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délectations du temps passé en France, et nous montre nos ancêtres, qui « suivoient pas à pas maistre Gonin, qui, avec sa robbe my-partie, le nez enfariné, jouant de sa cornemuse, faisoit danser son chien courtaut, ou, par une subtilité de la main, faisoit courir sur son bras sa petite beste faite d'un pied de lièvre, qu'ils croyoient fermement estre vivante, tant ils avoient l'esprit innocent. C'estoit là le plaisir des bourgeois, ajoute l'auteur anonyme de cette curieuse comparaison du passé et du présent, et au sortir de là, pour discourir de ce qu'ils avoient veu, ils s'embarquoient dans un cabaret, où ils faisoient un gros banquet à dix-huit deniers l'escot, où la pièce de bœuf aux navets servoit de perdrix. >>

Le même ouvrage complète ainsi le tableau de la vie d'autrefois : << Pour le menu peuple et gens de boutique, ils prenoient congé les festes, pour jouer à la savatte parmy les rues ou à frappe-main (mainchaude), où les maistres et maistresses prenoient moult grand plaisir, à cause de quoy ils avoient le soir demi-setier par extraordinaire et non davantage, encores que le muids de vin ne coustoit lors que cinquante sols. Quant aux procureurs et aux avocats, qui « n'osoient à cause de leur gravité hanter le menu peuple,» ils se promenoient aussi, les jours de fête, hors des portes de la ville, sur les remparts ou au Pré-aux-Clercs, avec la robe et le bonnet carré, disputant et devisant entre eux et regardant les écoliers et les enfants qui s'amusoient à courir et à sauter. >>

Puis, à cette peinture des récréations de l'ancien temps, l'écrivain de 1622 oppose ce qu'il avait alors sous les yeux : les nobles, les officiers des cours souveraines, les bons bourgeois, méprisant la comédie comme trop commune, la paume comme trop violente, la boule comme trop vile, et allant au cours, avec le carrosse à.quatre chevaux, au petit pas, « pour deviser, chanter, rire, conter quelque nouvelle impression, voir et contempler les actions des hommes qui s'y trouvent, et, à l'exemple des plus honnestes, se rendre agréables aux compagnies. » Les marchands ne se trouvent plus dans leurs boutiques, où leur trafic se fait par commis : « Ils vivent honorablement; le matin, on les voit sur le Change (le pont au Change), vestuz à l'advantage,

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Terre-plein du Pont-Neuf et perspective des deux quais du côté du Louvre;

d'après Dien (gravure de Simonneau et A. Pérelle).

incognus pour marchands, ou sur le Pont-Neuf, devisant d'affaires; sur le Palmail (le Mail du quai des Ormes), communiquant avec un chacun; si c'est un peuple docte, ils escoutent les leçons publiques; s'ils sont devotieux, ils fréquentent mille belles églises, escoutant infinis bons prédicateurs, qui tous les jours preschent en quelque lieu où on faict feste. Si le roy est à Paris, ils prennent plaisir à voir une académie remplie de jeune noblesse instruicte à picquer, tirer des armes, à la barrière, à la bague et à mille autres exercices. >>

Le Pont-Neuf et la place Dauphine, construits sous le règne de Henri IV, furent jusqu'au milieu du dix-septième siècle la promenade la plus fréquentée de Paris et le rendez-vous des étrangers. C'était comme une foire perpétuelle, où des charlatans de tous les pays vendaient leurs drogues et leurs baumes sur des théâtres en plein vent; où les bateleurs faisaient des tours d'adresse et des exercices d'agilité; où les joueurs de marionnettes représentaient des scènes burlesques et populaires; où les vendeurs de chansons leur donnaient la vogue en les chantant eux-mêmes, avec accompagnement de violon ou de guitare; où quantité de petits marchands débitaient des objets de mercerie et de quincaillerie, en annonçant leur marchandise par de bouffonnes allocutions à la foule. Chacun de ces opérateurs (c'était le nom qu'ils se donnaient eux-mêmes) était, du matin au soir, entouré d'un cercle épais de spectateurs, parmi lesquels les chambrières ou servantes, les écoliers, les laquais et les filoux étaient toujours en majorité. Le théâtre de Tabarin, le plus célèbre de tous les tréteaux du Pont-Neuf, s'élevait au milieu du pont, et fut ensuite reporté sur la place Dauphine, parce qu'il gênait la circulation, à cause de la multitude de curieux qu'il attirait. Tabarin était le valet de Mondor, qui, habillé en médecin grotesque, vendait des poudres et des élixirs contre tous les maux, tandis que son valet lui adressait des questions ridicules ou comiques sur toutes sortes de sujets, pour faire rire la galerie. Vis-à-vis de Tabarin, devant la statue équestre de Henri IV, qu'on appelait le cheval de bronze, le Savoyard chantait et vendait les chansons plaisantes et grossières qu'il avait composées et dont il faisait aussi la musique. A côté de lui, le gros Thomas, sur un écha

faud roulant, arrachait les dents et vendait, pour cinq sous, la médecine universelle. A l'extrémité du pont, en face de la rue Guénégaud, l'Italien Biocci, dit Brioché, donnait des représentations de marionnettes, dont Polichinelle était le principal acteur automate. De l'autre côté du pont, la fontaine de la Samaritaine, avec son horloge à carillon, offrait aux promeneurs un attrait toujours nouveau, et l'assemblée était nombreuse et attentive, chaque fois que le clocheteur se mettait en mouvement pour frapper l'heure avec son

marteau.

Il y avait aussi d'autres promenades que le Pont-Neuf: ici, le jardin de Renard, qui fut joint au jardin royal des Tuileries, après avoir été longtemps le rendez-vous des gens de cour et des riches bourgeois, qui allaient y boire et manger en partie de plaisir; là, le jardin de l'Arsenal et celui de la place Royale, où l'on venait respirer le frais au printemps et en été; quant au Pré-aux-Clercs, les familles des petits bourgeois et des marchands s'y rendaient, les dimanches et fêtes, jusqu'à ce qu'il eût été entièrement couvert de maisons qui formèrent le quartier de l'Université. Mais les deux principales promenades à la mode, où défilaient lentement des carrosses et des véhicules de toute espèce, c'étaient le cours Saint-Antoine, en dehors du rempart, à partir des fossés de la Bastille, et le Cours-la-Reine, aux Champs-Élysées, lequel n'hérita de la vogue du cours Saint-Antoine qu'après le règne de Louis XIII. Ce fut Marie de Médicis qui mit à la mode ces promenades en voiture, où la cour et la riche bourgeoisie se montraient tous les jours, de quatre à six heures, tandis que le peuple ne se lassait pas de voir tant de brillants équipages, où les dames portaient le masque et tant d'élégants cavaliers qui faisaient assaut de luxe et de galanterie. En hiver, et lorsque la pluie empêchait la promenade, les oisifs et les curieux, y compris les dames, qui étaient de toutes les fêtes à Paris, allaient s'asseoir sous les galeries de la place Royale, ou se rendaient au palais, pour se promener dans la grande salle et dans la galerie des Merciers, où se trouvaient les boutiques de libraires, d'orfèvres et de marchandes de mode. Quand les foires Saint-Germain et Saint-Laurent étaient ouvertes, la foule s'y portait, dans la journée

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