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l'Ame, quoiqu'elle penfe, l'ignore, & ne
fait qu'elle penfe que lorfqu'elle communi-
que les pensées.

Peut-

fible qu'elle eft, puiffe être, nulle part dans le Monde
fi inutile, & fi abfolument hors d'œuvre.

l'Entendement

hu

Effai Philofophique concernant
main, &c. par M. Locke, Liv. II. Chap. I. pag. 67, &
fuiv. troisième Edition de Pierre Mortier 1735.

2 L'ame penfe, difent ces gens-là, pendant le plus
profond fommeil. Mais lorsque l'Ame penfe, & qu'elle
a des perceptions, elle eft, fans doute, auffi capable
de recevoir des idées de plaifir ou de douleur, qu'aucu
ne autre idée que ce foit, & elle doit néceffairement
fentir en elle-même fes propres perceptions. Cepen-
dant fi l'Ame a toutes ces perceptions à part, il est vi-
fible, que l'homme qui eft endorini, n'en a aucun
fentiment en lui-même. Suppofons donc que Caftor
étant endormi, fon ame eft féparée de fon Corps
pendant qu'il dort: fuppofition qui ne doit point pa
roître impoffible à ceux avec qui j'ai préfentement, affai-
re, lesquels accordent fi librement la vie à tous les
autres Animaux différens de l'Homme fans leur donner

une Ame, qui connoisse & qui pense. Ces gens la,
dis-je, ne peuvent trouver aucune impoffibilité ou con-
tradiction à dire, que le Corps puiffe vivre fans ame,
ou que l'Ame puiffe fubfifter, penfer, ou avoir des
perceptions, même celles de plaifir ou de douleur,
fans être jointe à un Corps. Cela étant, fuppofons
que l'Ame de Caftor, féparée de fon Corps pendant
qu'il dort, a fes penfées à part: fuppofons encore,
qu'elle choisir pour théâtre de fes pensées le Corp's

Peut-on croire que l'Ame, fi fon effente étoit de penfer, ignoreroit 2 qu'elle pense? Quelle autre faculté doit lui en faire

d'un autre homine, celui de Pollux, par exemple, qui dort fans ame; car fi, tandis que Caftor eft endormi, fon Ame peut avoir des penfées dont il n'a aucun sentiment en lui-même, n'importe quel lieu fon ame choififfe pour penfer. Nous avons par ce moyen le Corps de deux hommes, qui n'ont entr'eux qu'une feule Ame, & que nous fuppofons endormis, & éveillés tour à tour; de forte que l'Ame penfe toujours dans celui des deux qui eft éveillé, dequoi celui qui eft endormi n'a jamais aucun fentiment en lui-même, ni aucune perception quelle qu'elle foit. Je demande préfentement, fi Caftor & Pollux n'ayant qu'une feule Ame qui agit en eux par tour, de forte qu'elle a, dans l'un, des pensées & des perceptions, dont l'autre n'a jamais aucun fentiment, & auxquelles il ne prend jamais aucun interêt; je demande, dis-je, fi dans ce cas - là Caftor & Pollux ne font pas deux perfonnes auffi diftinctes, que Caftor & Hercule, ou que Socrate & Platon; & fi l'un d'eux ne pourroit point être fort heureux, & l'autre tout à fait miférable? C'est justement par la même raison que ceux qui difent, que l'Ame a en ellemême des pensées dont l'homme n'a aucun fentiment, féparent l'Ame d'avec l'Homme, & divifent l'Homme méme en deux perfonnes diftinctes. Car je fuppofe

qu'on ne s'avifera pas de faire confifter l'identité des perfonnes dans l'union de l'Ame avec certaines particules de matiére qui foient les mêmes en nombre; parceque fi cela étoit néceffaire pour conftituer l'identité de

