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cour. Le luxe, la galanterie, la vanité et la mode firent le reste. » Louis XIV avait établi en principe que les nobles devaient avoir tous les grades dans l'armée, et les bourgeois de mérite, toutes les places dans le gouvernement : « Peu à peu, dit Saint-Simon, il réduisit tout le monde à servir et à grossir sa cour, ceux-là mêmes dont il faisoit le moindre cas. Qui étoit d'âge à servir n'osoit différer d'entrer dans le service. Mais nous refusons à croire, en dépit du témoignage de Saint-Simon, que ce fût là, de la part du roi, « une autre adresse pour ruiner les seigneurs et les accoutumer à l'égalité, et à rouler pêlemêle avec tout le monde. >>

La ruine de beaucoup de maisons nobles, à cette époque, par suite des dépenses immodérées de la cour, est un fait réel, nonobstant les pensions, les récompenses et les dons que le roi ne ménageait pas, surtout dans le temps de sa grande prospérité. Mais le résultat inévitable des luttes de l'ambition, de la prodigalité et du luxe, ne fut pas, ne pouvait pas être la conséquence d'un projet, d'une intention préconçue, pour l'abaissement et la décadence de la noblesse, comme le veut Saint-Simon. « Cette dignité, dit ce terrible juge du grand roi, il ne la vouloit que pour lui et que par rapport à lui; et celle-là même relative, il la sapa presque toute pour mieux achever de ruiner toute autre et de la mettre peu à peu, comme il fit, à l'unisson, en retranchant tant qu'il put toutes les cérémonies et les distinctions, dont il ne retint que l'ombre. » Cependant le roi avait inventé lui-même une foule de petites distinctions, que les personnes de la cour étaient jalouses d'obtenir et qu'il n'accordait qu'aux privilégiés, pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire: tels étaient les logements, bien étroits et bien mesquins d'ailleurs, qu'un très petit nombre de courtisans obtenaient dans le château de Versailles; le choix qu'il faisait lui-même de ceux qui devaient l'accompagner dans ses voyages et dans ses promenades; le bougeoir qu'un courtisan devait tenir tous les soirs au coucher du roi, et enfin le justaucorps à brevet, bleu, doublé de rouge et brodé d'or, que quelques jeunes seigneurs avaient seuls le droit de porter dans toutes les cérémonies.

On doit s'étonner que Louis XIV, qui savait tout le prix que la

noblesse de cour attachait à ces distinctions honorifiques, n'ait pas donné plus d'extension et plus d'éclat aux ordres de chevalerie religieux et militaires que ses ancêtres avaient créés. Il fit attendre jusqu'en 1661 la première promotion de chevaliers du Saint-Esprit, qui eut lieu sous son règne. Il n'y avait, auparavant, qu'un très petit nombre de chevaliers, reçus sous Louis XIII, qui portaient le grand habit aux cérémonies de l'ordre, où ils allaient à l'offrande et communiaient tous. On eût dit que le roi voyait de mauvais œil ces cérémonies de l'ordre du SaintEsprit, car il supprima le grand habit, l'offrande et la communion, en nommant de nouveaux chevaliers. L'ordre de Saint-Michel était, en quelque sorte, un annexe de l'ordre du Saint-Esprit, mais la Marinière ne craignait pas de dire, dans la France triomphante, publiée en 1657 : « A présent, cet ordre est tellement avili, qu'il y a peu ou point de personnes de qualité qui veulent le porter. » L'ordre de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel n'était pas plus recherché, quoique le roi en eût donné la grande maîtrise au marquis de Dangeau, en 1693. Enfin Louis XIV se décida à créer, en ce temps-là même, un nouvel ordre de chevalerie, celui de Saint-Louis, uniquement destiné aux officiers de terre et de mer et dont il était le grand maître, mais cet ordre militaire n'était pas de ceux que les nobles se montraient fiers d'obtenir, et, dans tous les cas, ils ne le portaient jamais à la cour. Le roi, qui portait quelquefois sous son habit le grand cordon bleu de ses ordres, ne semblait pas tenir beaucoup à le voir porté par ses courtisans, lors même que ceux-ci l'auraient reçu de sa main. Ce qu'il voulait, ce qu'il exigeait, c'était la présence assidue, journalière, de tous les gens de cour, qui venaient, suivant une expression caractéristique, contempler sa gloire et adorer sa grandeur. «Non seulement, dit Saint-Simon, le roi étoit sensible à la présence continuelle de ce qu'il y avoit de distingué, mais il l'étoit aussi aux étages inférieurs. Il regardoit à droite et à gauche, à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans les appartements, dans ses jardins de Versailles, où seulement les courtisans avoient la liberté de le suivre; il voyoit et remarquoit tout le monde: aucun ne lui échappoit, jusqu'à ceux qui n'espéroient pas même être vus. Il distinguoit

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Prestation de serment, entre les mains du Roi, par M. le marquis de Dangeau, comme grand-maître de l'ordre de Saint-Lazare, le 18 décembre 1695, dans la chapelle de Versailles; gravé par Séb. Le Clerc, d'après Ant. Pezey.

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