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CHAPITRE DEUXIÈME

HENRY IV ET SULLY

Caractère de Henri IV.

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Administration et réformes de Sully. L'assemblée des notables à Rouen. Siège d'Amiens et traité de Vervins. - Mariage de Henri IV avec Marie de Médicis. Naissance du Dauphin. Trahison et châtiment du maréchal de Biron. Intrigues de cour et querelles de ménage. Attentat de Ravaillac; mort de Henri IV.

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Couronnement de la reine.

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ENRI IV ne fut connu et apprécié dignement qu'après sa mort. Sans doute Pierre de l'Estoile, qui se faisait l'écho sincère et naïf de la voix du peuple, s'écriait, au moment même où le meilleur et le plus grand des rois de France venait d'être assassiné par Ravaillac : « Les roys sont roys et Dieu est Dieu, parce que ils règnent subjects aux mesmes vices, pas

sions, infirmités et accidents que les autres hommes, et bien souvent davantage, pauvres pots de terre en la main du grand Maistre et sous sa verge, de laquelle il les rompt et brise comme le potier ses vaisseaux, toutes et quantes fois que bon lui semble : de quoy nous avons, en ceste journée, un bel exemple en la personne sacrée de nostre bon roy, prince grand, magnanime et vertueux, affable, doux et humain plus que roy qui ait esté il y a cinq cens ans en France; craint, révéré

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et aimé de ses peuples outre mesure, s'il faut ainsi parler. Dieu nous l'a osté, en son ire! »

Mais, malgré ce touchant éloge d'un contemporain, on ne saurait nier que la postérité n'ait été bien lente à formuler un jugement équitable sur ce grand roi et sur son règne. A soixante ans de distance, Tallemant des Réaux, si perspicace et si fin dans ses appréciations personnelles, osait écrire, dans ses Historiettes : « Si ce prince fut né roy de France et roy paisible, apparemment ce n'eust pas esté un grand personnage. » Il ajoutait, cependant, comme réparation d'injustice: « On n'a jamais veu un prince plus humain ny qui aimast plus son peuple; d'ailleurs, il ne refusoit pas de veiller pour le bien de son Estat. » C'est au dix-huitième siècle, c'est de nos jours surtout que les hautes et admirables qualités de Henri IV, comme roi et comme homme, ont été mises en lumière et universellement reconnues. Déjà, en 1761, Voltaire, dont le jugement était si sûr et si délicat en matière d'histoire, quand il pouvait être impartial et désintéressé, jugeait ainsi le règne de Henri IV son héros favori : « Dix ou douze années du grand Henri IV, paraissent heureuses, après quarante années d'abominations et d'horreurs qui font dresser les cheveux; mais, pendant ce peu d'années que le meilleur des princes employait à guérir nos blessures, elles saignaient encore de tous côtés : le poison de la Ligue infestait les esprits; les familles étaient divisées; les mœurs étaient dures; le fanatisme régnait partout, hormis à la cour. Le commerce commençait à naître, mais on n'en goûtait pas encore les avantages; la société était sans agrément, les villes sans police; toutes les consolations de la vie manquaient, en général, aux hommes. Et, pour comble de malheur, Henri IV était haï. Ce grand homme disait au duc de Sully: Ils ne me connaissent pas; ils me regretteront en un siècle plus tard. » M. Henri Martin, s'associant à l'opinion de Voltaire, a donc pu dire avec autorité, dans son Histoire de France: « Henri IV est resté le plus grand, mais surtout le plus français des rois de France; on ne revit plus sur le trône une âme aussi nationale, une intelligence aussi libre. Personne n'a jamais senti mieux que lui le vrai rôle de notre patrie. Ce n'est pas sans raison que la

popularité du Béarnais s'est accrue parmi nous, à mesure que l'esprit moderne a grandi; ce n'est pas sans raison que le dix-huitième siècle a voulu faire de lui le héros épique de notre histoire. Les classes laborieuses n'ont jamais oublié le roi qui leur fut le plus sympathique par les manières et par le cœur, le roi qui s'occupa le plus sérieusement des intérêts du sol et du travail. »

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Fig. 13.

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Portrait de Henri IV, entouré des figures allégoriques de la Justice et de la Prudence;
d'après Théodore de Bry.

