Page images
PDF
EPUB

parisienne, étaient invitées à cette fête extraordinaire, qui ne devait pas durer moins de sept jours entiers, et pour laquelle avaient travaillé pendant quatre mois plusieurs milliers d'artistes et d'ouvriers de toute espèce. La décoration générale du divertissement, dans les jardins de Versailles, avait exigé moins de temps et de travail. Un rond-point, auquel quatre grandes allées aboutissaient, avait été orné de quatre portiques ayant 35 pieds d'élévation et 22 pieds en carré d'ouverture, tout enrichis de festons d'or et de peintures aux armes du roi.

La cour vint se placer dans les amphithéâtres de ces portiques le 7 mai, avant 6 heures du soir. On vit paraître un héraut d'armes vêtu à l'antique : il était suivi de trois pages, dont l'un portait la lance et l'écu du roi, qui allait se montrer dans le rôle de Roger. Le duc de SaintAignan et le duc de Noailles, qui parurent ensuite, précédés de quatre trompettes et de deux timbaliers, étaient l'un maréchal de camp, l'autre juge des courses. Le roi, armé à la grecque et portant une cuirasse toute couverte de broderie d'or et de diamants, s'avança, monté sur un cheval étincelant d'or et de pierreries, à la tête de sa quadrille, où les princes et les plus grands seigneurs représentaient les fameux chevaliers Ogier le Danois, Aquilant le noir, Griffon le blanc et Roland. Un char magnifique, haut de 18 pieds et large de 24, figurait le char d'Apollon, qui avait à ses pieds les quatre Ages ou Siècles d'or, d'argent, de fer et d'airain. Le Temps conduisait ce char attelé de quatre coursiers superbes; les douze Heures du jour et les douze Signes du zodiaque marchaient des deux côtés. A la suite du char, tous les pages des chevaliers défilèrent, deux à deux, portant les lances et les écus de leurs maîtres, pendant que des pasteurs, en costume antique couleur de feu, venaient dresser la barrière pour les courses de bague. Après les compliments en vers adressés à la reine, après un dialogue entre Apollon et les quatre Siècles, la course de bague commença. Le roi s'y fit remarquer par son adresse autant que par sa grâce. Le prix des courses, consistant en une épée d'or enrichie de diamants, fut décerné au duc de la Vallière, qui vint le recevoir des mains de la reine. La nuit était venue, et tout s'éclaira, en un instant, de mille flambeaux qui remplaçaient la clarté du jour. Pendant que les quatre

[graphic][subsumed][subsumed][merged small][ocr errors]

Saisons, accompagnées de jardiniers, de moissonneurs et de vendangeurs, apportaient des fruits et des sucreries, pour la collation que le roi offrait à la reine et aux dames; Pan et Diane, accompagnés de sylvains et de nymphes chasseresses, apportaient les viandes, aux sons des instruments. Alors s'avancèrent le Printemps, monté sur un cheval d'Espagne; l'Été sur un éléphant, l'Automne sur un chameau, l'Hiver sur un ours, pour complimenter la reine. Puis, quatre déesses: l'Abondance, la Joie, la Propreté et la bonne Chère firent servir le souper par les Plaisirs, les Jeux, les Ris et les Délices. La seconde journée de la fête menaçait d'être compromise par le vent qui s'éleva et qui aurait éteint les bougies, mais le roi y mit ordre, en faisant couvrir de toiles tout le rond-point où la fête allait être concentrée ce soir-là, et 1,000 grands flambeaux chargés de grosses torches en cire blanche suppléèrent à l'absence de 4,000 bougies. On représenta la Princesse d'Élide, comédie héroïque de Molière, composée exprès pour la fête. C'étaient Roger et ses chevaliers qui of fraient la comédie aux dames. Le succès de Molière, comme mime, dans cette pièce où il jouait le rôle d'un valet de chien, dépassa tout ce qu'on en attendait : « Il faut avoir vu Molière qui dormoit sous l'habit de Lisiscas, dit un témoin oculaire de la fête, et les figures inimitables qu'il fit en s'éveillant au bruit des veneurs, pour juger de ce jeu de théâtre, dans lequel aucun de ceux qui l'ont copié depuis ne l'a jamais imité. »

La troisième journée était attribuée au ballet. La cour prit place sur les bords du grand bassin circulaire, sur lequel on avait bâti le palais d'Alcine, au milieu d'une île défendue par des animaux fantastiques. La magicienne, portée sur le dos d'un monstre marin et entourée de ses nymphes, se promena d'abord sur les eaux, pour s'assurer qu'on ne tenterait pas de délivrer les chevaliers enfermés dans son palais. Alors commença le ballet: Alcine fit paraître des géants énormes et des nains, qu'elle chargea de faire bonne garde autour de ce palais. Plusieurs chevaliers essayèrent en vain de s'échapper : ils furent vaincus par des monstres qui luttèrent avec eux. Alcine, inquiète des résultats d'une nouvelle révolte de ses prisonniers, fit appel aux esprits et ensuite aux démons, en leur ordonnant de veiller nuit et

jour. Mais, pendant que Roger et ses compagnons se désolaient de leur captivité, la sage fée Mélisse, sous la forme d'Atlas, réussit à parvenir jusqu'à Roger et lui remit l'anneau d'Angélique. Aussitôt un coup de tonnerre annonça la fin des enchantements d'Alcine : son palais fut réduit en cendres par un splendide feu d'artifice.

Les quatrième, cinquième, sixième et septième journées ne furent pas consacrées seulement à des courses de tête, où le roi brilla entre tous par son adresse, et à une loterie pous les dames; on y vit représenter les Fâcheux et le Mariage forcé de Molière, qui donna, en outre, au roi et à la cour, un avant-goût de la comédie du Tartufe, en faisant jouer les trois premiers actes de ce chef-d'œuvre, qu'on ne devait voir paraître sur la scène que deux années plus tard.

Cette fête de Versailles fut l'entretien de l'Europe entière, et tout le monde reconnut que la cour de Louis XIV était le centre des plaisirs, le modèle de toutes les cours, le séjour perpétuel du luxe, de la politesse et de la galanterie.

Louis XIV avait donné l'exemple d'une nouvelle espèce de fête de cour, qu'on essaya inutilement d'imiter dans différentes cours de l'Europe; il ne s'arrêta pas à cette première tentative qui avait si bien réussi, mais, de tous les divertissements du même genre qu'il offrit à sa cour, dans l'intervalle de huit ou dix années, aucun n'égala celui des Plaisirs de l'Isle enchantée. Ce qui n'est pas douteux, c'est que Molière fut toujours, jusqu'à sa mort, l'inspirateur, sinon le directeur officiel, des fêtes de cour, qui se succédèrent de loin en loin; mais il en laissa l'honneur à Benserade, qui recevait ses conseils d'assez mauvaise grâce, et n'osait pas contrarier les intentions du roi. Le Ballet des Muses, dansé par Louis XIV, à Saint-Germain en Laye, le 2 décembre 1666, était surtout l'œuvre de Benserade; Molière n'y avait gardé sa place qu'en se réservant deux entrées du ballet, pour y introduire sa comédie du Sicilien ou l'Amour peintre et sa Pastorale comique, où il jouait le rôle de Lycas et dansait en habit de berger, à côté du roi. Ce Ballet des Muses plut tellement à Louis XIV, qu'on le joua et dansa plusieurs fois à la cour, et toujours avec de nouveaux divertissements. Le grand divertissement de Ver

« PreviousContinue »