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planter pour cet ufage. Plufieurs femmes célébres, du nombre defquelles étoit Léontium, fe rangerent au nombre de fes difciples; & fon école obfcure dans les commencemens, finit par être une des plus éclatantes & des plus nombreuses. Les difciples d'Epicure vivoient en freres. Mais ce philofophe ne permit point qu'ils miffent leur bien en commun. Il auroit craint de leur dérober la volupté de la bienfaifance, & cette fatisfaction douce de fe foulager les uns & les autres dans leurs befoins.

Il fe trouva dans Athenes, lorfque cette ville, affiégée par Démétrius Poliocerte, fut défolée par la famine. Il pouvoit fortir de la ville; mais il réfolut de vivre ou de mourir avec fes amis, & leur diftribuoit par égales portions les feves de fon jardin.

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Epicure n'étoit pas feulement un ami fidele, mais encore un patriote zélé. Il obferva la frugalité jufques dans fes plaifirs, & vécut toujours dans le célibat. Les inquiétudes qui fuivent le mariage, lui parurent incompatibles avec l'exercice affidu de la philofophie. Il vouloit d'ailleurs que la femme du philofophe fût fage, riche & belle. Il s'occupa à étudier, enfeigner & à écrire. Suivant Diogene Laërce, il avoit compofé plus de trois cents traités; mais il ne nous en reste aucun. Les féveres Stoïciens chercherent à donner de mauvaifes interprétations à fes fentimens; ils en tirerent les plus pernicieufes conféquences. Ils noircirent même Epicure de leur calomnie; mais ce philofophe leur abandonnà fa perfonne, défendit fes dogmes avec force, & s'occupa à démontrer la stérilité de leurs principes outrés.

Epicure reconnoît un être immortel, inaltérable & parfaitement heureux, puifqu'il n'agit fur rien & rien fur lui; mais, par la raison que fon exiftence ne peut être altérée, il la regardoit comme une exiftence stérile. Auffi prétendoit-il que nous n'avons rien à efpérer ni à craindre de la divinité. Perfonne néanmoins ne fréquentoit plus régulièrement les temples qu'Epicure, & il n'y paroiffoit jamais qu'en pofture de fuppliant. Un jour que Dioclès l'apperçut, il s'écria: » Quelle fète, quel fpectacle pour moi! je ne vis jamais mieux la grandeur de Jupiter, que depuis que je vois » Epicure à genoux ».

Ce philofophe avoit renouvellé le fyftême des atômes de Démocrite, qui regardoit l'atôme comme la caufe premiere par qui tout eft, & la matière premiere dont tout eft. Un ancien voulant louer Epicure, a dit que la nature avoit affemblé tous les atômes de la fageffe & des fciences, pour composer la perfonne de ce philofophe. Moliere avoit fans doute cette expreffion en vue lorfqu'il fait dire à une de fes précieufes ridicules, que fon pere eft compofé d'atômes bourgeois.

Epicure fut en proie, dans les derniers temps de fa vie, aux maux les plus cuifans. Mais le fpectacle de fa vie paffée, ainfi qu'il l'écrivoit à fes amis, fufpendoit quelquefois fes douleurs. Lorfqu'il fentit fa fin s'approcher, il aflembla fes difciples, leur légua fes jardins, affura l'Etat de plufieurs enfans

enfans fans fortune dont il s'étoit rendu le tuteur, affranchit fes efclaves, & ordonna fes funérailles. La république d'Athenes lui érigea un monument. Sa mémoire fut toujours honorée, & un certain Théotime, convaincu d'avoir compofé fous fon nom des lettres infâmes, adreffées à quel◄ ques-unes des femmes qui fréquentoient fes jardins, fut condamné à perdre

la vie.

