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ce n'étaient que « risées et chansons,» tables dressées dans les rues et repas en commun; dans les églises, messes d'actions de grâces et sermons en l'honneur du bienheureux Jacques Clément, qu'on invoquait déjà comme un saint. Tous les jours, on faisait des feux de joie dans les carrefours, et l'on y brûlait des mannequins, représentant le tyran mort et le Béarnais vivant. On savait que le roi de Navarre avait la prétention de succéder à son beau-frère Henri III, mais on n'en tenait compte, et l'on espérait bien que d'un jour à l'autre Mayenne reviendrait victorieux, en traînant à sa suite l'hérétique vaincu et captif. On louait déjà des fenêtres, pour le voir conduire à la Bastille, où l'on préparait sa prison. Les royalistes et les gens paisibles n'avaient garde de se montrer dans la ville, qui était à la merci de la faction des Seize, et de la populace ligueuse qui refusait de reconnaître un roi hérétique, chef du parti huguenot. Le pape Sixte V avait lancé une bulle d'excommunication contre Henri IV, et le parlement de Languedoc, sous la pression des ligueurs, venait de décréter la peine de mort contre quiconque reconnaîtrait pour roi Henri de Bourbon, anathématisé par le saint-siège! Philippe II s'était déclaré ouvertement le protecteur de la Sainte-Union des catholiques; il ordonnait, à son lieutenant le duc de Parme, Alexandre Farnèse, non seulement d'envoyer au duc de Mayenne toutes les troupes que pourraient fournir les Pays-Bas, mais encore de se porter de sa personne en France et de combattre le roi de Navarre, qui passait à bon droit pour un habile général et pour un guerrier intrépide. Les théologiens et les prédicateurs, soudoyés par l'Espagne, parlaient ou écrivaient dans l'intérêt d'une transformation de la monarchie française, en soutenant que le pape pouvait à son gré changer les lois du royaume, délier les sujets du serment de fidélité envers leur souverain, et confier le troupeau du Christ à un pasteur plus digne de le gouverner. Les rhéteurs et les ambitieux rêvaient différentes formes de gouvernement, pour la France, où certains régents de l'Université eussent volontiers essayé de faire revivre un simulacre des républiques de l'antiquité. Les partisans de la monarchie héréditaire, constituée par la loi salique, étaient d'avis de donner la couronne au vieux cardinal

de Bourbon, qui, malade et gardé à vue dans la ville de Tours, depuis les États de Blois, n'avait pas osé protester contre les flatteurs et les intrigants qui lui décernaient le titre de Charles X. On avait même frappé des écus et des francs d'argent au coin de ce roi Charles X, et l'on vendait dans les rues de Paris son portrait gravé avec la cou

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Fig. 3 et 4. Types de monnaies et médailles frappées, pendant le siège de Paris, à l'effigie du cardinal de Bourbon sous le nom de Charles X, roi de France.

ronne royale. Ce fut là toute sa royauté; il mourut, l'année suivante, sans avoir pensé sérieusement à devenir roi de France, par la grâce de Dieu et de la Ligue.

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La fortune de Henri IV avait bien changé de face, en moins de deux mois les subsides et les soldats anglais lui étaient arrivés fort  propos, pour payer la solde arriérée de ses lansquenets et pour résister aux attaques réitérées du duc de Mayenne, qui ne parvint pas

à le faire sortir de ses lignes; enfin, l'avantage lui resta dans un dernier combat, où, armé d'une pique, « il fit merveilles », selon l'expression de l'Estoile, et fut le héros de la journée d'Arques. Fort de l'effet moral de cette journée, et sans prendre la peine de poursuivre Mayenne à travers la Picardie, le roi se hâta de revenir sur Paris, avec une armée de 20,000 hommes pourvue d'une bonne artillerie; le 30 octobre au soir, il campait dans le Pré-aux-Clercs, et surprenait le lendemain les faubourgs de l'Université, qui furent saccagés et pillés; mais la journée suivante fut moins heureuse pour ses armes. Au point du jour, un pétard, qui devait enfoncer la porte SaintGermain et livrer passage aux royaux, ne joua pas, la porte ayant été terrassée pendant la nuit; le brave La Noue essaya inutilement de s'avancer, dans le lit de la Seine, au pied de la tour de Nesle, pour gagner le Pont-Neuf: il fut contraint de rebrousser chemin et faillit se noyer avec ses gens. On signalait l'approche du duc de Mayenne, qui rentra dans Paris vers dix heures du matin : la population entière était en armes et semblait avoir retrouvé toute l'énergie de la journée des Barricades.

Henri IV ne s'éloigna pas de Paris, sans avoir présenté la bataille au duc de Mayenne, qui ne l'accepta pas. L'armée royaliste se retira sur Étampes et occupa la plupart des places qu'elle rencontra sur sa route jusqu'à Vendôme, qui se rendit à discrétion, après quelque résistance. C'est ainsi que le roi continua la campagne d'hiver, levant les impôts, prenant les villes et les châteaux forts, ménageant le paysan et rassemblant peu à peu sous ses drapeaux la noblesse des pays qu'il soumettait à la puissance royale, qui fut reconnue dans le Maine, la Bretagne, la Normandie et la moitié de l'Ile-de-France.

