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village de la Chapelle, près de Paris; mais bientôt elle reconnut la nécessité de rentrer dans la ville avec ses sœurs de charité, et elle les logea, vis-à-vis du couvent de Saint-Lazare, dans une maison achetée des deniers de la présidente de Goussault. C'était dans cette maison que les sœurs de charité recevaient les pauvres et leur distribuaient des secours. En 1655, la congrégation des sœurs de la Charité fut approuvée par l'archevêque de Paris : elle n'obtint des lettres patentes du roi que trois ans plus tard. Mais cette congrégation, dont le vénérable créateur n'avait pas encore rédigé les statuts, était déjà répandue partout, et Mme Legras, qui, malgré son grand âge, remplissait toujours les fonctions de supérieure générale, voyait avec bonheur se multiplier par toute la France les hôpitaux et les écoles gratuites, que les filles de saint Vincent de Paul dirigeaient dans un même esprit d'inépuisable charité.

C'était bien l'esprit de charité dont les plus nobles cœurs avaient été animés pendant les épouvantables misères de la Fronde. Saint Vincent de Paul, qui s'était fait à la fois le directeur des missions religieuses et le chef des sœurs de la Charité, eut alors un émule dans cet obscur et héroïque combat de la charité chrétienne, car Charles Maignart de Bernières, maître des requêtes au parlement de Rouen, avait créé et organisé, dans les provinces désolées par la guerre et la famine, quantité d'assemblées charitables, qui trouvaient des secours pour toutes les misères. Ce fut lui qui mérita le beau nom de procureur général des pauvres. Il faisait imprimer des relations contenant tous les actes de charité dont il avait connaissance, et il répandait ces relations, tirées à quatre mille exemplaires, pour éveiller partout l'émulation de la charité : « Il s'est trouvé aussi, dit-il dans un de ces factums qu'il ne signait pas, quelques dames qui ont vendu leurs pierreries et leur vaisselle d'argent, pour satisfaire à leur devoir de chrétiennes, et la reine même, jusqu'au cabinet de laquelle ces relations ont porté le récit des maux extrêmes des provinces, donna sur-le-champ ses pendants d'oreille, qui ont été vendus 16,000 livres, action qui devroit faire rougir toutes les princesses et les dames, qui portent, quand elles se parent, ce qui suffiroit à remédier aux né

cessités pressantes de toute une province. » Il y eut, dans ces malheureux temps, par toute la France, un admirable élan de charité, provoqué par les appels suppliants des comités d'hommes, que Maignart de Bernières avait formés en province, et par les assemblées de dames que M. Vincent (c'est ainsi qu'on appelait ce saint homme) réunissait sans cesse à Paris et dans les villes où la cour faisait résidence.

Vincent de Paul avait déjà, depuis dix ans, fait passer des sommes énormes en Lorraine, en Picardie et en Champagne, pour subvenir aux besoins urgents de la population ruinée et désolée par le passage continuel des gens de guerre. C'étaient les pères et les frères de la Mission, qu'il chargeait de porter des secours en argent et en vivres dans ces provinces, que la misère avait dépeuplées ; c'étaient les filles et sœurs de la Charité qu'il y envoyait soigner les malades et recueillir les orphelins. Un de ces missionnaires de la charité, le frère Mathieu Renard, avait fait, pendant ces dix années, cinquante-trois voyages de Paris en Lorraine, à travers les plus grands périls, pour apporter le produit des aumônes que sa congrégation avait pu ramasser, et jamais il ne fut volé en route. On assure que Vincent de Paul ne distribua pas moins de 1,600,000 livres en espèces, dans la Lorraine seule. Le roi avait remis à M. Vincent, pour servir de passeport et de sauvegarde aux prêtres de la Mission, une ordonnance en date du 14 février 1651, dans laquelle il déclarait que « plusieurs personnes de la bonne ville de Paris font de grandes et abondantes aumônes, qui sont fort utilement employées par les prêtres de la Mission de M. Vincent, et autres personnes charitables envoyées sur les lieux où il y a eu le plus de ruines et le plus de mal. » Il enjoignait, en conséquence, à tous les baillis, sénéchaux, juges, prévôts et autres officiers, de prendre sous leur protection ces dignes prêtres, qui allaient exercer la charité dans des pays réduits à une affreuse misère. Vincent de Paul faisait des miracles pour sustenter et nourrir tant de monde qui mourait de faim, et il écrivait tristement à un de ses plus actifs missionnaires : « Les pauvres qui ne savent où aller ni que faire, qui souffrent déjà et qui sé multiplient tous les jours, c'est là mon poids et ma douleur. » Il en était à craindre de manquer de ressources pour la maison mère de Saint-Lazare à Paris, où il n'avait laissé que

sept ou huit prêtres et dix-huit écoliers : « De si peu de blé qu'il y a, disait-il, on en distribue tous les jours trois ou quatre setiers aux pauvres, ce qui nous est une très sensible consolation dans l'extrémité où nous sommes, et qui nous donne espérance que Dieu ne nous abandonnera pas. >>

Vincent de Paul, qui pensait à tout, et qui y suffisait pour les œuvres de charité qu'il avait prises sous ses auspices, était alors très préoccupé du sort de celle qui lui tenait le plus à cœur, l'œuvre des enfants trouvés. Un jour, en 1638, il rencontra dans la rue un mendiant qui déformait et brisait les membres d'un pauvre enfant, qu'il voulait rendre infirme pour mieux exciter la compassion publique. Vincent le lui arracha des mains et l'emporta dans ses bras, en prenant à témoin les passants de l'indigne traitement qu'un misérable infligeait à ce pauvre enfant, dont il se disait légitime possesseur, pour l'avoir acheté à la maison de la Couche. Cette vieille maison, située sur le port Saint-Landry, servait d'hospice aux enfants trouvés qu'on y amenait de tous les quartiers de la ville; là, ils n'étaient nourris que par des femmes mercenaires, qui les vendaient pour différents usages plus ou moins déplorables : la plupart de ces enfants étaient achetés par des mendiants, qui s'en servaient pour émouvoir la pitié et provoquer les aumônes. Vincent de Paul, suivi d'une foule de peuple qui le bénissait, se rendit à la maison de la Couche, et fut affligé de l'état d'abandon et de misère, dans lequel il trouva cet établissement, confié au bon vouloir d'une veuve et de deux servantes. Il apprit, en effet, que ces petits infortunés étaient vendus, souvent au prix d'un franc, et que ceux qui n'avaient pas trouvé d'acquéreur, mouraient bientôt, faute de nourriture. Aussi, les cris de ces innocentes victimes n'importunaient pas longtemps le voisinage. Indigné des horribles détails qu'il avait recueillis, Vincent de Paul rassemble les dames de charité et leur propose de créer une œuvre nouvelle, pour sauver les enfants trouvés. Toute l'assistance partage sa généreuse indignation, mais on hésite devant l'étendue des sacrifices auxquels il fallait faire face, car le nombre des nouveau-nés délaissés et exposés dans les rues ne s'élevait pas à moins de trois à quatre cents

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Sermon de saint Vincent de Paul en faveur des enfants trouvés.

D'après une gravure portant les mentions suivantes : a B. Vincentius infantium expositorum vitæ ac educationi providet. » 1 Bonnard delineavit.

Galloche pinril.

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