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n'aurait jamais pu commencer par parcourir cette distance, ce qui est évidemment absurde. Donc, ayant admis de prime abord l'éternité des qualités de la chose étendue divisible, nous n'aboutissons à aucun mouvement précis et déterminé une manifestation quelconque d'une qualité nécessaire, éternelle, infinie, est nécessairement éternelle et infinie comme la qualité.

Par contre, en admettant que l'immense époque employée par la lumière de l'astre ait été précédée par celle de leur formation, c'est alors cette dernière qui a dù commencer, pour pouvoir finir, et, avant cette formation, agissait sa cause, qui en suppose une nouvelle, laquelle une autre, nous n'arrivons jamais à l'éternité même de la matière.

XXII. Ne confondons pas l'idée abstraite de mouvement avec le mouvement véritable, réel. En ne réfléchissant que la première, elle devient, comme toute idée abstraite des qualités de la matière, infinie et éternelle avec cette dernière, mais sans portée objective aucune, et fausse du moment

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qu'elle détruit sa donnée réelle le mouvement perçu et précis, qui ne peut produire, quoique nous fassions, le mouvement éternel et infini. Il n'y a là aucune contradiction, il n'y a que confusion entre la nature de l'idée abstraite et la donnée empirique.

Tout changement a sa raison d'être : pour qu'un mouvement soit, il faut qu'il commence, peu importe notre ignorance du quand et du comment. Dire le mouvement éternel, c'est unir deux termes contradictoires. Où est la raison pour laquelle nous avons précisément un aujourd'hui, et pourquoi n'a-t-il pas eu lieu depuis l'éternité? pourquoi le genre humain n'existe-t-il que depuis quelques milliers d'années? Il faut nécessairement une cause, quelle qu'elle soit, dont l'action fut aussi précise dans la nuit des temps, que l'est celle du moment actuel. Le mouvement, les changements, les modes et accidents passent, les rapports des qualités de la matière changent continuellement, et l'éternité si elle existe, car nous n'en avons qu'une idée essentielle

ment négative, est immobile, rien n'y commence, pour pouvoir continuer ou finir.

Tout panthéisme ne repose que sur l'affirmation gratuite de la réalité de l'infini et de l'éternité.

XXIII. Même en suivant Spinoza dans sa définition vague et imparfaite de l'immobilité et de l'éternité de la substance, par la seule idée abstraite pure de l'étendue; cette substance encore ne résiste pas à la moindre analyse: quelque soient ses qualitées inconnues, elle renferme du moins, et de toute nécessité, la puissance de produire le mouvement; mais tout étant fatal, nécessaire dans la matière, elle aurait donc dù le produire depuis l'éternité, ce qui conduit de nouveau à la destruction de toutes ces manifestations dans les temps, de tous ses modes et accidents; à moins d'admettre que cette prétendue substance de la matière ait été libre de produire le mouvement ou de ne le faire pas; hypothèse ridicule! Que deviendraient le monde, les sciences exactes, et surtout le système, qui n'est élevé

que sur

l'enchaînement fatal de tous les phénomènes, si la substance de la matière, les qualités primitives et fondamentales étaient libres?

La substance du monde extérieur, sés qualités inconnues, n'ont pas plus de valeur en elles-mêmes, que ses qualités nécessaires connues; elles sont dans un rapport intime entre elles; il nous est impossible d'admettre qu'elles puissent être autre chose que de la matière étendue, divisible, de nous former une autre idée de sa substance réelle.

XXIV. Une dernière théorie admet l'action d'une cause libre et intelligente, produisant les phénomènes, modes et accidents, dans et par la substance matérielle, et comme cette dernière, absolue, infinie, éternelle. Mais les qualités fondamentales et primitives de la matière, celles qui la constituent, étant données, il s'ensuit nécessairement leurs effets, leurs rapports, leur manifestation dans l'espace et le temps, le mouvement. Admettre l'action d'une

cause libre entre les uns et les autres, c'est sûrement échapper au matérialisme, mais c'est aussi conclure en dépit de notre intelligence. Elles sont inséparables : pas plus de matière sans mouvement, que de mouvement sans matière; si cette dernière est éternelle, le premier l'est également; mais il ne saurait l'être sans changer complètement de nature, sans se détruire; donc l'autre ne l'est pas davantage.

Donc la matière n'est ni éternelle, ni infinie, ni absolue, et, du moment qu'il n'y a rien sans raison d'être, il existe une cause créatrice quelconque qui jeta la base de tous les modes et accidents, en produisant les qualités nécessaires, primitives et fondamentales.

XXV. Ces conséquences sont évidentes; mais tout concluantes qu'elles soient contre le matérialisme absolu et contre le panthéisme, elles ne le sont guère contre le scepticisme. Misérable tautologie, dirait Kant, vous voulez prouver la justesse des lois de la pensée par une science directe, et vous vous ap

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