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des gens qu'on rencontrait au théâtre ou au sermon, car tout le monde avait à peu près le même costume et le même air. « L'or et l'argent est devenu si commun, dit le Sicilien, qu'il brille sur les habits de toute sorte de personnes, et le luxe démesuré a confondu le maître avec le valet, et les gens de la lie du peuple avec les personnes les plus élevées. Tout le monde porte l'épée, ce qui les rend tous soldats, et Paris ressemble à l'Utopie de Thomas Morus, où l'on ne distinguait personne. >>

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Mœurs

Ambition de la haute bourgeoisie; lois somptuaires. La bourgeoisie après la Ligue. bourgeoises; les bourgeois de Molière. Les marchands; les jurandes. Les armoiries des corps La population bourgeoise et marchande, à la fin du dix-septième siècle.

de métiers.

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la fin du seizième siècle, la bourgeoisie, surtout celle de Paris, retrouva, grâce à la Ligue, une partie de l'importance et du pouvoir politique, qu'elle se souvenait toujours d'avoir acquis sous le règne désastreux de Charles VI, et qu'elle regrettait encore, quoiqu'elle ne les eût obtenus qu'au prix de son repos, de sa fortune et de son sang. Les nobles avaient fait

la Ligue; les bourgeois, en s'y associant imprudemment, firent les barricades et enlevèrent au roi sa capitale. Ce fut d'abord, chez ces bourgeois, devenus tout à coup maîtres de Paris, l'enivrement de la victoire, la confiance de l'orgueil satisfait; mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'ils avaient trop compté sur les bons et utiles résultats de leur révolte triomphante, quand ils se virent plus esclaves, plus opprimés, plus malheureux, qu'ils ne l'avaient jamais été sous le régime de la monarchie absolue des tyrans

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odieux, impitoyables, terribles, qui s'étaient choisis et nommés eux-mêmes pour représenter le tiers état ou le peuple, les Seize, punirent cruellement la bourgeoisie d'avoir conspiré contre la royauté et voulu détrôner Henri III. La bourgeoisie était un corps immense et presque inerte, composé d'éléments hétérogènes épars et insociables, qui comprenaient les hauts et les petits bourgeois, les bourgeois riches et pauvres, les marchands de tous états, et les gens du commun, c'est-à-dire ceux qui vivaient d'un revenu quelconque sans servir et sans travailler. Les hauts bourgeois occupaient la plupart des positions considérables au parlement et dans les cours souveraines; les petits bourgeois remplissaient également des fonctions publiques moins élevées dans la hiérarchie gouvernementale; ils avaient surtout des charges de ville, peu lucratives, mais emportant certains privilèges honorifiques; au reste, chacun s'attribuait un degré différent de supériorité dans sa caste, en raison de sa naissance, de sa famille et de sa situation pécuniaire. Il y avait, parmi les marchands en exercice, les mêmes distinctions sociales qu'entre les bourgeois proprement dits, et les gros marchands, comme les plus riches, prenaient rang au-dessus des moyens et petits marchands, qui se confondaient avec les gens du commun, mais qui n'avaient pourtant aucune affinité avec les artisans et les gens mécaniques. Ceux-ci étaient du peuple et ne se rattachaient jamais à la bourgeoisie par des liens de sympathie ou d'intérêt.

Les bourgeois et les marchands eurent donc tout à souffrir du peuple et de la populace, qui formaient la véritable armée des chefs populaires de la Ligue. C'était à eux, c'était à ces imprudents complices de la rébellion, à ces victimes inconscientes du despotisme des Seize, que s'adressait, en 1592, l'auteur du Manifeste de la France aux Parisiens: « N'avez-vous point de honte, leur disait cet auteur anonyme, qui plaidait chaleureusement la cause du Béarnais, n'avezvous point de honte, vous autres bourgeois, anciens et bons marchands, qui possédez des biens de juste acquest, qui composez la partie la plus saine et la plus entière de la cité, qui ne pouvez conserver vos familles que par un ordre et une police, de souffrir parmi vous ces poudreux

matois et ces loups ravissants, et que vous ne convenez tous, pour repurger votre ville de ces mauvais garnemens et revendiquer la seureté publique?... Combien peut demeurer debout une république où tous les ordres sont pervertis, le temple de justice pollu, les crimes impunis, l'innocence opprimée et la violence en règne; où les magistrats sont sans commandement, le peuple sans obéissance, les lois sans autorité, les gens de bien sans suffrages, et où les plus vils et les plus méchants commandent? » Cette belle et touchante allocution éveillait un écho de patriotisme dans le cœur des bourgeois découragés, et c'étaient eux, qui, un an plus tard, adressaient au duc de Mayenne ces tristes. remontrances, que Pierre Leroy avait ingénieusement formulées dans la Satire Ménippée, en présence des états de la Ligue : « Oh! que nous serions maintenant riches, si nous eussions fait cette perte!... Nous verrions nostre palais remply de gens d'honneur de toutes qualités, et la Grand-Salle, et la gallerie des Merciers pleine de peuple à toutes heures, au lieu que nous n'y voyons plus que gens de loisir se pourmener en large, et l'herbe verte qui croist là où les hommes avoient à peine espace de se remuer. Les boutiques de nos rues seroient garnies d'artisans, au lieu qu'elles sont vuides et fermées. La presse des charrettes et des coches seroit sur nos ponts, au lieu qu'en huit jours on n'en voit passer une seule que celle du légat. Nos ports de Grève et de l'École seroient couverts de basteaux pleins de bleds, de vins, de foins et de bois; nos halles et nos marchés seroient foulés de marchands et de vivres, au lieu que tout est vague et mort. Ah! combien faut-il déplorer le pitoyable estat de cette reine des cités, de ce microcosme et abrégé du monde! »

Les bourgeois de Paris, qui avaient à se reprocher d'être les vrais auteurs de la Ligue et qui en étaient les mauvais marchands, comme le disaient malicieusement les écrivains royalistes, firent les premiers amende honorable, en ouvrant les portes de la ville à Henri IV et en implorant leur pardon. Henri IV ne leur pardonna que du bout des lèvres, et il leur garda toujours rancune de leur conduite déloyale à l'égard de la royauté. Non seulement il n'augmenta pas leurs privilèges, qu'il eût plutôt diminués, mais encore il ne perdit aucune occasion

XVIIE SIÈCLE, INSTITUTIONS, - 54

de se moquer de leur vanité arrogante, et plus il témoignait de son affection pour le peuple, plus il marquait de défiance et de dédain à l'égard des bourgeois enflés de leurs prérogatives municipales. Au moment où il comparait ses devoirs de monarque à ceux d'un père

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Fig. 208. - Statue équestre de Henri IV, érigée sur le terre-plein du Pont-Neuf (1614-1635).

de famille, en disant : « S'il a soin de ses enfants, ceux-ci prospèrent; >> il promulguait l'édit de 1597, qui assujettissait les marchands à la même loi que les artisans, « comme pour abaisser la marchandise et rehausser le travail. >>

Les États généraux de 1614 rendirent à la bourgeoisie une partie de sa puissance et de son prestige. Le lieutenant civil Henri de Mesmes défendit avec fierté, contre la noblesse, les droits du tiers état, et le président de cet ordre, Robert Miron, prévôt des marchands, entouré de

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