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L'homme a bien peu de ressources dans soimême, puisqu'il lui faut une disgrace/ou une mortification pour le rendre plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête homme. L'on contemple dans les cours de certaines et l'on voit bien à leurs discours et à toute gens, leur conduite, qu'ils ne songent ni à leurs grandspères, ni à leurs petits-fils : le présent est pour ils n'en jouissent pas, ils en abusent.

eux;

Straton (1) est né sous deux étoiles: malheureux, heureux dans le même degré. Sa vie est un roman : non, il lui manque le vraisemblable. Il n'a point eu d'aventures, il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais; que dis-je! on ne rêve point comme il a vécu. Personne n'a tiré d'une destinée plus qu'il a fait: l'extrême et le médiocre lui sont connus: il a brillé, il a souf

(1) Le duc de Lauzun, qui a été favori du roi, puis disgracié et envoyé en prison à Pignerol, où il a été pendant dix ans. Il a été fait duc et cordon bleu, à la sollicitation de la reine d'Angleterre, qui était sortie d'Angleterre avec le prince de Galles en 1688. Il était cadet de la maison de Nompar de Caumont, neveu du maréchal de Grammont, qui l'attira à Paris, où il lui donna retraite chez lui. Il avait, dans un âge assez avancé, épousé la seconde fille du maréchal de Lorge en 1695. L'aînée avait épousé le jeune duc de SaintSimon. La mère était fille du sieur Fremont, fameux homme d'affaires, et enfin garde du trésor royal.

fert, il a mené une vie commune: rien ne lui est échappé. Il s'est fait valoir par des vertus qu'il assurait fort sérieusement qui étaient en lui: il a dit de soi, « J'ai de l'esprit, j'ai du courage ; » et tous ont dit après lui, « Il a de l'esprit, il a du « courage.» il a exercé dans l'une et l'autre fortue le génie du courtisan, qui a dit de lui plus de bien peut-être et plus de mal qu'il n'y. en avait. Le joli, l'aimable, le rare, le merveilleux, l'héroïque, ont été employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis pour le ravaler: caractère équivoque, mêlé, enveloppé: une énigme; une question presque indécise.

La faveur(1) met l'homme au-dessus de ses égaux ; et sa chûte, au-dessous.

Celui qui un beau jour sait renoncer fermement, ou à un grand nom, ou à une grande autorité, ou à une grande fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes.

Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grace reçue, ou ce qui s'attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène. Il s'a

(1) Pelletier, le ministre.

vance déja sur le théâtre d'autres hommes(1)qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles; ils s'évanouiront à leur tour; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus: de nouveaux acteurs ont pris leur place: quel fonds à faire sur un personnage de comédie!

Qui a vu la cour a vu du monde ce qui est le plus beau, le plus spécieux et le plus orné: qui méprise la cour après l'avoir vue méprise le monde.

La ville dégoûte de la province : la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour.

Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite.

CHAPITRE IX.

Des Grands.

La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entêtement pour leur geste, leur visage, leur ton de voix, et leurs manières, si général, que s'ils s'avisaient d'être bons, cela irait à l'idolâtrie.

Si vous êtes né vicieux, ô Théagène ( 2), je

(1) MM. de Pontchartrain, Chamillard, et de Chanlais.

(2) Le grand prieur.

vous plains: si vous le devenez par faibless

pour ceux qui ont intérêt que vous le soyez, , qui ont juré entre eux de vous corrompre, et qui se vantent déja de pouvoir y réussir, souffrez que je vous méprise. Mais si vous êtes sage, tempérant, modeste, civil, généreux, reconnaissant, laborieux, d'un rang d'ailleurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les reprendre d'autrui, et à faire les règles plutôt qu'à les recevoir, convenez avec cette sorte de gens suivre par complaisance leurs déréglements,leurs vices et leur folie, quand ils auront, par Ja déférence qu'ils vous doivent, exercé toutes les vertus que vous chérissez: ironie forte, mais utile, très propre à mettre vos mœurs en sureté, à renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que vous êtes.

de

L'avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit. Je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous, et leurs flatteurs: mais je leur envie le bonheur d'avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l'esprit, et qui les passent quelquefois.

Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans une forêt, de soutenir des terres par de longues

murailles, de dorer des plafonds, de faire veni dix pouces d'eau, de meubler une orangerie: niais de rendre un cœur content, de combler une ame de joie, de prévenir d'extrêmes besoins, ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jusque-là.

On demande si en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on n'y remarquerait pas un mélange, ou une espèce de compensation de bien et de mal, qui établirait entre elles l'égalité, ou qui ferait du moins que l'une ne serait guère plus desirable que l'autre. Celui qui est puissant, riche, et à qui il ne manque rien, peut former cette question; mais il faut que ce soit un homme pauvre qui la décide.

Il ne laisse pas d'y avoir comme un charme attaché à chacune des différentes conditions, et qui y demeure, jusqu'à ce que la misère l'en ait ôté. Ainsi les grands se plaisent dans l'excès, et les petits aiment la modération: ceux-là ont le goût de dominer et de commander, et ceux-ci sentent du plaisir et même de la vanité à les servir et à leur obéir: les grands sont entourés, salués, respectés ; les petits entourent, salucnt, se prosternent, et tous sont contents.

Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles, et leur condition les dispense si fort

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