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cances, et, dans une séance (22 septembre) où le président Viole avait exposé les dangers que pourrait courir la capitale si le parti de la cour se préparait à l'attaquer de vive force ou par la famine, le président de Blancmesnil s'écria que tout le mal venait d'un seul homme, et que le remède serait de remettre en vigueur l'arrêt de 1617, qui, après la mort du maréchal d'Ancre, avait interdit expressément de confier à un étranger l'administration du royaume. Le cardinal Mazarin avait été nommé par tous les assistants, et dès lors son nom revint dans les délibérations où le parlement ne visait qu'à humilier l'autorité royale. En même temps, on publiait à Paris une des premières mazarinades qui aient paru, et dont M. de Retz était certainement l'auteur ou l'inspirateur; elle était intitulée: Requête des trois États du gouvernement de l'Ile de France au Parlement, et ce pamphlet anonyme, où les griefs contre Mazarin s'étalaient en huit pages pleines des plus violentes invectives, s'adressait au parlement, pour le supplier de faire des remontrances à la reine « sur les grands malheurs et désordres déjà causés par le cardinal Mazarin, et sur ceux qu'il causeroit à l'avenir s'il demeuroit plus longtemps dans cette domination illégale et violente où il s'estoit establi. » Mazarin comprit qu'il ne devait pas laisser le champ libre à ses ennemis : dans les conférences qui se tenaient à Saint-Germain pour dresser un compromis entre le roi et le parlement, il écouta, il signa tout ce qu'on voulut, pourvu que son nom ne fût pas prononcé dans cet arrangement amiable qui donnait satisfaction aux exigences impérieuses du parlement; et, le 31 octobre, il ramenait la cour à Paris, sept jours après la signature, à Munster, d'un glorieux traité de paix, d'après lequel, selon les expressions emphatiques de la Gazette: «Les François pourroient dorénavant abreuver paisiblement leurs chevaux dans le Rhin, et le roi faire, de là vers l'autre bout de son royaume, plus de cinq cents bonnes lieues françoises sur ses terres. » Les habitants de Paris ne s'émurent même pas à la nouvelle de ce traité, qui rehaussait la grandeur de la France aux yeux de l'Europe: on n'était, à Paris, occupé que du retour du roi au Palais-Royal, ce qu'on regardait comme une soumission aux volontés du peuple et aux ordres du parlement.

Mazarin ne tarda pas à s'apercevoir qu'il s'était trop pressé de revenir à Paris. L'attitude de la population était plus insolente et plus menaçante que jamais, et les projets des chefs de la Fronde s'annonçaient par des bruits sinistres et par des placards incendiaires. Les libelles imprimés en cachette commençaient à pleuvoir et tombaient dans toutes les mains. Le cardinal fut le premier à reconnaître que le roi et sa mère n'étaient plus en sûreté au Palais-Royal. On décida donc que la cour quitterait Paris, pour se rendre à Saint-Germain. Le secret fut bien gardé, et, le 6 janvier 1649, à quatre heures du matin, le carrosse d'Anne d'Autriche, où se trouvaient le roi et son frère, arriva le premier au Cours la Reine : les carrosses des princes et des princesses, des ministres et des grandsofficiers de la maison royale, en un mot, de toutes les personnes de la cour, ne se firent pas attendre au rendez-vous, et deux heures plus tard tous les fugitifs étaient en sûreté dans le château de Saint-Germain, qui, malheureusement, n'avait pas été préparé pour les recevoir, à ce point que, durant plusieurs jours, la reine et ses deux fils couchèrent sur des lits de camp, tandis que les princesses et les dames de la cour couchaient sur la paille. Mais, néanmoins, tout le monde était heureux d'être hors de Paris.

rues;

Les Parisiens, à leur réveil, apprirent qu'ils n'avaient plus dans leurs murs ni roi, ni reine, ni ministres, ni princes, ni princesses, à l'exception de la duchesse de Longueville, qui était restée presque seule dans l'hôtel de Condé. Il y eut dans la ville un moment de stupeur et d'effroi. Les milices bourgeoises s'armèrent et sortirent dans les on courut d'abord aux portes de Paris pour les fermer et les garder, car le bruit se répandait déjà que le prince de Condé, accompagné des maréchaux de la Meilleraye, de Gramont, du Plessis-Praslin et de Villeroy, s'était mis en campagne, afin de tenter un coup de main sur Paris avant que la ville fût en état de défense; mais on avait beau regarder dans la plaine, on ne voyait paraître aucun corps d'armée, on n'entendait pas au loin le son des tambours et des trompettes: on se rassura. Le parlement prit des mesures, à l'effet de maintenir la tranquillité de Paris et de pourvoir à sa sûreté. Le coadjuteur avait reçu l'ordre de suivre la cour à Saint-Germain: il fit grand éclat de son obéis