Voici le précis de la morale d'Epicure. Le bonheur eft la fin de la vie : c'est l'aveu fecret du cœur humain; c'eft le terme évident des actions mêmes qui en éloignent. Celui qui fe tue regarde la mort comme un bien. Il ne s'agit pas de réformer la nature, mais de diriger fa pente générale. Ce qui peut arriver de mal à l'homme, c'eft de voir le bonheur où il n'eft pas, ou de le voir où il eft en effet, mais de fe tromper fur les moyens de l'obtenir. Quel fera donc le premier pas de notre philofophie morale, fi ce n'eft de rechercher en quoi confifte le vrai bonheur? Que cette étude importante foit notre occupation actuelle. Puifque nous voulons être heureux dès ce moment, ne remettons pas à demain à savoir ce que c'eft que le bonheur. L'infenfé fe propofe toujours de vivre, & il ne vit jamais. Il n'eft donné qu'aux immortels d'être fouverainement heureux. Une folie dont nous avons d'abord à nous garantir, c'eft d'oublier que nous ne fommes que des hommes. Puifque nous défefpérons d'être jamais auffi parfaits que les Dieux que nous nous fommes propofés pour modeles, réfolvons-nous à n'être point auffi heureux. Parce que mon œil ne perce pas l'immenfité des efpaces, dédaignerai-je de l'ouvrir fur les objets qui m'environnent? Ces objets deviendront une fource intariffable de volupté, fi je fais en jouir ou les négliger. La peine eft toujours un mal, la volupté toujours un bien mais il n'eft point de volupté pure. Les fleurs croiffent à nos pieds, & il faut au moins fe pencher pour les cueillir. Cependant, ô volupté! C'est pour toi feule que nous faifons tout ce que nous faifons; ce n'eft jamais toi que nous évitons, mais la peine qui ne t'accompagne que trop fouvent. La volupté prend toutes fortes de formes. Il eft donc important de bien connoître le prix des objets fous lefquels elle peut fe préfenter à nous, afin que nous ne foyons point incertains quand il nous convient de l'accueillir ou de la repouffer, de vivre ou de mourir. Après la fanté de l'ame, il n'y a rien de plus précieux que la fanté du corps. Si la fanté du corps fe fait fentir particuliérement en quelques membres, elle n'eft pas générale. Si l'ame fe porte avec excès à la pratique d'une vertu, elle n'eft pas entièrement vertueufe. Le muficien ne fe contente pas de tempérer quelques-unes des cordes de fa lyre; il feroit à fouhaiter pour le concert de la fociété, que nous l'imitaflions, & que nous ne permiffions pas, foit à nos vertus, foit à nos paffions, d'être ou trop lâches ou trop tendues, & de rendre un fon ou trop fourd ou trop aigu. Si nous faifons quelque cas de nos femblables, nous trouverons du plaifir à remplir nos devoirs, parce que c'eft un moyen fûr d'en Tome XVIII.

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être confidérés. Nous ne mépriferons point les plaifirs des fens; mais nous ne nous ferons point l'injure à nous-mêmes, de comparer l'honnête avec le fenfuel. Comment celui qui fe fera trompé dans le choix d'un état ferat-il heureux? Comment fe choisir un état fans fe connoître ? Et comment fe contenter dans fon état; fi l'on confond les befoins de la nature, les appétits de la paffion, & les écarts de la fantaifie? Il faut avoir un but préfent à l'efprit, fi l'on ne veut pas agir à l'aventure. Il n'eft pas toujours impoffible de s'emparer de l'avenir. Tout doit tendre à la pratique de la vertu, à la confervation de la liberté & de la vie, & au mépris de la mort. On ne redoute les Dieux, que parce qu'on les fait femblables aux hommes. Qu'eft-ce que l'impie, finon celui qui adore les Dieux du peuple? Si la véritable piété consistoit à se profterner devant toute pierre taillée, il n'y auroit rien de plus commun: mais comme elle confifte à juger fainement de la nature des Dieux, c'eft une vertu rare. Ce qu'on appelle le droit naturel, n'eft que le fymbole d'une utilité générale. L'utilité générale & le confentement commun doivent être les deux grandes regles de nos actions. Il n'y a jamais de certitude que le crime reste ignoré celui qui le commet eft donc un infenfé qui joue un jeu où il y a plus à perdre qu'à gagner. L'amitié eft un des plus grands biens de la vie, & la décence, une des plus grandes vertus de la fociété. Soyez décens, parce que vous n'êtes point des animaux, & que vous vivez dans des villes, & non dans le fond des forêts, &c.

