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lui sont défendus; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il par la beauté de son génie et de son

relève
style.

Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorillas et Handbourg (1). L'on peut au contraire en une sorte d'écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui peignent vivement, et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre.

Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son siècle songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous est quelquefois refuséc par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre.

Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point: c'est se gåter le goût, c'est corrompre

vrages d'esprit et d'érudition, entre autres, l'ESPRIT DE GERSON, qui a été mis à l'Index à Rome. Il a été détenu plusieurs années en prison, d'où il est enfin sorti après avoir fait amende honorable.

(1) Varillas et Maimbourg. Le P. Maimbourg, dit madame de Sévigné, lettre 116, a ramassé le délicat des mauvaises ruelles. Ce jugement s'accorde fort bien avec celui que La Bruyère porte ici du style de Handbourg. HAND, eu anglais, signifie MAIN.

son jugement et celui des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y voir, l'en tirer avec grace, et d'une manière qui plaise et qui instruise.

Horace, ou Despréaux, l'a dit avant vous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi!

Qu

CHAPITRE II.

Du Mérite personnel.

UI peut, avec les plus rares talents et le plus excellent mérite, n'être pas convaincu de sor inutilité, quand il concidère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer ?

De bien des gens il n'y a que le nom qui vaille quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien: de loin ils imposent.

l'on

Tout persuadé que je suis que ceux que choisit pour de différents emplois, chacun selon son génie et sa profession, font bien, je me hasarde de dire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes connues ou incon

nues que l'on n'emploie pas, qui feraient trèsbien; et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès de certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui jusques alors on n'avait pas attendu de fort grandes choses.

Combien d'hommes admirables, et qui avaient de très-beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé! Combien vivent encore dont on ne parle point et dont on ne parlera jamais !

Quelle horrible peine à un homme qui est sans prôneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans aucun corps, mais qui est seul, et qui n'a que beaucoup de mérite pour toute recommandation, de se faire jour à travers l'obscurité où il se trouve, et de venir au niveau d'un fat qui est en crédit!

Personne presque ne s'avise de lui-même du mérite d'un autre.

Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour avoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres: de là vient qu'avec un grand mérite et une plus grande modestie l'on peut être longtemps ignoré.

Le génie et les grands talents manquent souvent; quelquefois aussi les seules occasions: tels peuvent être loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auraient fait.

Il est moins rare de trouver de l'esprit que

des gens qui se servent du leur, ou qui fassent valoir celui des autres, et le mettent à quelque usage.

Il y a plus d'outils que d'ouvriers, et de ces derniers plus de mauvais que d'excellents: que pensez-vous de celui qui veut scier avec un rabot, et qui prend sa scie pour raboter.

Il n'y a point au monde un si pénible métier que celui de se faire un grand nom : la vie s'achève que l'on a à peine ébauché son ouvrage.

Que faire d'Egésippe qui demande un emploi? Le mettra-t-on dans les finances, ou dans les troupes? Cela est indifférent, et il faut que се soit l'intérêt seul qui en décide; car il est aussi capable de manier de l'argent, ou de dresser des comptes, que de porter les armes. Il est propre à tout, disent ses amis; ce qui signifie toujours qu'il n'a pas plus de talent pour une chose que pour une autre, ou en d'autres termes qu'il n'est propre à rien. Ainsi la plupart des hommes, occupés d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompus par la paresse ou par le plaisir, croient faussement dans un âge plus avancé qu'il leur suffit d'être inutiles ou dans l'indigence, afin que la république soit engagée à les placer, ou à les secourir; et il profitent rarement de cette leçon très-importante, que les hommes devraient

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employer les premières années de leur vie à dcvenir tels par leurs études et par 'cur travail, que la république elle-même eût besoin de leur industrie et de leurs lumières; qu'ils fussent comme une pièce nécessaire à tout son édifice; et qu'elle se trouvât portée par ses propres avantages à faire leur fortune ou à l'embellir.

Nous devons travailler à nous rendre trèsdignes de quelque emploi: le reste ne nous regarde point, c'est l'affaire des autres.

Se faire valoir par des choses qui ne dépendent point des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire valoir: maxime inestimable et d'une ressource infinie dans la pratique, utile aux faibles, aux vertueux, à ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur repos: pernicieuse pour les grands; qui diminuerait leur cour, ou plutôt le nombre de leurs esclaves; qui ferait tomber leur morgue avec une partie de leur autorité, et les réduirait presque à leurs entremets et à leurs équipages; qui les priverait du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser, solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne pas donner; qui les traverserait dans le goût qu'ils ont quelquefois à mettre les sots en vue, et à anéantir le mérite quand il leur arrive de le discerner; qui bannirait des cours les brigues,

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