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espérance et de sa sanctification; qu'elle s'assemble dans les temples pour y faire retentir au loin les louanges de Dieu, les mêmes louanges qui ont été autrefois dictées à son prophète par le Saint-Esprit; pour y solenniser des messes publiques; pour y ouvrir les tribunaux de la pénitence, où l'on trouve la rémission de ses péchés; pour y dresser des tables des sacrés mystères, où sont admis tous les fidèles: le concours du peuple y est universel, le son des cloches, qui s'est fait entendre pendant la nuit, a réveillé la piété des chrétiens, leur a annoncé la grande solennité et les y a invités; tous perdent le sommeil, courent aux églises, y adorent Dieu dans ses mystères : vous seuls, par singularité, ou par un faux sentiment de la sublimité de votre état, dédaignant la maison du Seigneur et ceux qui la fréquentent en ces saints jours, vous présumez que c'est agir par l'esprit de Dieu et par des vues surnaturelles, que de vous renfermer dans un coin de vos maisons, et là sans y penser, ou à un Dieu fait chair, ou à un Dieu ressuscité, de vous borner seulement à ne penser à rien, ou tout au plus à Dieu présent en tous lieux; vous estimez au contraire que ceux qui suivent l'esprit de Dieu et de son Église, en s'unissant aux cérémonies et aux prières de sa liturgie, accommodées à la célébrité du jour, n'agissent que par un principe corrompu, ne font que des actions vivantes, ou (selon votre Père) mortes en effet pour le salut et pour votre justification? Cela est si ridicule et si absurde, ma sœur, je ne vous le dissimule point, que tout autre que moi, sans y répondre, hausseroit les épaules et s'en moqueroit.

I.

« Je ne sais, mon frère, lui répliquai-je, si vous m'avez

1. « Lorsque le Seigneur conduit l'âme à la contemplation*, l'esprit devient incapable de méditer la passion de JésusChrist; parce que la méditation n'étant autre chose que l'action de chercher Dieu, dès que l'âme l'a trouvé une fois, elle s'accoutume à ne le chercher que par le moyen de la volonté, et ne veut plus s'embarrasser de l'entendement. » (Molinos, Introduction à la Guide spirituelle, section III, no 24, p. 11.)

Après que nous avons médité tant d'années sur l'humanité du Sauveur du monde, il faut enfin apprendre à nous reposer en Dieu,

* Il y a ici dans le texte de Molinos : « dit sainte Thérèse. »

écoutée quand j'ai dit que les voies extraordinaires n'étoient que pour les parfaits.

- « Vous vous moquez, me dit-il; je sais que vos docteurs en font des leçons aux enfants, aux valets, aux artisans; mais j'empêcherai bien que vous ne gâtiez mes domestiques, et si j'en suis le maître, mon filleul aussi, qu'on m'a dit que vous vouliez, à huit ans au plus, jeter dans la vue confuse et indistincte de Dieu : je crois avec cela que c'est l'âge où il saura mieux s'en tirer qu'en nul autre temps de sa vie.

- << Mon fils, lui dis-je, n'est pas encore assez parfait pour cela. Quoi? lui, connoître Dieu confusément et indistinctement ?

— « Je vous entends, ma sœur : quand vous le jugerez assez parfait, ce sera alors qu'il faudra songer à le tirer de la déférence qu'il doit aux usages de l'Église, et à le dégoûter des pratiques chrétiennes. Ainsi la négligence sur ses devoirs sera une induction de la perfection de son état, et il pourroit même par vos soins monter à un tel degré, que votre directeur le dispenseroit pour toujours d'aller à confesse et de communier. »

Le directeur. C'est selon, deviez-vous lui dire; car, ma fille, si l'on sentoit en sa conscience que l'on fût dans de telles dispositions à l'égard de ces sacrements, qu'on ne pût

à qui elle nous conduit. » (Malaval, Pratique facile, partie I, p. 58.)

"...