Voilà les points fondamentaux de la doctrine d'Epicure, le feul d'entre tous les philofophes anciens qui ait fu concilier fa morale avec ce qu'il pouvoit prendre pour le vrai bonheur de l'homme, & fes préceptes avec les appétits & les befoins de la nature; auffi a-t-il eu & aura-t-il dans tous les temps un grand nombre de disciples. On se fait stoïcien, mais on naît Épicurien.

Epicure étoit Athénien, du bourg de Gargette & de la tribu d'Egée. Son pere s'appelloit Néocles, & fa mere Chéreftrata : leurs ancêtres n'avoient pas été fans diftinction; mais l'indigence avoit avili leurs defcendans. Néoclès n'ayant pour tout bien qu'un petit champ, qui ne fourniffoit pas à fa fubfiftance, il fe fit maître d'école; la bonne vieille Chéreftrata, tenant fon fils par la main, alloit dans les maifons faire des luftrations, chaffer les fpectres, lever les incantations, réciter des formules d'expiations, & toutes les fottifes de cette efpece de fuperftition.

Epicure naquit la troifieme année de la cent neuvieme olympiade, le feptieme jour du mois de Gamilion. Il eut trois freres, Néoclès, Charideme & Ariftobule: Plutarque les cite comme des modeles de la tendreffe fraternelle la plus rare. Epicure demeura à Téos jufqu'à l'âge de dix-huit ans il fe rendit alors dans Athenes avec la petite provifion de connoiffances qu'il avoit faites dans l'école de fon pere; mais fon féjour n'y fût pas long. Alexandre meurt; Perdiccas défole l'Attique, & Epicure eft con

traint d'errer d'Athenes à Colophone, à Mytilene, & à Lampfaque. Les troubles populaires interrompirent fes études; mais n'empêcherent point fes progrès. Les hommes de génie, tels qu'Epicure, perdent peu de temps; leur activité fe jette fur tout; ils obfervent & s'inftruisent fans qu'ils s'en apperçoivent; & ces lumieres, acquifes prefque fans effort, font d'autant plus eftimables, qu'elles font relatives à des objets plus généraux. Tandis que le naturaliste a l'œil appliqué à l'extrémité de l'inftrument qui lui groffit un objet particulier, il ne jouit pas du fpectacle général de la nature qui l'environne. Il en eft ainfi du philofophe: il ne rentre fur la scene du monde qu'au fortir de fon cabinet; & c'est-là qu'il recueille ces germes de connoiffances qui demeurent long-temps ignorés dans le fond de fon ame, parce que ce n'eft point à une méditation profunde & déterminée, mais à des coups-d'œil accidentels qu'il les doit : germes précieux, qui fe développent tôt ou tard pour le bonheur du genre humain.

Epicure avoit trente-fept ans lorfqu'il reparut dans Athenes: il fut dif ciple du platonicien Pamphile, dont il méprifa fouverainement les vifions: il ne put fouffrir les fophifmes perpétuels de Pyrrhon: il fortit de l'école du pythagoricien Naufiphanès, mécontent des nombres & de la métempfycofe. Il connoiffoit trop bien la nature de l'homme & fa force, pour s'accommoder de la févérité du ftoïcisme. Il s'occupa à feuilleter les ouvrages d'Anaxagore, d'Archelaüs, de Metrodore & de Démocrite; il s'attacha particuliérement à la philofophie de ce dernier, & il en fit les fondemens de la fienne.

