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ses, n'attendant point pour se remuer que Dieu les remue', ne songeant point à faire mourir leur propre action, remplis au contraire, comme nous disons, de propriété et d'activité, ils ne font toutes choses, les meilleures du monde, si vous le voulez, et les plus vertueuses actions, que parce qu'ils les veulent faire; ils n'évitent le péché, que parce qu'ils ont résolu de l'éviter. Ainsi, comme ils ne se vident jamais de leur propre esprit, ils sont toujours fort éloignés de se remplir de l'esprit de Dieu.

LA PÉNITENTE. En un mot, mon Père, ils travaillent beaucoup pendant toute leur vie à ne rien faire.

Le directeur. Justement, ma fille.

La pénitente. Vous dites donc, mon Père, que la propriété et l'activité qui se mêlent dans nos actions en font toute l'impureté 2 ?

Le directeur. Je le dis ainsi.

LA PÉNITENTE. C'est-à-dire que plus nous nous affectionnons à une telle vertu, à un certain exercice de piété, plus nous péchons ?

1. « L'âme.... doit se laisser mouvoir et porter par l'esprit vivifiant qui est en elle, en suivant le mouvement de son action, et n'en suivant point d'autre. » (Moyen court, S xxi, p. 81.)

« Marthe faisoit de bonnes choses, mais parce qu'elle les faisoit par son propre esprit, Jésus-Christ l'en reprit: ... « Marie, dit-il*, « a choisi la meilleure part » : la paix, la tranquillité et le repos; elle cesse d'agir en apparence pour se laisser mouvoir par l'esprit de Jésus-Christ,... et c'est pourquoi il est nécessaire de renoncer.... à ses opérations propres pour suivre Jésus-Christ. » (Ibidem, Sxx1, p. 90 et 91.)

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Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu'il nous meut. » (Ibidem, S xx1, p. 87.)

2. "....

Rien n'est opposé à Dieu que la propriété, et toute la malignité de l'homme y est posée. » (Ibidem, § xxiv, p. 122.) L'impureté, si opposée à l'union divine, est la propriété et l'activité. » (Ibidem, § XXIV, p. 124.)

« La seule propriété peut causer le péché. » (Livre des Torrents, partie II, chapitre 11, no 2, p. 253.)

* Nous corrigeons dit-on en dit-il : la faute d'impression est évidente.

LE DIRECTEUR. Sans doute.

LA PÉNITENTE. Que s'il m'arrivoit, par exemple, d'être portée violemment à donner l'aumône à un pauvre, ce seroit alors que je devrois m'abstenir de la lui donner?

LE DIRECTEUR. Continuez.

LA PÉNITENTE. Que je devrois regarder cela comme une tentation?

Le directeur. Vous concluez juste.

La pénitente. Il semble donc, mon Père, que si je sentois quelque répugnance à secourir ce pauvre, ce seroit une raison pour lui ouvrir ma bourse?

LE DIRECTEUR. Il le semble en effet.

LA PÉNITENTE. Car, mon Père, je ne saurois soupçonner dans une pareille action le moindre attachement, ni la moindre propriété ?

Le directeur. Cela est vrai, ma fille.

LA PÉNITENTE. Oh! mon Père, cela est vrai. Pardonnez-moi, s'il vous plaît, mais vous me jetez dans d'horribles scrupules. LE DIRECTEUR. Comment donc ?

La pénitente. Viens-je pas de vous dire que dimanche dernier je n'entendis pas la messe ?

LE DIRECTEUR. Hé bien ?

La pénitente. Parce que je ne me sentois nulle inclination, nulle pente, rien au contraire que de la répugnance à entendre la messe, et même à me trouver à l'église ce dimanche-là ?

Le directeur. Je l'ai compris de cette manière.

LA PÉNITENTE. J'ai donc commis devant Dieu un grand péché ? Le directeur. Point du tout.

LA PÉNITENTE. Ah! mon Père, ne me flattez point; rassurez-moi, je vous en conjure.

Le directeur. Ne m'avez-vous pas dit, ma chère fille, que ce fut le jour que vous entrâtes dans l'oraison de simple regard? LA PÉNITENTE. Hélas! oui.

LE DIRECTEUR. Que Dieu, dans le silence de votre oraison, ne vous mut point sensiblement1 pour sortir de votre oratoire et aller entendre la messe ?

1. «< Saint Paul veut que nous nous laissions mouvoir par l'es

La pénitente. Je vous l'ai dit ainsi, et il est vrai.

Le directeur. Demeurez en repos, ma fille, c'est moi, et par conséquent c'est Dieu qui vous le dit vous n'avez rien fait en cela que n'ait dû faire une âme parfaitement résignée aux ordres divins. J'admire même à quel point vous avez la conscience tendre et timorée.

LA PÉNITENTE. Je respire, mon cher Père, et me voilà instruite là-dessus pour toute ma vie.

Quand donc à l'église, dans les rues d'une ville, dans un voyage ou ailleurs, un pauvre se présentera à moi, qui me conviera même au nom de Jésus-Christ de le secourir, quelque grande que me paroisse sa misère, si je reconnois en moi une grande pente à le soulager, je prendrai le parti de n'en rien

faire ?

Le directeur. Assurément, et donnez-vous-en bien de garde, sur peine de propriété et d'activité.

