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ni dans les circonstances où elles auraient fait

un extrême plaisir.

Il faut rire avant d'être heureux, de peur mourir sans avoir ri.

de

La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu'elle est agréable; puisque si l'on cousait ensemble toutes les heures que l'on passe avec ce qui plaît, l'on ferait à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un! On ne pourrait se défendre de quelque joie à voir périr un méchant homme; l'on jouirait alors du fruit de sa haine, et l'on tirerait de lui tout ce qu'on en peut espérer, qui est le plaisir de sa perte. Sa mort enfin arrive, mais dans une conjoncture où nos intérêts ne nous permettent pas de nous en réjouir : il meurt trop tôt ou trop

tard.

Il est pénible à un homme fier de pardonner à celui qui le surprend en faute, et qui se plaint de lui avec raison: sa fierté ne s'adoucit que lorsqu'il reprend ses avantages, et qu'il met l'autre dans son tort.

Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux personnes à qui nous faisons du bien, de même nous haïssons violemment ceux que nous avons beaucoup offensés.

Il est également difficile d'étouffer dans les

commencements le sentiment des injures, et de le conserver après un certain nombre d'années. faiblesse que l'on hait un ennemi et que l'on songe à s'en venger; et c'est par paresse que l'on s'apaise et qu'on ne se venge point.

C'est par

Il y a bien autant de paresse que de faiblesse à se laisser gouverner.

Il ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un coup et sans autre préparation dans une affaire importante et qui serait capitale à lui ou aux siens : il sentirait d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son esprit, et il secouerait le joug par honte ou par caprice. Il faut tenter auprès de lui les petites choses; ct de là le progrès, jusqu'aux plus grandes, cst immanquable. Tel ne pouvait au plus dans les commencements qu'entreprendre de le faire tir pour la campagne ou retourner à la ville, qui finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la légitime.

par

Pour gouverner quelqu'un long-temps et absolument, il faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moins qu'il se peut sa dépendance.

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui au-delà sont intraitables et ne se gouvernent plus: on perd tout-à-coup la route de leur cœur et de leur esprit ni hauteur, ni

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souplesse, ni force, ni industrie, ne les peuvent dompter; avec cette différence que quelques-uns sont ainsi faits par raison et avec fondement et quelques autres par tempérament et par hu

meur.

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Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les bons conseils, et qui s'égarent volontairement par la crainte qu'ils ont d'être gouvernés.

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de les gouverner à leur tour en des choses graves et de conséquence.

Drance (1) veut passer pour gouverner son

(1) Le comte de Tonnerre, premier gentilhomme de la chambre de feu Monsieur, de la maison des comtes de Tonnerre - Clermont. Ils portaient autrefois pour armes un soleil au-dessus d'une montagne. Mais depuis que, l'an 1123, un comte de cette maison rétablit le pape Calixte II sur son trône, ce pape a donné pour armes à cette maison deux clefs d'argent en sautoir; et quand un comte de cette maison se trouve à Rome lors du couronnement d'un pape, au lieu que tout le moude lui va baiser les pieds, lui se met à côté, tire sou épée, et dit: Etsi omnes, ego non.

Ceci est une pure fable. Cette maison est fort ancienne, et ceux qui en sont présentement sont trèsfiers, et traitent les autres de petite noblesse et de bourgeoisie. L'évêque de Noyon, qui en est, ayant

maître, qui n'en croit rien non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni 1

traité s ce pied la famille de Harlay de bourgeois, et étant allé pour dîner chez M. le premier président, qui l'avait su, il le refusa, en lui disant qu'il n'appartenait pas à un petit bourgeois de traiter un homme de sa qualité; et comme cet évêque lui répondit qu'il avait renvoyé son carrosse, M. le premier président fit mettre les chevaux au sien, et le renvoya ainsi : dont on a bien ri à la cour. Après la mort de M. de Harlay, archevêque de Paris, il a eu le cordon bleu. Depuis, le clergé l'ayant prié d'en vouloir faire l'oraison funèbre aux Grands - Augustins, où l'on devait faire un service solennel, il s'en excusa, disant qu'il trouvait le sujet trop stérile; dont le roi étant averti, le renvoya dans son diocèse. L'abbé de Tonnerre, de la même maison, a été fait évêque de Langres en 1695.

ne cherche à gouverner les autres: il veut que la raison gouverne seule, et toujours.

Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une personne raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses, et absolument, et toujours: je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer, je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres ; elles se cachent à elles-mêmes: il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.

On ouvre un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de leurs faiblesses et de leur vanité: tel est ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, j'étais ambitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours: mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour,

finis.

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