On fe rendoit dans fes jardins de toutes les contrées de la Grece, de l'Egypte & de l'Afie: on y étoit attiré par fes lumieres & par fes vertus, mais fur-tout par la conformité de fes principes avec les fentimens de la nature. Tous les philofophes de fon temps fembloient avoir confpiré contre les plaifirs des fens & contre la volupté: Epicure en prit la défense; & la jeuneffe Athénienne, trompée par le mot de volupté, accourut pour l'entendre. Il ménagea la foibleffe de fes auditeurs; il mit autant d'art à les retenir qu'il en avoit employé à les attirer; il ne leur développa fes principes que peu à peu. Les leçons fe donnoient à table ou à la prome nade; c'étoit ou à l'ombre des bois, ou fur la molleffe des lits, qu'il leur infpiroit l'enthousiasme de la vertu, la tempérance, la frugalité, l'amour du bien public, la fermeté de l'ame, le goût raisonnable du plaisir, & le mépris de la vie.

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Epicure dans fes nombreux écrits, dont il ne nous refte aucun, faifoit pas, dit-on, affez de cas de cette élégance à laquelle les Atheniens étoient fi fenfibles; il fe contentoit d'être vrai, clair & profond. Il fut chéri des grands, admiré de fes rivaux, & adoré de fes difciples: il reçut dans fes jardins plufieurs femmes célébres. Outre Léontium, maîtreffe de Métrodore, dont on a parlé plus haut, on y vit Thémifte, femme

de Léontius; Philenide, une des plus honnêtes femmes d'Athenes; Néci die, Erotie, Hédie, Marmarie, Bodie, Phédrie, &c. fes concitoyens, les hommes du monde les plus enclins à la médifance, & de la fuperftition la plus ombrageufe, ne l'ont accufé ni de débauche ni d'impiété.

Če philofophe ruina fa fanté à force de travailler dans les derniers temps de fa vie il ne pouvoit ni fupporter un vêtement, ni defcendre de fon lit, ni fouffrir la lumiere, ni voir du feu. Il urinoit le fang; fa veffie fe fermoit peu à peu par les accroiffemens d'une pierre cependant il écrivoit à un de fes amis que le fpectacle de fa vie paffée fufpendoit fes douleurs.

La philofophie Epicurienne fut poffédée fans interruption, depuis fon inftitution jufqu'au temps d'Augufte; elle fit dans Rome les plus grands progrès. La fecte y fut compofée de la plupart des gens de lettres & des Hommes-d'Etat; Lucrece, chanta l'Epicuréifme, Celfe le profeffa fous Adrien, Pline-le-naturalifte fous Tibere: les noms de Lucien & de Diogene Laerce font encore célébres parmi les Epicuriens.

ÉPREUVE, f. f.

NOUS entendons ici par ce mot, la maniere de juger & de décider

de la vérité ou de la fauffeté des accufations en matiere criminelle, reçue & fort en usage dans les IXme, Xme, & XIme, fiecles qui a même fubfifté plus long-temps dans certains pays, & qui eft heureusement abolie.

Ces jugemens étoient nommés jugemens de Dieu, parce que l'on étoit perfuadé que l'événement de ces Epreuves, qui auroit pu, en toute autre occafion, être imputé au hafard, étoit dans celle-ci un jugement formel, par lequel Dieu faifoit connoître clairement la vérité en puniffant le coupable.

Il y avoit plufieurs efpeces d'Epreuves mais elles fe rapportoient toutes à trois principales; favoir le ferment, le duel, & l'ordalie ou Epreuve par les élémens.

L'Epreuve par ferment, qu'on nommoit auffi purgation canonique, fe faifoit de plufieurs manieres : l'accufé qui étoit obligé de le prêter, & qu'on nommoit jurator ou facramentalis, prenoit une poignée d'épis, les jettoit en l'air, en atteftant le ciel de fon innocence: quelquefois une lance à la main, il déclaroit qu'il étoit prêt à foutenir par le fer ce qu'il affirmoit par ferment; mais l'ufage le plus ordinaire, & le feul qui fubfifta le plus long-temps, étoit de jurer fur un tombeau, fur des reliques, fur l'autel, fur les évangiles. On voit par les loix de Childebert, par celles des Bourguignons & des Frifons, que l'accufé étoit ad

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