LA PÉNITENTE. Et s'il me prend quelque dégoût de lui, si ses demandes réitérées m'importunent, je l'aiderai contre mon gré, quelque éloignement que j'en aie?

LE DIRECTEUR. Quoi ? sans attrait et sans motion divine?

LA PÉNITENTE. Ah! dans quelle distraction je suis! Je m'en souviens, mon Père; je l'aiderai encore moins, et le renvoierai sans aumône.

Le directeur. Vous songez à autre chose, ce n'est pas tout à fait comme il en faudroit user. Il faut, ma fille, sur un fait aussi important qu'est celui de faire l'aumône ou de ne la pas faire, consulter Dieu, c'est-à-dire éprouver si l'on a en soi une motion divine de faire l'aumône.

LA PÉNITENTE. Comme j'ai fait sur le sujet de la messe ?

prit de Dieu.... L'âme.... doit se laisser mouvoir et porter par l'esprit vivifiant qui est en elle, en suivant le mouvement de son action, et n'en suivant point d'autre. » (Moyen court, S xx1, p. 8o.)

« Il faut nécessairement entrer dans cette voie, qui est la motion divine et l'esprit de Jésus-Christ.... Saint Paul.... prouve la nécessité de cette motion divine : « Tous ceux, dit-il*, qui sont poussés « de l'Esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. » Qui n'est point dans cette oraison, n'est ni juste ni enfant de Dieu. » (Ibidem, p. 92 et 93.)

* Építre aux Romains, chapitre VIII, verset 14.

Le directeur. Précisément.

La pénitente. Mais, mon Père, pendant tout le temps de la consultation, où Dieu peut faire attendre sur la réponse, et quelquefois n'en donner aucune, que deviendra le pauvre ?

Le directeur. Ce n'est pas, ma fille, ni votre affaire ni la mienne vous ne serez pas au moins exposée à rien faire par propriété et par activité, et sans aucune motion divine.

LA PÉNITENTE. Cela est bien, mon Père, et j'espère à l'avenir que je ne serai pas assez malheureuse pour exercer la moindre vertu sans toutes les circonstances requises, et celles surtout que vous me prescrivez; mais comme ce principe que vous venez de toucher est d'une conséquence infinie dans la pratique, ne trouvez pas mauvais, je vous prie, que dans le premier entretien que nous aurons ensemble, je vous en demande encore quelque éclaircissement.

Le directeur. Quand vous ne m'auriez pas, Madame, prévenu par cette demande, mon dessein étoit d'approfondir avec vous une matière de cette importance pour votre salut : ce sera quand vous me ferez l'honneur de me venir revoir; car je vois par ce que vous m'avez dit d'abord de l'état de votre domestique, que lui étant suspect, je ne puis que difficilement mettre le pied chez vous à l'avenir.

LA PÉNITENTE. J'en ai, mon Père, un regret si sensible, que c'est ce qui me rend ainsi malade. Je me recommande à vos prières.

LE DIRECTEUR. N'abandonnerez-vous jamais cette petite formule de se quitter?

LA PÉNITENTE. Je le dis par habitude.

LE DIRECTEUR. Qu'il faut perdre, Madame, je vous en conjure, et dire « Je me recommande à vous. »

DIALOGUE II.

Vue confuse et indistincte de Dieu comme présent partout, seul objet de l'eraison de simple regard. Elle exclut toute autre connoissance, toute autre pensée, tout autre acte, tout autre objet. Elle bannit la crainte des jugements de Dieu, l'espérance en sa miséricorde, et toutes les autres considérations. Sainte Thérèse opposée à cette doctrine. Stupidité dangereuse où elle conduit.

La pénitente. Je vous suppliai, mon Père, la dernière fois, de me permettre de vous faire souvenir de tout ce que vous aviez encore à m'expliquer sur la propriété et l'activité : sources, comme vous dites, de toute la malice des actions humaines, et que vous regardiez, ce me semble, comme le plus grand obstacle que l'homme pouvoit former au progrès de l'oraison de simple regard, et ensuite à la motion divine qui en est l'effet.

Le directeur. Le simple regard1, ma fille, est quelque chose de si élevé au-dessus de toute prière, de toute action sainte, et de tout exercice de religion, que je me sens obligé de

....

**

I. «<< En cette oraison de simple regard, nous pratiquons hautement la vertu sans la pratiquer: nous faisons tout sans rien faire, et nous le * faisons d'une manière si élevée, que cent autres n'en feroient pas tant en vingt années avec leurs actes redoublés et multipliés avec tant de ferveur. Une œillade simple qui nous ramasse de l'épanchement que nous pourrons avoir parmi la diversité des créatures, sous le rayon *** obscur de la Foi, qui ne laisse aucune clarté pour nous joindre à Dieu, dit plus, comprend plus, que tout ce que la méditation et l'oraison affective peuvent dire ou comprendre. » (L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, p. 93 et 94.)

*

Il y a nous la faisons, dans l'ancienne édition des Dialogues: faute d'impression sans nul doute.

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** On a imprimé pouvons dans l'ancienne édition des Dialogues. Mur, au lieu de rayon, dans l'ancienne édition. On comprend aisément que l'imprimeur ait lu mur, au lieu de raion : l'écriture souvent longue et serrée du dix-septième siècle (telle qu'était par exemple celle de la Bruyère) pouvait rendre fréquentes ces sortes de méprises.

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