La Ligue perdait ainsi du terrain à chaque instant, mais ses violences ne faisaient que s'accroître dans la capitale, où la faction des Seize s'appuyait sur le fanatisme du bas clergé et des ordres religieux. Le 11 mars 1590, le serment de l'Union avait été prêté de nouveau, solennellement, dans l'église des Augustins, en présence du légat du pape, par le prévôt des marchands et les échevins, ainsi que par les colonels, capitaines, et autres officiers de la milice bourgeoise; mais, trois

jours après, Henri IV remportait, à Ivry, sur l'armée de la Ligue, cette victoire immortalisée par le souvenir de son panache blanc, victoire tant belle et insigne, que, s'il avait marché immédiatement contre Paris, la population affolée et découragée lui en eût ouvert les portes. Malheureusement Henri se laissa retarder, dans sa marche sur Paris, par des négociations sans résultat, que le légat n'avait provoquées que pour gagner du temps; le roi, d'ailleurs, bien déterminé à ne pas faire un siège en règle, mais seulement le blocus de la place, avait besoin de garder le passage des rivières, qui estoient a les clefs des vivres de Paris, dit l'Estoile, et il ne s'approcha de cette grande ville, qu'après s'être emparé de Corbeil, de Melun, de Montereau, de Lagny et du pont de Charenton. Il espérait que ses partisans déguisés, qu'on nommait les politiques, prendraient les armes, au cri de vive le roi! Mais les politiques ne remuèrent pas, quoique le roi eût fait attaquer les faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin, par le corps que commandait le brave La Noue, qui fut repoussé et blessé grièvement.

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C'est alors que Paris, fanatisé ou intimidé par les ligueurs, Paris où régnait déjà la crainte d'un siège qui devait traîner à sa suite la famine, la misère, l'épidémie et tous les maux, fut témoin d'un spectacle sans exemple: treize cents prêtres, moines et écoliers, accompagnés de quelques bourgeois, qu'on appelait catholiques zélés, firent une montre, en belle ordonnance, dans la journée du 14 mai. Guillaume Rose, évêque de Senlis, marchait en tête, comme colonel de cette étrange milice; le fougueux curé de Saint-Côme, Hamilton, faisait l'office de sergent de bataille; après eux, venaient, par compagnies, les chartreux avec leur prieur, les feuillants avec leur général, les quatre ordres mendiants et leurs chefs conventuels, tous la robe retroussée, le capuchon rabattu, la pertuisane ou l'arquebuse sur l'épaule, beaucoup coiffés de casques et revêtus d'armures; des crucifix leur servaient d'enseignes; leur bannière portait l'image de la sainte Vierge. Ils défilèrent, quatre par quatre, devant le légat, en chantant des hymnes de l'Église, qu'ils entremêlaient de salves de mousqueterie. Le légat les nomma de vrais Machabées et leur donna sa bénédiction, mais, dit l'Estoile qui assistait à cette montre en armes,

« quelques-uns d'entre eux, qui n'estoient pas bien asseurés de leurs bastons (armes à feu), par mégarde, tuèrent un des gens du légat et blessèrent un serviteur de l'ambassade d'Espagne. » Telle fut cette fameuse procession de la Ligue, qui fit tant de bruit en Europe et qui fut immortalisée par une multitude de gravures populaires et surtout par les railleries de la Satire Menippée.

ordre du gouverpar

La ville de Paris, d'après le recensement fait neur, ne renfermait, à ce moment là, que 220,000 âmes; il n'y avait du blé que pour un mois, et, dit l'Estoile, «estant bien mesnagé, » mais on pouvait compter, en outre, sur 1,500 muids d'avoine et sur diverses subsistances, qui pouvaient fournir encore le moyen de vivre pendant deux ou trois semaines, en mangeant de la chair de cheval, de mulet et d'âne. L'ambassadeur d'Espagne, Mendoça, promettait de donner chaque jour six-vingt écus de pain aux pauvres, et tous les couvents, qui avaient des provisions cachées, offraient aussi de distribuer tous les jours des portions de soupe et de pain. On fit différents essais pour mêler de la farine avec de la pâte d'avoine et des légumes secs. Dans une assemblée qui se tint chez un conseiller du Parlement, l'ambassadeur d'Espagne annonça que, le pain venant à manquer tout à fait, il n'y aurait qu'à moudre les os des morts qui remplissaient les charniers des cimetières et que cette poussière détrempée d'eau et cuite au four pourrait encore servir d'aliments; « opinion qui fut tellement reçue, dit l'Estoile, qu'il ne se trouva homme en l'assemblée qui y contredît. >> Mais, un mois plus tard, lorsqu'on voulut recourir à cette effroyable ressource, tous ceux qui goûtèrent à ce pain d'os de morts périrent empoisonnés.

Paris était alors bloqué de toutes parts, mais Henri se contentait de donner de fréquentes alertes aux assiégés : une nuit, il fit promener ses troupes autour des remparts, pour donner une aubade à sa maîtresse (ainsi qu'il appelait Paris), avec un formidable bruit de tambours, de trompettes, de hautbois et de cornets à bouquins, qui mirent la ville en alarme : « Certes, dit-il, en riant, il faut que ma maîtresse soit bien farouche, puisque ne semble ravie de la douce musique que je lui envoie pour la réjouir; » une autre fois, il fit tirer

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