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non libre. Croire, au contraire, qu'il vit à la fois et ces deux actions et celle que j'accomplirai, c'est admettre qu'il me voit en lui, et non comme existant en dehors. Aller plus loin encore et soutenir qu'il vit à la fois les deux actes possibles : l'acte choisi par moi conditionnellement, le même qu'il me voit faire maintenant en réalité, c'est prétendre, au moins, que Dieu a pu commettre un acte inutile, soit le premier, soit le second, ou faire de la création un jeu indigne de sa grandeur.

Donc Dieu a prévu toutes les actions possibles des hommes, tant celles qui sont les conséquences nécessaires de leur nature, que celles qui dérivent de leur libre arbitre; il a prévu les unes et les autres, tous leurs actes possibles dans le cours de leur développement historique; il voit maintenant ce développement tel qu'il est, les choix et actes que nous faisons. Laquelle de ces sciences est la plus immense, laquelle est la plus digne de Dieu ?

Et la preuve que Dieu a soumis sa pres

cience à sa science même, c'est qu'il a également soumis son action toute-puissante, par suite sa perception dernière, aux lois fondamentales selon lesquelles il conçut le monde. La matière, son organisation, son animation, l'apparition de l'homme eurent lieu dans leur ordre, dans l'espace et le temps.

XL. Aussi, conséquence nécessaire, découvrons-nous en lui une triple puissance, comme une triple science. Sa toute suffisance comme Etre absolu et absolument libre; sa toute-puissance comme conception de tous les mondes possibles; sa toute-puissance comme réalisation des mondes youlus.

Dien se voit, il sait qu'il est, seul et unique; il réfléchit sa grandeur propre et sa toute-puissance; en vivifiant le néant dans sa pensée, ce n'est pas l'unité qui produit le multiple, c'est l'unité restant une et indivisible qui, voyant en elle sa puissance et sa liberté, conçoit tous les mondes possibles; et sa puissance en elle-même n'est ni

plus ni moins grande, et les mondes conçus n'existent pas encore, ils sont en elle et par elle.

Et Dieu veut que le monde conçu par lui soumis aux lois de substantialité, de causalité, d'existence selon l'espace et le temps, soit en dehors de lui; et le monde fut. Et Dieu soumit sa propre action, dans l'œuvre de la création, à la nature de celle-ci, parce qu'elle fut digne de lui. Et le monde créé n'est pas le fini limitant l'infini, ou l'infini sorti de lui-même; c'est ce qui pouvait ne pas être existant à côté de ce qui est par soi-même; c'est l'effet considéré en lui-même, à côté de la cause absolument indépendante et différente de nature.

XLI. Dieu créa-t-il d'autres mondes encore, ou tous les mondes possibles?

La solution présentée par Leibnitz, que Dieu, en vertu de sa toute perfection, dût choisir le meilleur de tous les mondes possibles, gratuite aux yeux de Candide, tombe devant l'analyse d'une philosophie sérieuse. Pour pouvoir choisir, Dieu dût

concevoir; or, les mondes non conçus par lui ne sont pas possibles, parce que sa conception seule peut leur donner l'être de leur possibilité; et d'ailleurs, en vertu de la toute perfection même de son intelligence, Dieu aurait dû concevoir un seul meilleur monde, non tous les mondes possibles. En premier lieu, dans sa toute suffisance, il y a choix entre la conception et la non conception de tous les mondes possibles, chacun parfait dans son ordre et dans son genre, tous plus ou moins parfaits dans leurs rapports entre eux, mais sans rapport aucun avec la toute perfection même de Dieu, absolument différente. En second lieu, il y a libre création des mondes voulus. Le nôtre est le mieux possible tel qu'il est, et tel que les hommes l'ont fait à leur tour. Quant aux autres mondes, ceux dont nous n'avons ou ne pouvons avoir aucune donnée directe, ils n'existent pas pour nous.

XLII. De la toute perfection de Dieu résulte sa troisième trinité: toute-vérité, toutebeauté et toute-bonté, identiques dans l'a

mour pur et infini, cependant différentes. Toute-vérité ce qu'il n'a pas conçu ne saurait exister, serait sans raison d'être, donc impossible; la science de toutes choses se trouve en lui.

Toute-beauté ainsi que toutes les choses sont également vraies en elles, elles sont également belles; si l'erreur et la négation proviennent de notre ignorance, la laideur ou l'indifférence dérivent de l'imperfection de nos sentiments, de notre ignorance encore. Dieu donc, source de l'harmonie fatale et universelle, de l'accord profond qui règne dans tous les éléments de ce monde, est comme tel toute beauté en lui-même; la beauté créée ne saurait être qu'un reflet de la sienne propre, toute différente qu'elle soit.

Comme tel, Dieu est de toute nécessité amour pur; si l'intelligence est la cause du vrai, l'amour seul engendre le beau, c'est-àdire le vrai qui attire, élève et transporte. Devant Dieu, science infinie, les choses sont également belles et parfaites,

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