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teurs); comme elles sont extrêmement ajustées et qu'elles ont une voix et des paroles gracieuses, elles ne manquent jamais de tirer tout notre argent, quoiqu'on n'ait aucune envie d'acheter. >>

Tous les marchands ne s'enrichissaient pas, mais tous vivaient de leur commerce, petits et grands, même dans les temps les plus durs et les plus difficiles. La quantité des boutiques allait toujours

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augmentant. Dans un mémoire sur le recensement de Paris vers 1682, le chancelier Michel le Tellier relevait ainsi le nombre des marchands: « Dans les six corps des marchands, dit-il, se trouvent deux mille sept cent cinquante-deux maîtres et plus de cinq mille garçons de boutique. Les classes industrielles, en général, renferment mille cinq cent cinquante et une communautés d'artisans on y compte dix-sept mille quatre-vingt-cinq maîtres, trente-huit mille compagnons, et six mille apprentis. Le nombre des tireurs de bois flotté va jusqu'à quatre cents; celui des porteurs d'eau jusqu'à six cents, et jusqu'à dix-sept cents celui des porteurs de chaises. Les crocheteurs

font un corps de deux mille quatre cents au moins. On fait état de quatre mille carrosses roulants au moins et d'autant de chevaux, et sans tout cela, de quatre cent quatre-vingt-deux mille quatre cents hommes capables de porter les armes. » Ce que le chancelier ne dit pas, c'est que les bourgeois de toutes conditions formaient la plus grande partie de ces quatre cent quatre-vingt-deux mille quatre cents hommes, qui ne pouvaient être appelés au service militaire que dans la garde bourgeoise, que les ministres de Louis XIV ne songeaient pas à remettre sur pied, au risque de voir renaître les troubles de la Ligue et de la Fronde. Il faut remarquer aussi que Michel le Tellier ne comprenait pas les marchands dans cette jeune bourgeoisie capable de porter les armes, et parmi laquelle les fils de marchands enrichis menaient le plus grand train. Tel était le président Gilbert, fils d'un marchand de toile qui avait sa boutique rue des Rats. C'est de ces fils de marchands enrichis que la Bruyère a dit : « Quel est l'égarement de certains particuliers, qui, riches du négoce de leurs pères dont ils viennent de recueillir la succession, se moulent sur les princes par leur garde-robe et par leur équipage, excitent par une dépense excessive et par un faste ridicule les traits et la raillerie de toute une ville qu'ils croient éblouir, et se ruinent ainsi à se faire mocquer de soi. Quelques-uns n'ont pas même le triste avantage de répandre leurs folies plus loin que le quartier qu'ils habitent; c'est le seul théâtre de leur vanité. »

Au commencement du règne de Louis XIV, la petite bourgeoisie tenait ses assises à la place Maubert. Comme nous l'apprend le Roman bourgeois : « C'est le centre de toute la galanterie bourgeoise du quartier, et elle est assez fréquentée, à cause que la licence du causer y est assez grande. C'est là que sur le midy arrive une caravanne de demoiselles, à fleur de corde, dont les mères, il y a dix ans, portoient le chaperon, vraie marque et caractère de bourgeoisie, mais qu'elles ont tellement rogné petit à petit qu'il s'est évanoui tout à fait. Il n'est pas besoin de dire qu'il y venoit aussi des muguets et des galans, car la conséquence en est assez naturelle. Chacune avoit sa suite plus ou moins nombreuse, selon que sa beauté ou son bonheur

les

y attiroit. » En même temps, la haute et la riche bourgeoisie se promenaient au Cours-la-Reine, ou bien se réunissaient au jardin des Tuileries, où « l'art a fait tous ses efforts pour le rendre digne d'une⚫ infinité de personnes considérables qui le fréquentent, d'un grand nombre de belles dames qui l'embellissent, et d'une quantité extrême d'honnêtes gens qui s'y promènent toujours. » Le Sicilien nous a laissé une charmante description de cette promenade, qui avait lieu tous les

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jours de l'été, tandis que l'entrée du jardin était interdite aux laquais et à la canaille. « On voit là, dit-il, étalé dans les habits tout ce que le luxe peut inventer de plus tendre et de plus touchant. Les dames, avec des modes toujours nouvelles, avec leurs ajustements, leurs rubans, leurs pierreries et les agréables manières de s'habiller, étalent dans les étoffes d'or et d'argent les applications de leur magnificence. Les hommes, de leur côté, aussi vains que les femmes, avec leurs plumes et leurs perruques blondes, y vont chercher à plaire et à prendre les coeurs... Dans ce lieu si agréable, on raille, on parle d'amour, de nouvelles, d'affaires et de guerre. On décide, on critique, on dispute, on se trompe les uns les autres, et avec cela tout

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le monde se divertit. » Le jardin des Tuileries avait dès lors remplacé, pour la promenade des belles et des galants, le jardin de la place Royale, qui était, du temps de Louis XIII, le rendez-vous favori de la bonne bourgeoisie parisienne.

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Es Français, et surtout les Parisiens, à la fin du seizième siècle, étaient restés aussi badauds qu'ils l'avaient toujours été. Pierre de l'Estoile, qui l'était autant que personne en sa qualité de Parisien, leur donnait souvent, dans ses Mémoires-journaux, cette épithète, dont la voix publique avait fait un sobriquet connu de toute l'Europe. Cinquante ans plus tard, le grand Corneille disait de Paris, dans sa comédie du Menteur: « Il y croît des badauds autant et plus qu'ailleurs. >>

En effet, pour le peuple de Paris, tout était spectacle, tout était sujet de curiosité et de plaisir des yeux et des oreilles. Il ne fallait, suivant un dicton proverbial, pour faire foule dans les rues de cette ville populeuse, qu'un singe en hoqueton et un âne porteur de cimbales. La Chasse au vieil grognard (1622), en effet, recherche quelles étaient les

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