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Pendant ce temps-là, ses ordres avaient été partout exécutés dans Paris cinquante-quatre capitaines avaient occupé le Louvre, le Palais, le grand Châtelet, les ponts et les carrefours. Tous les ligueurs qui essayaient de sortir en armes dans la rue étaient invités à rentrer dans leurs maisons, et à s'y tenir tranquilles ; ceux qui avaient fait le guet dans le quartier de l'Université, s'y trouvaient en quelque sorte prisonniers : ils tentèrent de soulever la populace de ce quartier et se portèrent, au nombre de 4,000, sur laporte Saint-Jacques, mais le comte de Brissac et le seigneur d'Humières, à la tête d'une bonne troupe d'infanterie, précédée d'une quantité de gens du peuple et d'enfants criant: Vive le roi! vive la paix! abordèrent ces ligueurs, avant qu'ils fussent organisés pour la résistance, et les dissipèrent de gré ou de force. Il y eut peu de victimes, et le roi dit, à ce sujet, qu'il aurait voulu, au prix de cinquante mille écus, racheter la vie de quelques lansquenets et de deux ou trois bourgeois, qui furent tués ou jetés à l'eau, sur le quai de l'École, par la compagnie de M. d'O. Dans tous les quartiers, le prévôt des marchands et les échevins, accompagnés de hérauts, trompettes et bourgeois à pied et à cheval, annonçaient la paix et le pardon à la foule, qui témoignait sa joie par des acclamations redoublées. Le peuple se mêlait librement aux soldats, qu'on faisait entrer dans les boutiques pour leur donner à manger et à boire. On distribuait de main en main une ordonnance imprimée, annonçant que le roi vouloit que « toutes choses passées et avenues depuis les troubles soient oubliées et défendoit d'en faire aucune recherche à l'encontre d'aucune personne, sans excepter ceux qu'on appeloit vulgairement les Seize. » Le roi avait fait inviter gracieusement le légat du pape à venir le trouver au Louvre, mais le légat refusa d'y aller et n'attendit que le moment de partir pour Rome. Le capitaine Saint-Quentin, qui commandait un corps de Wallons au service de l'Espagne, avait été envoyé, en même temps, au duc de Feria, pour lui faire savoir que le roi ne songeait pas à le retenir prisonnier avec ses troupes espagnoles et italiennes, mais qu'on ne lui accordait que trois ou quatre heures pour évacuer Paris. Le duc, qui ne pensait pas en être quitte à si bon marché, s'écria à plusieurs reprises : « Ah! grand

roi!» et promit tout ce qu'on voulut. Il sortit de Paris, dans l'après midi, avec les garnisons étrangères, par la porte Saint-Denis, et le roi, qui s'était mis à une fenêtre au-dessus de cette porte, pour les voir passer, saluait les chefs espagnols, en leur criant : « Allez! allez! re

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Fig. 11. Sortie de la garnison espagnole. Fac-similé d'une gravure de même provenance que celle de la page 37, et intitulée « Comme Sa Majesté, étant à la porte Saint-Denis, veid sortir de Paris les garnisons étrangères que le roi d'Espagne y entretenoit.» (Bibl. Nat., Rec. de l'Histoire de France, 1591-1595; Collection Hennin, t. XI, p. 20.)

commandez-moi à votre maître, mais n'y revenez plus. » Ils emmenèrent avec eux les prédicateurs de la Ligue les plus compromis, entre autres le fameux Boucher, et une cinquantaine de ligueurs, qui avaient fait trop de mal pour se croire en sûreté à Paris.

La duchesse de Montpensier et sa mère, Mme de Nemours, étaient désespérées et se tenaient cachées dans leur hôtel, pleurant, gémissant et tremblant. Le roi leur fit dire qu'elles n'avaient rien à craindre et qu'il irait les saluer, dès qu'il aurait achevé sa réconciliation avec la bonne ville de Paris. Pendant son dîner, on lui avait transmis deux

avis d'importance: il n'y prit pas garde, et, comme on les lui rappelait, pour qu'il y donnât ordre : « Je vous confesse, dit-il avec émotion que je suis si enivré d'aise de me voir où je suis, que je ne sais ce que vous me dites ni ce que je vous dois dire. » Il n'avait pas encore quitté son corselet et ses armes. On refusa de laisser entrer deux prêtres qui insistaient pour être admis en sa présence: c'étaient les fougueux prédicateurs Commelet et Lincestre; mais il consentit à les recevoir et ne les vit pas sans inquiétude s'approcher de la table pour s'agenouiller à ses pieds. Gare le couteau! dit-il, en riant. Les deux énergumènes semblaient bien calmés et honteux, en faisant amende honorable et en sollicitant leur pardon. « Priez pour moi, leur dit Henri IV, autant et mieux que vous avez prêché contre moi! » Vinrent ensuite le prévôt des marchands, les échevins, et le corps de ville, qui lui présentèrent, suivant l'usage, de l'hypocras, de la dragée et des flambeaux : le roi les remercia de ce qu'ils lui avaient déjà fait présent de leurs cœurs, et leur dit que désormais il ne voulait d'autre garde que la leur.

