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il l'air important et mystérieux d'un homme revenu d'une ambassade?

Ménippe (1) est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui: il ne parle pas, il ne sent pas, il répète des sentiments et des discours, sc sert même si naturellement de l'esprit des autres, qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart-d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lastre qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et incapable de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit,il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce que les hommes en sauraient avoir: aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à desirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas, ceux qui passent le voient; et il semble toujours prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le salut ou non ;

(1) Le maréchal de Villeroi.

et pendant qu'il délibère, vous êtes déja hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête homme, l'a mis au-dessus de lui-même, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. L'on juge en le voyant qu'il n'est occupé que de sa personne, qu'il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie, qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relaient pour le contempler.

Celui qui, logé chez soi dans un palais avec deux appartements pour les deux saisons, vient coucher au Louvre dans un entresol, n'en use modestie. Cet autre, qui pour conpas ainsi par server une taille fine s'abstient du vin, et ne fait qu'un seul repas, n'est ni sobre, ni tempérant; et d'un troisième qui, importuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours, l'on dit qu'il achète son repos, et nullement qu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection.

La fausse grandeur (1) est farouche et inaccessible; comme elle sent son faible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu'autant qu'il faut pour imposer et ne paraître point ce qu'elle est, je veux dire une vraie

(1) Le maré hal de Villeroi.

petitesse. La véritable grandeur (1) est libre, douce, familière, populaire. Elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près: plus on la connaît, plus on l'admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans effort dans son naturel. Elle s'abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre, et de les faire valoir: elle rit, joue et badine, mais avec dignité. On l'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue. Son caractère est noble et facile, inspire le recpect et la confiance, et fait que les princes nous paraissent grands et très grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits.

Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même: il tend à de si grandes choses qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune, et la faveur. Il ne voit rien dans de si faibles avantages qui soit assez bon et assez solide pour remplir son cœur, et pour

mériter ses soins et ses desirs: il a même besoin

d'efforts pous ne les pas trop dédaigner. Le seul

bien capable de le tenter est cette sorte de gloire qui devrait naître de la vertu toute pure et toute

(1) Le maréchal de Turenne, tué en Allemagne d'un coup de canon, le 27 juillet 1674..

simple: mais les hommes ne l'accordent guère; et il s'en 'en passe.

Celui-là est bon qui fait du bien aux autres : s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est très-bon: s'il souffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté qu'elle ne peut être augmentée que dans le cas où ses souffrances viendraient à croître et s'il en meurt, sa vertu ne saurait aller plus loin, elle est héroïque, elle est parfaite.

CHAPITRE III.

Des Femmes.

Les hommes et les femmes conviennent rare

ment sur le mérite d'une femme: leurs intérêts sont trop différents. Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les mêmes agréments qu'elles plaisent aux hommes: mille manières qui allument dans ceux-ci les grandes passions for. ment entre elles l'aversion et l'antipathie.

Il y a dans quelques femmes une grandeur artificielle, attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux façons de marcher, et qui ne va pas plus loin; un esprit éblouissant qui impose, et que l'on n'estime que parce qu'il n'est pas approfondi. Il y a dans quelques autres une grandeur simple, naturelle, in

dépendante du geste et de la démarche, qui a sa source dans le cœur, et qui est comme une suite de leur haute naissance; un mérite paisible, mais solide, accompagné de mille vertus qu'elles ne peuvent couvrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se montrent à ceux qui ont des yeux.

J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fille, depuis treize ans jusques à vingt-deux, et après cet âge de devenir un homme.

Quelques jeunes personnes ne connaissent point assez les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur serait utile de s'y abandonner. Elles affaiblissent ces dons du ciel, si rares et si fragiles, par des manières affectées, et par une

mauvaise imitation. Leur son de voix et leur démarche sont empruntés: elles se composent, elles se recherchent, regardent dans un miroir si elles s'éloignent assez de leur naturel: ce n'est pas sans peine qu'elles plaisent moins.

Chez les femmes, se rarer et se farder n'est pas, je l'avoue, parler contre sa pensée : c'est plus aussi que le travestissement et la mascarade, où l'on ne se donne point pour ce que l'on paraît être, mais où l'on pense seulement à se cacher et à se faire ignorer: c'est chercher à imposer aux yeux,et vouloir paraître selon l'extérieur contre la vérité : c'est une espèce de menterie.

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