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l'objet. La couleur d'une chose appartient tout aussi intimement à la nature de la matière, que l'idée de trois angles à celle d'un triangle; mais notre manière de réfléchir l'un et l'autre de ces rapports est nécessairement différente, selon la nature des données. C'est donc dans les rapports des idées, dans les jugements, qu'il y a une différence réelle, non dans l'idée. Que l'attribut dans notre manière de réfléchir soit contenu en tout ou en partie dans le sujet, cela n'ôte et n'ajoute rien à la valeur de l'opinion formée, mais c'est un point d'appui fort utile pour son analyse, une règle générale de critique.

Il y aurait encore de nombreuses divisions des idées et jugements à relever, mais elles sont de minime importance. La logique est un peu comme la statue à la tête d'or et aux pieds d'argile.

XXI. A ces nombreuses divisions, souvent inutiles, l'analyse un peu au hasard qui caractérise la philosophie moderne en ajouta d'autres plus embarrassantes encore.

L'entendement, lintellect, la raison, l'intuition, le jugement, le sens-commun, le bon sens, etc., ont été distingués dans la même faculté. Les phénomènes de la pensée sont fort simples, considérés en eux-mêmes; ils ne deviennent complexes que par leurs rapports avec notre organisme, et par leur dépendance des deux autres facultés primitives, celle d'aimer et celle de vouloir; ce qui ne nous autorise en rien cependant à distinguer dans la seule pensée autant de facultés que de rapports. Ce ne sont pas des noms, ce sont des lois qu'il faut.

XXII. Par la faculté d'amour la pensée reçoit dans la sphère la plus élevée de son action, un mobile sans lequel elle se bornerait à la satisfaction, toujours momentanée de nos soins physiques.

Les principes de cette faculté sont les désirs du vrai, du beau et du bien, que les sens éveillent, et que la pensée développe jusqu'à en former des sentiments qui, à leur tour, devinnent de nouveaux leviers pour

elle Le bon sens, la raison, l'idéal, la vertu sont des résultats de ce rapport simple et profond; ce sont, à des degrés divers, l'expression des sentiments mêmes du vrai, du beau ou du bien.

Mais les désirs sont innés et sans bornes. C'est à la satisfaction de ces instincts sublimes qu'est attachée cette jouissance profonde, le bonheur, que nous pressentons, que nous poursuivons sans cesse, jamais pouvoir l'atteindre, et que nous nommons comme tel foi et espérance.

sans

Le vrai est ce qui est, définition métaphysique. Pour l'homme destiné à s'élever par ses efforts à la science de ce qui est, le vrai est la connaissance de toutes choses. Le beau est la splendeur du vrai, dit Platon; i en est plutôt l'amour; le reflet de Dieu. dans l'âme et la nature. Le vrai et le beau dans les actes d'êtres libres, c'est le bien.

Comme but, ils sont identiques et constituent la perfection que les hommes atteindraient fatalement sans la quatrième faculté primitive le libre arbitre.

XXIII. Nous ne pouvons enfreindre les lois de la pensée, mais nous pouvons les confondre, en avoir une fausse science; nous pouvons saisir les rapports des perceptions d'une manière ou d'une autre, attribuer à telle idée des qualités qui n'appartiennent qu'à telle autre; en un mot nos efforts peuvent être dictés par un plus ou moins grand amour du vrai, du beau et du bien; nous pouvons produire des idées vraies et fausses. Les hommes sont libres, et librement ils s'élèvent à la science des choses, aussi bien du monde que d'eux-mêmes.

La liberté est le pouvoir de rechercher le vrai, le beau, le bien, ou de ne le faire pas.

Peu importe pour le moment la nature et l'origine de l'erreur et du mal, l'influence de la société et de l'éducation, les rapports entre l'action individuelle et l'action sociale, le fait est là: l'idée peut être vraie ou fausse; sans le libre arbitre l'homme ne serait qu'une machine à connaissances.

Mais si le rapport entre la libre volonté et les autres facultés peut engendrer l'erreur,

c'est également dans ce rapport, et pris dans toute son étendue, que l'esprit puise la force pour la combattre et la détruire. Une ferme volonté, un ardent amour du vrai, une pensée persévérante sont le secret de la méthode, tout le reste n'est que règles.

XXIV. Le recours méthodique, continuel, dans la formation et l'analyse de nos idées, à la faculté de sentir, aux données toujours vraies en elles-mêmes de la perception extérieure, du sens intime et de la conscience, constitue l'expérience. Elle sert de fondement à nos moyens de juger et d'étendre nos connaissances et croyances. Car si les idées peuvent être vraies ou fausses il n'en est pas de même des perceptions: nos facultés de connaître, actives et libres dans la formation des premières, ne le sont pas dans celle des secondes, du moins, elles ne le sont qu'en tant qu'elles s'y arrêtent par la volonté et s'y concentrent par l'attention; mais elles ne peuvent ressentir d'une manière ou d'une autre une simple et même perception, qui ne dépend pas

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