Bibl. nat., Collection Hennin, t. IX, p. 60), citée dans les Droleries de la Ligue, t. IV des Mémoires-Journaux de Pierre de l'Estoile (librairie des Bibliophiles, 1878).

rois à l'abbaye de Saint-Denis. Le royaume de Henri IV ne se composait encore que de quelques villes de la Normandie, où il n'avait pas même laissé de garnison, mais il s'établit fortement dans la place de Dieppe et aux environs, où il avait formé un camp retranché, sous le canon du château d'Arques. C'est là qu'il voulait, après avoir reçu le secours d'hommes et d'argent que la reine d'Angleterre se disposait à lui envoyer, attendre l'attaque de Mayenne.

Paris avait passé de la consternation à l'allégresse et à la confiance :

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