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Une seule chose lui convient, que les décrets immuables de Dieu soient accomplis en elle. Mais tandis que je vous parle, Madame, il me paroît que quelque chose vous passe par l'esprit parlez hardiment et avec confiance, car il s'agit de votre salut.

La pénitente. Il s'agiroit de peu de chose, mon Père, puisque vous voulez que j'y sois si indifférente. Mais comme vous me permettez que sur les voies de mon salut, auquel je ne puis m'empêcher de prendre encore beaucoup d'intérêt, je vous expose mes doutes et mes scrupules, je vous avouerai que je faisois en moi-même une oraison dominicale à notre manière, je veux dire en l'ajustant à nos principes et à notre doctrine.

LE DIRECTEUR. Dites, ma fille : le projet en est louable.
LA PÉNITENTE. Écoutez ma composition.

LE DIRECTEUR. J'écoute.

La pénitente. Dieu qui n'êtes pas plus au ciel que sur la terre et dans les enfers, qui êtes présent partout, je ne veux ni ne desire que votre nom soit sanctifié : vous savez ce qui nous convient; si vous voulez qu'il le soit, il le sera, sans que je le veuille et le desire. Que votre royaume arrive ou n'arrive pas, cela m'est indifférent. Je ne vous demande pas aussi que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel: elle le sera malgré que j'en aie; c'est à moi à m'y résigner. Donnez-nous à tous notre pain de tous les jours, qui est votre grâce, ou ne nous la donnez pas je ne souhaite de l'avoir ni d'en être privée. De même si vous me pardonnez mes crimes, comme je pardonne à ceux qui m'ont offensé, tant mieux; si vous m'en punissez au contraire par la damnation, tant mieux encore, puisque c'est votre bon plaisir. Enfin, mon Dieu, je suis trop abandonnée à votre volonté pour vous prier de me délivrer des tentations et du péché.

pencher, ni du côté de la jouissance, ni du côté de la privation. La mort et la vie lui sont égales, et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a jamais été, elle ne peut néanmoins desirer le paradis, parce qu'elle demeure entre les mains de son époux, comme les choses qui ne sont point. Ce doit être là l'effet de l'anéantissement plus profond.» (Explication du Cantique des cantiques, chapitre VIII, verset 14, p. 209.)

LE DIRECTEUR. Je vous assure, Madame, que cela n'est pas mal le Pater noster ainsi réformé édifieroit sans doute toutes les âmes du parfait abandon, et j'ai envie de l'envoyer à nos nouvelles Églises pour être inséré dans la formule du simple regard. Qu'en dites-vous ?

La pénitente. En attendant, mon Père, que je sois aussi contente de mon oraison que je voudrois l'être, je suis bien aise que vous ne la désapprouviez pas, et encore plus d'avoir eu le loisir de vous la réciter avant que je vous souhaite le bon soir; car la nuit s'approche, et m'oblige à me séparer de vous.

LE DIRECTEUR. J'y consens, ma chère Dame; mais il ne faut plus être si longtemps sans nous voir. Vous avez besoin d'être soutenue : la moindre chose vous feroit faire une grande chute. Vous devez regarder la maison de votre mari comme un piége qui vous est tendu, et dont vous ne sauriez trop vous défier. Je vous ai déjà exhortée à la quitter; il faut faire cela sagement, et abandonner votre mari avec une prudence chrétienne. Madame, Dieu aura soin de vous, sans que vous vous en mêliez.

DIALOGUE VI.

Les quiétistes abandonnent l'Évangile, l'Église et la tradition, pour suivre ce qu'ils appellent faussement volonté de Dieu. Béatitude et purgatoire des quiétistes en cette vie. État d'union essentielle selon eux, dans lequel l'âme, pour demeurer en Dieu, n'a plus besoin de Jésus-Christ médiateur.

La pénitente. Voilà, mon Père, cet excellent ami, dont je vous ai entretenu plusieurs fois c'est mon beau-frère, de qui je vous ai promis la connoissance, l'homme du monde. après vous à qui j'ai plus d'obligation. J'espère recevoir de vous deux de pareils remerciements, de vous avoir fait connoître l'un à l'autre, et par là mis en état de vous estimer réciproquement, comme vous le devez.

Le docteur. Je souhaite, mon Révérend Père, que cette entrevue soit utile à celle qui a bien voulu la ménager. Que ma sœur apprenne de vous ou de moi, ou de tous deux ensemble, si cela se peut, les choses les plus essentielles à son salut. Nous lui devons tous deux la vérité, et moi plus particulièrement, et par l'alliance que j'ai avec elle, et par la reconnoissance sur l'honneur qu'elle me procure aujourd'hui, en me présentant à un homme de votre mérite.

Le directeur. Votre réputation, Monsieur, est venue jusqu'à moi, et par Madame votre belle-sœur, et par d'autres endroits. Votre présence promet encore des choses au delà de votre réputation : il me semble qu'avec un peu de bonne foi de part et d'autre, on peut aller loin dans l'éclaircissement de la vérité, si on la préfère du moins aux sentiments communs et aux pratiques reçues, qui n'ont pour l'ordinaire d'autre avantage sur elle que le temps et le grand nombre.