Pour ceux qui.... sont arrivés par la grâce à la pure contemplation, où il n'y a plus de méditation, ni d'actes raisonnés, ce souvenir de Jésus-Christ est de pure foi et conçoit Jésus-Christ homme et Dieu d'une seule vue d'esprit, sans pensée quelconque qui soit distincte, si ce n'est que le Saint-Esprit nous applique quelquefois aux considérations sur la sainte humanité par la volonté divine, et non par la nôtre, qui n'agit plus, ni par notre choix. (Malaval, Pratique facile, partie I, p. 59 et 60.)

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* Cette citation est l'une de celles qui semblent faites d'après une copie mal écrite, mal lue et mal interprétée par l'éditeur. Au lieu du texte que nous avons reproduit d'après la Pratique facile, on lit dans l'ancienne édition des Dialogues: « Ceux qui sont arrivés par la grâce à la pure contemplation, où il n'y a plus de méditation, ni d'actes raisonnés, de souvenir de Jésus-Christ à l'état de pure foi, conçoivent Jésus-Christ homme-Dieu, etc. » Ces altérations ne sont évidemment point de pures fautes d'impression.

les desirer, s'y préparer et les recevoir sans propriété et activité, et qu'on fût ainsi exposé à participer aux mystères de Dieu sans motion divine, je tiens, et tous nos docteurs avec moi, qu'il n'y a point de circonstances tirées du jour, du précepte, de la bienséance ou de la nécessité, qui puissent obliger une âme fidèle à commettre un péché en usant de la confession et de la communion, et qu'elle fait mieux de s'en abstenir. Mais vous aurez, Madame, le loisir et l'occasion peut-être d'épuiser cette importante matière. Achevons l'entretien avec votre docteur.

La pénitente. Un des Messieurs de Sorbonne se fit annoncer, comme il en étoit où je vous ai dit.

- LE DIRECTEUR. Hé bien?

LA PÉNITENTE. Il ne voulut pas poursuivre en présence de son ami, et je crois par des égards pour moi; je le voulois encore moins que lui, car comme il est né éloquent et beau parleur, il rend les choses qu'il dit assez plausibles et capables de faire impression. Je voudrois, mon Père, vous le faire connoître : vous lui répondriez beaucoup mieux que moi, et je vous avouerai qu'avant de nous séparer, je lui proposai, le plus honnêtement que je pus, de vous venir voir et de vous aboucher ensemble quelque part.

Un plaisant mot de ma belle-mère là-dessus : « Vous ne sauriez mieux faire, ma fille, que de les faire trouver ensemble. Voulez-vous que ce soit ici? J'aurois le plaisir de voir mon fils l'abbé vous rendre tous deux chrétiens, vous et votre directeur. » Le directeur. Nous parlerons, Madame, de cette entrevue la première fois.

La pénitente. J'y consens, mon Père; aussi bien je crains que le récit de cette conversation ne nous ait menés trop loin, et qu'il ne vous ait peut-être un peu ennuyé.

Le directeur. Point du tout, Madame; mais puisque vous le voulez ainsi, je vous laisse partir, pourvu que vous vous engagiez à ne me rien cacher à l'avenir de telles aventures.

a. L'accord des participes est souvent négligé dans l'ancienne édition. Il y a ici mené; plus haut, p. 603, ligne 1, écouté; ci-après, p. 606, ligne 17, mis; p. 703, ligne 25, commis.

DIALOGUE V.

Les maximes des quiétistes détournent de la confession et de la pénitence. L'abandon parfait qu'ils enseignent jette dans l'indifférence pour le salut, pour les bonnes œuvres, pour les biens spirituels, pour les vices et les vertus ; il fait consentir l'âme à l'extinction de la charité et de la foi, à aimer l'état de péché, le désespoir et la damnation. Affreuses conséquences de cette indifférence absolue : qu'elle renverse les premiers principes du christianisme; qu'elle est directement opposée à toutes les demandes que l'on fait dans l'oraison dominicale.