Le lendemain même, le roi approuva le traité que M. de Rosny avait ébauché avec M. de Villars, pour la reddition de Rouen: Villars fut nommé amiral de France et reçut 1,200,000 francs destinés à payer ses dettes, avec une pension de 20,000 écus. Le roi s'acquitta, en outre, de ses promesses à l'égard de tous ceux qui l'avaient aidé à reprendre Paris, sans coup férir; il donna, aux uns, des charges, des titres et des honneurs; aux autres, des sommes d'argent, des pensions, des abbayes et des bénéfices de toute espèce. Les seigneurs catholiques qui avaient suivi le parti de la Ligue ne demandaient qu'à l'abandonner, en faisant payer le plus cher possible leur amende honorable. Henri IV, dans la journée du 24 mars, alla voir Mme de Montpensier et Mme de Nemours, comme il le leur avait annoncé; il ne leur adressa aucun reproche et les charma par sa clémence et sa bonhomie.

Le duc de Mayenne était toujours en pourparlers avec divers agents secrets du roi, pour une entente et un accommodement, qu'il voulait faire accepter à des conditions inacceptables; à son exemple les seigneurs et les gentilshommes, qui appartenaient encore au parti de la

Ligue, ne semblaient pas éloignés de traiter aussi de leur soumission, et l'on pouvait prévoir un terme assez prochain où la Ligue deviendrait exclusivement espagnole. Le parti catholique exalté se rapprochait du roi, sans attendre la décision souveraine du saint-siège. Le 2 avril, la Sorbonne, qui s'était tenue à l'écart, vint saluer au Louvre ce roi vainqueur, qu'elle avait appelé si longtemps le Béarnais, et peu de jours après, elle lui prêta serment. Le nouveau lieutenant civil Jean Séguier avait fait supprimer publiquement tous les libelles de la Ligue, en défendant, sous peine de la vie, à tous les libraires et imprimeurs, d'en imprimer ou publier aucun. Henri IV désigna, en même temps, Pierre Pithou et Antoine Loisel, pour rechercher et déchirer, « dans les registres du Parlement, » tout ce qui y avait été inscrit d'injurieux, non seulement contre le roi régnant, mais encore pour la mémoire de Henri III. La clémence royale fut aussi complète qu'elle pouvait l'être à l'égard des ligueurs, qu'ils fissent ou non amende honorable. Quelques obstinés et incorrigibles, qui parlaient trop et qui faisaient mine de protester ou de résister, furent seuls expulsés de la capitale, avant que le roi y fit son entrée solennelle, aux flambeaux, le 15 septembre 1594, entre sept et huit heures du soir, monté sur un cheval gris pommelé, et portant un habillement de velours gris chamarré d'or, avec le chapeau gris et le panache blanc. Ce soir-là, il avait un visage fort riant et content, à voir l'empressement du peuple qui se pressait autour de lui, en criant: Vive le roi! et il mettait à chaque instant le chapeau au poing, pour saluer les dames et damoiselles qui étaient aux fenêtres. Il semblait avoir oublié que cette foule contenait plus d'un fanatique, qui pouvait cacher un couteau dans sa manche pour frapper l'hérétique, comme beaucoup de ligueurs le

nommaient tout bas.

Le 27 décembre, au retour d'un voyage que le roi avait fait en Picardie, comme il entrait tout botté, avec les seigneurs de sa suite, dans la chambre de Mme de Liancourt, un jeune homme de dix-huit ans nommé Jean Châtel, fils d'un drapier de Paris et élève du collège des jésuites, se glissa parmi les assistants, et le frappa d'un coup de couteau à la lèvre, sans avoir réussi à l'atteindre à la gorge. L'assassin, qui n'avait pas es

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sayé de s'enfuir, fut jugé, condamné, et exécuté deux jours après. Cet attentat prouvait que la Ligue subsistait toujours et n'avait pas désarmé. D'autres tentatives de régicide se succédèrent par intervalles, mais elles échouèrent toutes, jusqu'au crime de Ravaillac, qui devait enlever à la France le meilleur et le plus grand de ses rois.

Quant à la Ligue, dont le roi d'Espagne devint le chef avoué et seul intéressé, elle n'était plus qu'un pâle reflet de ce qu'elle avait été depuis la mort de Henri III, et l'on peut dire qu'elle avait perdu toutes ses forces d'expansion quand Mayenne consentit enfin, en 1598, à faire sa paix avec le roi, moyennant 820,000 écus. La destruction de la Ligue, payée à beaux deniers comptants, avait coûté à Henri IV la somme totale de 32,142,981 livres.

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