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La reine avait donc bien mal choisi son temps pour demander au roi qu'il la fît couronner. Henri se refusa longtemps à obtempérer à cette fantaisie ambitieuse, « d'autant, dit-il à Sully, que le cœur me présage qu'il me doit arriver quelque désastre ou signalé déplaisir à ce couronnement. » Enfin il céda aux prières et surtout aux bouderies et aux violences : « Comme le roy estoit le meilleur mari du monde, il consentit au couronnement. » Henri IV, il est vrai, avait alors vis-à-vis de la reine un nouveau tort ou du moins l'apparence d'un tort à se faire pardonner; il était devenu follement épris de Charlotte de Montmorency, fille du connétable, et, pour rassurer ceux qui auraient pu s'inquiéter de cette passion peut-être plus innocente que coupable, il avait marié cette belle personne à son neveu, le prince de Condé. Mais le prince, ému des sots contes que faisait la cour à ce sujet, en prit ombrage au point de quitter la France et de se fixer en Flandre. Henri IV fut encore plus affligé qu'offensé de cette conduite injurieuse, de la part d'un prince de sa famille qu'il avait traité comme un fils. Il ne pouvait ignorer que ces manoeuvres avaient été combinées dans la petite cour étrangère de la reine.

Cherchant à faire diversion à ses chagrins domestiques, Henri jugea que le moment était bon pour entreprendre la guerre qu'il projetait depuis longtemps contre l'Autriche et l'Espagne : l'occasion s'offrait d'elle-même. La succession des États de Clèves, Juliers et la Marck était ouverte, et les princes d'Allemagne, héritiers de ces États, résistaient à l'Espagne, qui voulait s'en emparer comme faisant partie des Pays-Bas. Henri IV résolut d'intervenir dans le débat, d'après les anciens droits de la France, et pensa que cette querelle de succession devait, suivant l'expression de Sully, « donner commencement à la glorieuse et admirable entreprise, » de confédération européenne. Cette guerre devait durer trois ans, et coûter 50 millions. Les préparatifs que Sully eut l'ordre de faire le plus secrètement possible dans l'espace de quatre mois, avaient mis sur pied une armée de 25,000 hommes qui se rassemblaient en Champagne et en Dauphiné; une artillerie nombreuse et bien ordonnée allait sortir des arsenaux, avec tout le matériel nécessaire.

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On savait, à la cour, que le roi se proposait de prendre le commandement de ses troupes, peu de jours après le couronnement de la reine. Ce couronnement, qu'il redoutait au fond de l'âme et qu'il n'avait pas osé refuser à l'intraitable vanité de Marie de Médicis, fut célébré avec pompe, le 13 mai 1610, dans la basilique de SaintDenis. L'entrée solennelle de la reine à Paris était fixée au 16 mai, et le départ du roi pour l'armée, au 19 suivant.

Le lendemain du sacre, Sully, malade, n'ayant pu se rendre au Louvre, le roi lui avait fait dire qu'il irait le voir, en lui recommandant de se bien soigner. Vers les quatre heures, il se fit un grand bruit dans l'Arsenal; on n'entendait que ces exclamations douloureuses: « Ah! mon Dieu! tout est perdu et la France est détruite! » Sully sortit de sa chambre, tout déshabillé, et sa femme vint lui annoncer que le roi avait été blessé gravement d'un coup de couteau. Il se fit habiller à la hâte, après avoir ordonné à ses gentilshommes de se tenir prêts à l'accompagner. Tous montèrent à cheval et se dirigèrent avec lui vers le Louvre. La nouvelle de l'assassinat du roi s'était déjà répandue par tout Paris : « Passant par les rues, raconte Sully, c'estoit pitié de voir tout le peuple, en pleurs et en larmes, avec un triste et morne silence, ne faisant que lever les yeux au ciel, joindre les mains, battre leurs poitrines et hausser les épaules, gémir et soupirer. » Un homme à cheval passa près de Sully et lui remit un billet contenant ces mots : « Monsieur, où allez-vous? Aussi bien, c'en est fait, je l'ai vu mort, et si vous entrez dans le Louvre, vous n'en réchapperez pas non plus que lui. » Sully apprit, en chemin, les détails de l'assassinat. Le roi avait demandé son carrosse, pour aller à l'Arsenal; il y était monté avec le duc d'Épernon et six autres personnes de sa suite: il se trouvait placé, au fond du carrosse, entre M. de Montbazon et le duc d'Épernon. Le carrosse, en arrivant dans la rue de la Ferronnerie, rencontra une charrette qui l'obligea de s'arrêter près des boutiques. Il n'y avait pas de gardes autour du carrosse, mais seulement quelques valets de pied. Au milieu du désordre et du tumulte de la rue, un homme se glissa jusqu'à la portière du carrosse, et frappa le roi avec un couteau qu'il tenait ouvert

à la mair. Le coup avait percé le cœur, et le roi était mort en poussant un léger soupir. On ne s'était dans le carrosse, même aperçu, pas qu'il avait été frappé. Le duc d'Épernon donna l'ordre de retourner au Louvre. Quant à l'assassin, il ne fut reconnu que parce qu'il

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Fig. 22.

Couronnement de Marie de Médicis. L'estampe, ci-dessus reproduite, est intitulée : « Pourtraict du Sacre et du Couronnement de Marie de Médicis, Royne très chrestienne de France et de Navarre, faict à Sainct-Denis en France, le jeudy 13 de Mai 1610. J. Le Clerc excudit. L. Gaultier sculpsit. N. Bollery invenit. » (Bibl. Nat., Collection Hennin, t. XV, p. 34.)

avait gardé son couteau ensanglanté. Peu s'en fallut qu'on ne le massacrât sur la place; mais il fut arrêté et mis en lieu sûr.

Sully ayant reçu, en route, deux ou trois avis qui le dissuadèrent de pousser jusqu'au Louvre, revint à l'Arsenal et alla s'enfermer dans la Bastille, en attendant que la reine le fit appeler. Il n'a pas révélé dans ses Economies royales ce qu'il savait de l'assassinat et de l'assassin Ce diable incarné, dit-il, l'instrument duquel les autheurs des misères, désastres et calamitez de la France se sont serviz pour

exécuter leurs exécrables desseins. » Le roi avait été ramené, mort, au Louvre. « Je ne vous dis rien des pleurs de la reine, écrivait Malherbe dans une lettre qui contient les détails exacts de ce tragique et mystérieux événement, cela se doit imaginer. Pour le peuple de Paris, je crois qu'il ne pleura jamais tant qu'à cette occasion. » Pendant ce temps-là, on ne s'entretenait, au Louvre, que de l'union et alliance des couronnes de France et d'Espagne, et l'ambassadeur du roi Philippe III avait été prié d'assister au Conseil secret et caché, qui se tenait chez Marie de Médicis.

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'ASSASSIN de Henri IV se nominait François Ravaillac. C'était un homme grand et robuste, ayant la barbe rouge, les cheveux noirs et crépus, les yeux gros et caves, les narines largement ouvertes, en un mot, la physionomie sinistre. Jeune encore (il n'avait que trente-deux ans), il avait fait différents métiers sans s'attacher à aucun d'abord clerc et valet de

chambre chez un conseiller du parlement, il était devenu ensuite solliciteur de procès, maître d'école, et enfin frère convers chez les feuillants. Longtemps détenu pour dettes, il fut tourmenté dans sa prison, disait-il, par des visions diaboliques, qui laissaient après elles << des puanteurs de feu, de soufre et d'encens. » Les jésuites, qui l'écartèrent d'une de leurs maisons où il demandait à être admis, avaient

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