LE DIRECTEUR. Mon Dieu, Madame! j'appréhende bien que vous ne vous soyez un peu ennuyée dans ce mauvais poste, et que le froid que vous avez souffert en m'attendant n'ait causé cet abattement et cette pâleur que je vous vois. Où sont donc ces yeux vifs et riants, ces belles couleurs qui relevoient votre teint? Je ne suis pas au moins édifié de cet air languissant que vous nous apportez vous étiez si vive et dans une si parfaite santé la dernière fois! Donnez-moi vos deux mains, que je vous fasse jurer que vous prendrez plus de soin de vous à l'avenir. Que vous est-il donc arrivé, ma chère Dame, depuis huit jours que nous ne nous sommes pas vus? Est-ce toujours ce mari? est-ce moi? votre belle-mère ? ou Monsieur son fils le docteur? Vous plaindriez-vous de moi? Car vous êtes triste, et point du tout dans votre naturel. Seroit-ce notre doctrine qui vous inquiéteroit? Est-ce que nos pratiques surpassent vos forces? Cela seroit bien extraordinaire; car pour une âme qui éprouve des peines, des langueurs et des sécheresses dans nos exercices, il y en a mille que Dieu conduit par le repos, par la douceur, et j'oserois dire, par une divine nonchalance. Y a-t-il rien de plus agréable à une jeune femme d'une complexion délicate, que de demeurer passive toute sa vie, et d'avoir même scrupule de faire pour Dieu et pour le paradis la moindre action qui puisse l'émouvoir le moins du monde, que de ne se plus tourmenter ni du passé ni de l'avenir, et pour le présent, prendre le temps comme il

:

vient', sans d'autre parti sur les actions bonnes ou mauvaises que nous faisons, que de nous en remettre pour l'événement à la volonté divine, maîtresse de nous forcer à tout le bien et à tout le mal qu'il lui plaît, suivant la diversité de ses voies et la profondeur de ses jugements? Imaginez-vous, Madame, un système de religion le plus accommodé à la portée des hommes, et qui semble fait exprès pour leur aplanir le chemin du ciel, afin qu'ils y pussent entrer doucement et sans violence seroit-il de bonne foi comparable aux suavités ineffables, aux inactions, à la paix, aux célestes voluptés dont notre doctrine est toute remplie? Ne faudroit-il pas se haïr soi-même, je veux dire son âme, son corps, ses plaisirs, sa joie, pour, connoissant nos principes et toutes leurs suites, refuser d'en profiter, et de se sauver comme en se jouant? Je vois ce que c'est, Madame : nous sommes à peine sortis de la quinzaine de Pâques, chargée encore d'un jubilé*; la prière, le jeûne, les stations, les sacrements vous auront mise en l'état où vous voilà.

La pénitente. Vous dites vrai, mon Père, en quelque manière, mais qui n'est pas celle dont vous l'entendez.

LE DIRECTEUR. Comment, ma chère fille? hé! je vous avoue

1. « L'abandon est ce qu'il y a de conséquence dans toute la voie*, et c'est la clef de [tout] l'intérieur. Qui sait bien s'abandonner sera bientôt parfait.... Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, de renoncer à toutes inclinations particulières, quelque bonnes qu'elles paroissent, sitôt qu'on les sent naître, pour se mettre dans l'indifférence, et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité; être indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels; laisser le passé dans l'oubli, l'avenir à la Providence, et donner le présent à Dieu; nous contenter du moment actuel, qui nous apporte avec soi l'ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, comme elle est commune et inévitable pour tous.» (Moyen court, Svi, p. 26, et p. 28 et 29.)

a. Le jubilé s'était ouvert, à Paris, dans l'église Notre-Dame, le lundi saint, 5 avril 1694: voyez ci-après, p. 608, lignes 4 et 5; et ci-dessus, la Notice, p. 535.

* On a imprimé : vie; il y a voie dans le Moyen court.

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