sance apparente aux volontés du roi; mais, au moment où il montait en carrosse, le peuple intervint à point pour le faire rentrer à l'archevêché, en le saluant de mille acclamations. Le lendemain, un lieutenant des gardes du corps apporta au parlement, qui refusa d'en prendre connaissance, un message de la reine. C'était un ordre du roi qui transférait le parlement à Montargis. On décida que l'avocat du roi Talon et les autres gens du roi iraient à Saint-Germain, pour protester contre les calomnies dont le parlement était l'objet, mais ils n'allèrent pas au delà d'un village au-dessous de Saint-Germain : le chancelier, qui ne leur donna audience qu'après les avoir. fait attendre en plein air, par le froid et la bise, leur annonça que, si le parlement n'obéissait pas, Paris serait assiégé par les troupes royales, qui occupaient déjà Saint-Cloud, Charenton et Saint-Denis. Au retour de la députation, le parlement rendit un arrêt, qui disait que de très humbles remontrances seraient faites au roi et à la reine régente, et qui signalait comme auteur de tous les désordres de l'État le cardinal Mazarin, « le déclarant perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son Estat, lui enjoignant de se retirer de la cour en ce jour, et dans huitaine du royaume; et ledit temps passé, ordonnant à tous les sujets du roi de lui courir sus, avec défense à toutes personnes de le recevoir. » Cet arrêt fut crié à son de trompe dans tous les carrefours de Paris (8 janvier). La guerre civile était déclarée.

Pour soutenir cette guerre, il fallait de l'argent. Le parlement commença par s'imposer lui-même et fournit une contribution de 750,000 livres; les autres cours souveraines se taxèrent à proportion. On avait des armes, puisque l'Arsenal était au pouvoir du peuple. Les soldats à enrôler ne faisaient pas faute dans les classes populaires, et l'on eut bientôt formé un régiment destiné à être employé au dehors de la ville, où les milices bourgeoises devaient rester cantonnées. Les chefs arrivaient de tous côtés : le duc d'Elbeuf vint le premier se mettre au service du parlement; le prince de Conti et le duc de Longueville, qui n'avaient fait que s'arrêter quelques heures à Saint-Germain, prirent le commandement des recrues et des bourgeois, qu'on nommait déjà l'armée de Paris. Puis, la foule accueillit avec enthousiasme

son héros, le duc de Beaufort, qui, depuis son évasion du donjon de Vincennes, s'était tenu caché dans le Vendomois. Le duc de Bouillon, le maréchal de la Mothe, le prince de Conti, et beaucoup d'autres grands seigneurs, accouraient pour servir la cause du peuple. La belle du

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Fig. 52.

Anne Geneviève de Bourbon, duchesse de Longueville.
D'après une estampe signée: F. Chauueau. - N. Requesson fecit..

chesse de Longueville était l'âme de cette noblesse frondeuse. Le premier fait d'armes dont les habitants de Paris furent très fiers, avait été la prise de la Bastille, défendue par vingt-six soldats, qui fut battue en brèche par six petits canons; le gouverneur capitula, et sortit de la place avec les honneurs de la guerre; on le remplaça par le fils de Brous

sel (12 janvier). Le parlement n'avait pas perdu de temps pour l'exécution de son arrêt contre Mazarin : il ordonnait que tous ses biens meubles et immeubles fussent saisis; après quoi, il invita tous les parlements de France à sanctionner son arrêt contre « le perturbateur du repos public. » Le coadjuteur avait fait appel, par l'intermédiaire de ses agents, à toutes les plumes vénales qui voudraient participer à cet effroyable déchaînement de libelles outrageants et calomnieux, qu'on allait voir naître et se succéder sans interruption pendant quatre ans, pour vouer au mépris et à la haine des Français le ministre étranger que le roi et la reine régente s'obstinaient à conserver. Il y eut, dans ces quatre années, plus de 4,000 mazarinades, la plupart rédigées et imprimées à Paris, puis colportées par toute la France, les unes sérieuses, emphatiques, éloquentes, les autres burlesques, plaisantes et grossières, soit en vers, soit en prose, et dont l'effet fut immense au moment où elles parurent, parce qu'elles répondaient aux passions du plus grand nombre, mais dont le coadjuteur faisait justice plus tard, en disant de ces instruments de guerre civile : « Je crois pouvoir dire, avec vérité, qu'il n'y a pas cent feuilles qui méritent qu'on les lise. » On prétend que Mazarin n'avait que du dégoût et de l'indifférence pour ces pamphlets, dont l'exagération ridicule atténuait l'effet; mais on sait qu'il fut sensible au poème burlesque de la Milliade, composé par Scarron, qu'il avait pensionné généreusement, et le soin qu'il prit de faire publier par son bibliothécaire Naudé une réfutation très vive et très précise des principales attaques dirigées contre sa politique prouve combien il avait à cœur de détruire la fâcheuse impression produite par tant d'abominables libelles.

de

Cependant la cour ne voulait pas prendre au sérieux la guerre Paris. On racontait les anecdotes les plus plaisantes sur les étranges soldats que le parlement avait levés à la hâte, pour les opposer aux troupes de Condé et du duc d'Orléans; c'était la cavalerie des portes cochères, nommée ainsi parce que chaque maison ayant une porte cochère sur la rue avait dû fournir un homme et un cheval. Cette armée parisienne improvisée commençait toutefois à sortir de la ville, mais sans s'éloigner beaucoup des murailles; ses exploits se bornaient à l'enlève

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