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faire reffouvenir? L'on prétend prouver que l'Ame peut avoir des pensées dont elle ne fe rappelle jamais le fouvenir, parce que nous oublions fouvent les fonges que nous favons avoir faits pendant notre fommeil, & que nous nous rappellons quelquefois, lorfque nous fommes éveillés; mais en raifonnant de cette maniére, on n'a point fait attention que ces raifons ne prouvent point que l'Ame penfe toujours, ou qu'elle agifle par elle-même dans les fonges; elles concluent feulement qu'elle a été affectée pendant le fommeil par des caufes internes de la même maniére qu'elle l'étoit par les chofes qui font l'objet de fes fonges. Car pour mettre en évidence. que l'Ame penfe toujours, il faudroit qu'indépendamment de la difpofition du corps, l'Homme eûr toujours des fonges 3; ce qui ne pouvant être prouvé met en droit de nier que l'Ame penfe toujours.

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la perfonne, il feroit impoffible dans ce flux perpétuel où font les particules de notre Corps, qu'aucun hom me pût être la même perfonne, deux jours, ou même deux momens de fuite. Effai Philofophique concernant l'Entendement Hum. &c. Liv. II. Chap. I. p. 66, & fuiv.

3 Ainfi le moindre affoupiffement où nous jette le fommeil, fuffit, ce me femble, pour renverfer la doctrine de ceux qui foutiennent que l'Ame penfe toujours.

On demande fi un Enfant qui eft obligé d'apprendre par cœur douze ou quinze vers de Virgile, après les avoir lus trois ou quatre fois immédiatement avant que de s'endormir, & les recitant fort bien le lendemain à fon réveil; on demande, disje, fi l'Ame de cet Enfant a penfé à ces veis pendant qu'il étoit enfeveli dans un profond fommeil? On fuppofe que l'Enfant ne fait point fi fon Ame a penfé à ces vers, cependant l'on croit pouvoir foupçonner avec quelque apparence de raifon que fon Ame a effectivement ruminé fur ces vers; mais quelle apparence de raifon y a-t-il de croire que cet Enfant a ruminé fur ces vers pendant fon fommeil, puisqu'il ne s'en reffouvient point? Ne fuffitil point que nous ayons la faculté de rappeller les idées que nous avons conçues, pour connoître que cet Enfant fe reflon. viendra le lendemain de fa leçon, fans qu'il foit

Du moins ceux à qui il arrive de dormir fans faire aucun fonge, ne peuvent jamais être convaincus que leurs penfées foient en action, quelquefois pendant quatre heures, fans qu'ils en fachent rien; & fi on les éveille au milieu de cette contemplation dormante, & qu'on les prenne, pour ainfi dire, fur le fait, il ne leur eft pas poffible de rendre compte de ces prétendues contemplations. Idem, ibid. p. 67.

foit befoin pour cela de fuppofer que fon Ame ait été occupée pendant la nuit à ruminer fur ces vers?

En vérité je ne conçois point quelles font ces pensées fecretes qu'on accorde à l'Ame, & je penfe que Mr. Locke eft fondé lorsqu'il dit 4:,,On fuppofera peut-être, que ,,dans le plus profond fommeil l'Ame a des ,,penfées, que la Mémoire ne retient point; ,,mais il paroît bien mal-aifé à concevoir ,,que dans ce moment l'Ame pense dans un ,,homme endormi, & le moment fuivant ,,dans un homme éveillé, fans qu'elle fe „reffouvienne, ni qu'elle foit capable de „rappeller la mémoire de la moindre cir,,conftance de toutes les penfées qu'elle ,vient d'avoir en dormant. Pour perfua ,,der une chofe qui paroît fi inconcevable, ,,il faudroit la prouver autrement que par ,,une fimple affirmation. Car qui peur fe „figurer, fans en avoir d'autre raison, que ,,l'affertion magiftrale de la perfonne qui ,,l'affirme, qui peut, dis-je, fe perfuader ,,fur un auffi foible fondement, que la plus ,,grande partie des hommes penfent durant ,,toute leur vie, plufieurs heures chaque "jour, à des chofes dont ils ne peuvent fe

♦ Idem, ibid. p. 67.

,,reffou

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