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L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr de pou- 40. voir atteindre.

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse; 41. c'est-à-dire l'on aime la vie, et l'on fuit la mort. (ÉD. 5.)

C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre 42. la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et être continuellement aux prises avec soi-même pour ne la pas craindre 1. (ED. 6.)

Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres 43. non, ce seroit une désolante affliction que de mourir. (ÉD. 5.)

Une longue maladie semble être placée entre la vie et 44. la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent. (Éd. 5.)

A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui 45. est de mettre fin à la vieillesse. (Éd. 5.)

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos que celle qui la termine. (ÉD. 5.)

Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du 46. temps qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage.

La vie est un sommeil : les vieillards sont ceux dont 47. le sommeil a été plus long; ils ne commencent à se réveiller que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur

1. « La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans peril. » (Pascal, Pensées, article VI, 58.)

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tout le cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus ni actions louables qui les distinguent les unes des autres; ils confondent leurs différents àges, ils n'y voient rien qui marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils ont eu un songe confus, uniforme1, et sans aucune suite; ils sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont dormi longtemps. (ÉD. 5.)

Il n'y a pour l'homme que trois événements: naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. (éd. 4.)

Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où l'on ne vit que par instinct, à la manière des animaux, et dont il ne reste dans la mémoire aucun vestige. Il y a un second temps où la raison se développe, où elle est formée, et où elle pourroit agir, si elle n'étoit pas obscurcie et comme éteinte par les vices de la complexion, et par un enchaînement de passions qui se succèdent les unes aux autres, et conduisent jusques au troisième et dernier âge. La raison, alors dans sa force, devroit produire; mais elle est refroidie et ralentie par les années, par la maladie et la douleur, déconcertée ensuite par le désordre de la machine, qui est dans son déclin et ces temps néanmoins sont la vie de l'homme. (ÉD. 4.)

Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés; ils rient et pleurent facilement; ils ont des joies immodérées et des afflic

I. VAR. (édit. 5-8) informe. Nous suivons, selon notre coutume, la ge édition; mais on peut hésiter, croyons-nous, entre les deux leçons. Nous préférerions même informe; mais uniforme s'accorde bien aussi avec ce qui précède.

tions amères sur de très-petits sujets; ils ne veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes. (ÉD. 4.)

Les enfants n'ont ni passé ni avenir, et ce qui ne nous 51. arrive guère, ils jouissent du présent. (ÉD. 4.)

Le caractère de l'enfance paroît unique; les mœurs, 52. dans cet âge, sont assez les mêmes, et ce n'est qu'avec une curieuse attention qu'on en pénètre la différence : elle augmente avec la raison, parce qu'avec celle-ci croissent les passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dissemblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes. (ÉD. 4.)

Les enfants ont déjà de leur âme l'imagination et la 53. mémoire, c'est-à-dire ce que les vieillards n'ont plus, et ils en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et pour tous leurs amusements : c'est par elles qu'ils répètent ce qu'ils ont entendu dire, qu'ils contrefont ce qu'ils ont vu faire', qu'ils sont de tous métiers, soit qu'ils s'occupent en effet à mille petits ouvrages, soit qu'ils imitent les divers artisans par le mouvement et par le geste; qu'ils se trouvent à un grand festin, et y font bonne chère; qu'ils se transportent dans des palais et dans des lieux enchantés; que bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un grand cortége; qu'ils conduisent des armées, livrent bataille, et jouissent du plaisir de la victoire; qu'ils parlent aux rois et aux plus grands princes; qu'ils sont rois eux-mêmes, ont des sujets, possèdent des trésors, qu'ils peuvent faire de feuilles

1. VAR. (édit. 4-6): et qu'ils contrefont ce qu'ils ont vu faire. 2. VAR. (édit. 4-6): qu'ils parlent au Roi.

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d'arbres ou de grains de sable; et ce qu'ils ignorent dans la suite de leur vie, savent à cet âge être les arbitres de leur fortune, et les maîtres de leur propre félicité. (ÉD. 4.)

Il n'y a nuls vices extérieurs et nuls défauts du corps qui ne soient aperçus par les enfants; ils les saisissent d'une première vue, et ils savent les exprimer par des mots convenables on ne nomme point plus heureusement. Devenus hommes, ils sont chargés à leur tour de toutes les imperfections dont ils se sont moqués. (ÉD. 4.)

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L'unique soin des enfants est de trouver l'endroit foible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils sont soumis dès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus, et prennent sur eux un ascendant qu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait déchoir une première fois de cette supériorité à leur égard est toujours ce qui nous empêche de la recouvrer1. (éd. 4.)

La paresse, l'indolence et l'oisiveté, vices si naturels aux enfants, disparoissent dans leurs jeux, où ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie, où ils ne se pardonnent nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs fois une

1. « Quoique vous veilliez sur vous-mêmes pour n'y laisser rien voir que de bon, n'attendez pas que l'enfant ne trouve jamais aucun défaut en vous souvent il apercevra jusqu'à vos fautes les plus légères.... D'ordinaire ceux qui gouvernent les enfants ne leur pardonnent rien, et se pardonnent tout à eux-mêmes. Cela excite dans les enfants un esprit de critique et de malignité; de façon que quand ils ont vu faire quelque faute à la personne qui les gouverne, ils en sont ravis et ne cherchent qu'à la mépriser. » (Fénelon, de l'Éducation des filles, chapitre v.) - Le traité de l'Éducation des filles a paru en 1687

seule chose qu'ils ont manquée présages certains qu'ils pourront un jour négliger leurs devoirs, mais qu'ils n'oublieront rien pour leurs plaisirs. (Éd. 4.)

Aux enfants tout paroît grand, les cours, les jardins, 56.; les édifices, les meubles, les hommes, les animaux; aux hommes les choses du monde paroissent ainsi, et j'ose dire par la même raison, parce qu'ils sont petits. (ÉD. 4.)

Les enfants commencent entre eux par l'état popu- 57. laire, chacun y est le maître; et ce qui est bien naturel, ils ne s'en accommodent pas longtemps, et passent au monarchique. Quelqu'un se distingue, ou par une plus grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps, ou par une connoissance plus exacte des jeux différents et des petites lois qui les composent; les autres lui défèrent, et il se forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur le plaisir. (éd. 4.)

Qui doute que les enfants ne conçoivent, qu'ils ne 58. jugent, qu'ils ne raisonnent conséquemment? Si c'est seulement sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants, et sans une longue expérience; et si c'est en mauvais termes, c'est moins leur faute que celle de leurs parents ou de leurs maîtres. (éd. 4.)

C'est perdre toute confiance dans l'esprit des enfants, et leur devenir inutile, que de les punir des fautes qu'ils n'ont point faites, ou même sévèrement de celles qui sont légères. Ils savent précisément et mieux que personne ce qu'ils méritent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils craignent. Ils connoissent si c'est à tort ou avec raison qu'on les châtie, et ne se gåtent pas moins par des peines mal ordonnées que par l'impunité. (ÉD. 4.)

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