Henri IV s'était révélé et peint lui-même, dans une lettre adressée à Sully, en avril 1607; il avait alors cinquante-quatre ans : « Je perdrai plutôt, dit-il, maîtresses, amours, chiens, oiseaux, jeux et brelans, bâtiments, festins et banquets et toutes autres dépenses, plaisirs et passetemps, que de perdre la moindre occasion et opportunité pour acquérir honneur et gloire, dont les principales, après mon devoir envers Dieu, ma femme et mes enfants, mes fidèles serviteurs et mes

peuples, que j'aime comme mes enfants, sont de me faire tenir pour prince loyal, de foi et de parole, et de faire des actions, sur la fin de mes jours, qui les perpétuent et couronnent de gloire et d'honneur, comme j'espère que feront les heureux succès des desseins que vous savez, auxquels vous ne devez douter que je ne pense plus souvent qu'à tous mes divertissements. >>

Sully, à cette époque, était devenu l'ami le plus dévoué et le plus intime, le confident le plus fidèle et le plus clairvoyant de Henri IV; il fut toujours le plus sage conseiller et le serviteur le plus actif et le plus utile de son bon maître, qui n'aurait jamais fait, sans lui, les œuvres royales qu'on peut attribuer en participation à ce grand ministre. Rien n'était plus dissemblable et même opposé que les caractères, les sentiments et les idées du ministre et du roi, et pourtant l'un et l'autre, après des antagonismes et des conflits réitérés, finirent par se façonner mutuellement à une entente réciproque et par servir d'intelligence, avec le même zèle, les intérêts de la chose publique;

mais il est bien certain que ces deux grands esprits, si différents dans leurs aptitudes et leurs tendances, s'étaient comme partagé entre eux la tâche du gouvernement: Henri IV se réservait la politique et l'action militaire; Sully se concentrait dans l'administration des affaires d'État, dans la direction des finances et dans la mise en pratique de toutes les questions économiques, telles que les impôts, le commerce, l'industrie, l'agriculture, etc.

On accusait généralement Sully d'avoir un cœur dur et ambitieux, comme dit l'Estoile. « Jamais, dit Tallemant, il n'y eut surintendant plus rebarbatif. » Mais Henri IV lui pardonnait tous ses défauts et ne voyait en lui que l'ami éprouvé, l'homme d'État consommé, l'administrateur habile et incorruptible. Voici le portrait que Henri IV fit de son premier ministre en 1609 : « De M. de Sully aucuns se plaignent, dit-il, et quelquefois moy-mesme, qu'il est d'humeur rude, impatiente et contredisante; l'accusant d'avoir l'esprit entreprenant, qui présume tout de ses opinions et de ses actions et mesprise celles d'autruy, qui veut eslever sa fortune et avoir des biens et des honneurs. Or, combien que j'y reconnoisse une partie de ses dé

fauts, je ne laisse pas de l'estimer et de m'en bien et utilement servir, pource que d'ailleurs je reconnois que véritablement il ayme ma personne, qu'il a intérest que je vive, et désire avec passion la gloire, l'honneur et la grandeur de moy et de mon royaume; aussi, qu'il n'a rien de malin dans le cœur, a l'esprit fort industrieux et fertile en expédients, est grand ménager de mon bien, homme fort laborieux et diligent, qui essaye de ne rien ignorer et de se rendre capable de toutes sortes d'affaires de paix et de guerre. Bref, je vous confesse que, nonobstant toutes ses bizarreries et promptitudes, je ne trouve personne qui me console si puissamment que luy, en tous mes chagrins, ennuis et fascheries. » C'est Sully lui-même, qui a consigné, dans ses Economies royales, ces paroles du roi, telles que les lui avait rapportées un témoin auriculaire d'un entretien de Henri IV avec ses plus confidens et qualifiez serviteurs.

Maximilien de Béthune, qui ne fut créé duc de Sully qu'en 1606, s'était nommé jusque-là M. de Rosny. Son père l'avait présenté au roi de Navarre en 1571, c'est-à-dire avant sa douzième année, et il resta dans la maison de Henri de Bourbon, qui l'avait admis à son service avec une sympathique bienveillance. Mais, en 1580, ce jeune gentilhomme protestant voulut prendre congé du roi de Navarre, pour entrer au service du duc d'Alençon en Flandre; le roi l'ayant taxé de légèreté et d'ingratitude : « Sire, lui répondit Rosny, je n'ai point encore pensé à vous quitter pour cela, mais je ne laisserai d'être toujours votre serviteur, puisque mon père m'y a destiné dès ma première jeunesse et me l'a fait ainsi jurer en mourant. Un mien précepteur, nommé La Brosse, qui se mêle de prédire et de faire des nativités, m'a plusieurs fois juré, avec grands serments, qu'infailliblement vous serez un jour roi de France, et régnerez tant heureusement, que vous élèverez votre gloire et la magnificence de votre royaume au plus haut degré d'honneurs et de richesses; et que je serai des mieux auprès de Votre Majesté, laquelle m'élèvera en biens et aux plus hautes dignités de l'État. Soyez donc assuré que je vous servirai à jamais de cœur, d'affection, et très loyaument. » Le roi de Navarre n'oublia pas cette prédiction et, trois ans plus tard, il rappelait auprès de lui M. de Rosny,

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