LE DOCTEUR. Que voulez-vous dire, mon Père? qu'en matière de religion, ce n'est pas assez qu'une chose, par exemple un dogme ou une maxime, pour être vraie, ait été crue de tout temps, même dès l'établissement de la religion; qu'elle ait été crue de tous ceux qui jusqu'à présent ont professé la religion?

Le directeur. Non vraiment, ce n'est pas assez.

LE DOCTEUR. Je l'ai jugé ainsi, et qu'il falloit encore pour être vraie, qu'elle fût vraie en soi.

Le directeur. Vous y êtes, et il y a du plaisir à parler à des gens comme vous.

a

LE DOCTEUR. Je vous suis obligé; mais il faudroit pourtant que vous eussiez la bonté de me dire à quelle autre marque du moins vous connoissez qu'une maxime de religion est vraie. Par exemple, ce que l'Église jusqu'à ce jour a appelé la joie du Saint-Esprit, la paix d'une bonne conscience, est, selon vous, quelque chose d'humain, et d'abominable devant Dieu par où êtes-vous persuadé que cette doctrine est véritable? et dans cette persuasion, évitez-vous cette union céleste? vous refusez-vous à cette tranquillité de l'âme, suite si naturelle de la pratique de la vertu?

LE DIRECTEUR. Je le sens mieux, Monsieur, que je ne le puis dire; ce n'est pas par entêtement, comme on pourroit se l'imaginer, que cela arrive, mais par impuissance de se mêler de soi, parce que l'on est dans un état où l'on ne se connoît plus, où l'on ne se sent plus1. Vous demanderez à une âme : « Qui vous porte à faire ou à éviter telle chose? c'est donc que Dieu vous l'a dit? qui vous a fait connoître ou entendre ce qu'il vouloit ? Je n'entends rien, je ne pense à rien connoître; tout est Dieu et volonté de Dieu2. »

a. Il y a connoissiez dans le texte.

I. ".... L'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connoit plus; elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien; il n'y a plus d'amour, de lumières, ni de connoissance. » (Livre des Torrents, partie I, chapitre 1x, no 6, p. 231.)

« Cette áme ne se sentant pas, n'est pas en peine de chercher ni de rien faire : elle demeure comme elle est, cela lui suffit. Mais que fait-elle ? Rien, rien et toujours rien. » (Ibidem, partie 1, chapitre Ix, no 9, p. 233.)

2. <«< Toutes les créatures la condamneroient que ce lui seroit moins qu'un moucheron, non par entêtement et fermeté de volonté comme on se l'imagine, mais par impuissance de se mêler de soi, parce qu'elle ne se voit plus. Vous demandez à cette âme : « Mais qui vous «< porte à faire telle ou telle chose? C'est donc que Dieu vous l'a dit, «< vous a fait connoître et entendre ce qu'il vouloit? Je ne con<< nois rien, n'entends rien; je ne pense à rien connoître, tout est

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Le docteur. Vous savez donc, mon Père, ce que c'est du moins que la volonté de Dieu ?

LE DIRECTEUR. Point du tout, Monsieur : aussi ne suis-je pas capable d'entendre nulle raison, ni d'en rendre aucune de ma conduite.

LE DOCTEUR. Que vous soutenez pourtant excellente lors que vous fuyez la paix de la bonne conscience, comme une chose abominable aux yeux de Dieu.

LE DIRECTEUR. Cela est vrai : j'agis en cela infailliblement, et je ne puis en douter, depuis que je n'ai d'autre principe que le principe infaillible.

pas

LE DOCTEUR. Qui est la volonté de Dieu ?...

Le directeuR. Cela s'entend.

LE DOCTEUR. Que vous ne connoissez néanmoins en aucune manière?

Le directeur. Je vous l'ai dit je ne sais ce que c'est que volonté de Dieu.

LE DOCTEUR. C'est trop le répéter, je l'ai bien retenu. Mais, mon Père, si les prélats de l'Église et les docteurs de la religion osoient vous apprendre cette volonté de Dieu que vous ignorez, vous enseigner la vérité, et vous détromper du mensonge?

Le directeur. Vous n'y êtes pas, Monsieur : toutes les créatures me condamneroient, que ce me seroit moins qu'un moucheron1.

LE DOCTEUR. Je vous entends, vous ne connoissez sur le fait de la religion nulle autorité sur la terre. Mais êtes-vous tous de ce sentiment? J'ai de la peine à le croire.

Le directeur. Tous sans exception: vous pouvez vous fier à moi.

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Dieu et volonté de Dieu. Je ne sais ce que c'est que volonté de « Dieu.... Aussi ne suis-je pas capable d'entendre* nulle raison, ni d'en rendre aucune de ma conduite.... J'agis cependant infailli

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blement, et ne puis douter, depuis que je n'ai point d'autre principe que le principe infaillible. » (Livre des Torrents, partie II, chapitre II, no 7, p. 256.)

1. Voyez no 60 ci-dessus. [Le numéro 60 des Dialogues est la note précédente.]

* D'en rendre, dans l'édition des Dialogues.

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