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lorfque vous ferez tous enfevelis dans le vin & dans la débauche? « Excellent trait de fatyre qui ne pouvoit manquer de faire fon effet.

Lorfqu'il fut à la tête du gouvernement de fa patrie, Artaxercès qui recherchoit l'alliance des Thébains, lui envoya de riches préfens. Mais Epaminondas, fans vouloir feulement permettre que l'ambaffadeur du roi de Perfe les lui préfentát, le renvoya en lui difant : » Si votre maître ne dé» fire rien que d'avantageux à ma république, il n'eft pas néceffaire qu'il » me follicite; mais fi fes intentions font contraires à mes devoirs, faites-. lui favoir qu'il n'eft pas affez riche pour acheter mon fuffrage. «

Il étoit perfuadé, avec raifon, que les richeffes corrompent tous ceux qui les recherchent. Un de fes écuyers ayant un jour reçu contre fon ordre une groffe fomme pour la rançon d'un prifonnier, Epaminondas le fit venir devant lui: » Rends-moi mon bouclier, lui dit-il avec indignation, & »vas paffer le refte de ta vie dans le vin & dans la débauche. C'eft fans » doute ce que tu t'es propofé en amaffant injuftement de grandes ri» cheffes. Elles t'attachent trop pour que tu puiffes déformais t'exposer à » la guerre, comme tu faifois lorfque tu étois pauvre. «<

Epaminondas avoit d'abord porté les armes en faveur de Lacédémone, alliée de Thebes. Mais la jaloufie & la rivalité ayant fait naître des divisions entre ces deux républiques, elles fe déclarerent la guerre. Epaminondas reçut de fa patrie le commandement des troupes. Le général Thébain avoit non-feulement à combattre la timidité de fes foldats, mais encore tous les augures qui fembloient leur promettre de mauvais fuccès. Ne pouvant élever les Thébains jufqu'à lui, il chercha à diffiper leur crédulité par des préfages contraires. Il les raffura en leur difant avec Homere, que lorfque l'on combattoit pour fon pays, la bonté & la juftice d'une telle cause étoient les feuls augures que l'on devoit confulter. Les miniftres des dieux paroiffoient néanmoins toujours oppofés à ce qu'on entreprit cette guerre, & les Thébains étoient déjà en préfence des Lacédémoniens, lorfque le ciel, qui étoit pur & ferain, s'obscurcit en un inftant; les nuées s'enflammerent, & un violent coup de tonnere fe fit entendre. » Douterez-vous encore de la volonté des dieux, dirent à Epaminondas les plus confidérables d'entre » les anciens; que penfez-vous de cet éclat horrible? Je pense, répondit le général Thébain en confidérant le camp des Lacédémoniens, qu'il faut que nos ennemis aient perdu la tête pour fe pofter fi mal, lorfqu'ils avoient à choifir tant de fituations avantageufes.

La confiance d'Epaminondas en infpira aux Thébain Ils remporterent fur leurs ennemis l'an 371 avant Jesus-Chrift, la bataille de Leuctres fi célébre dans l'hiftoire des Grecs. Le général Thébain fit éclater dans cette action toutes les reffources de fon génie & toute la bonté de fon cœur. » Ce qui me flatte le plus fenfiblement dans la victoire de Leuctres, di» foit-il, c'eft de l'avoir remportée du vivant de mon pere & de ma

mere. «

Epaminondas, pour affurer le fruit de fa victoire, entra dans la Laconie avec fon armée victorieufe, & foumit la plupart des villes du Péloponefe. Il méritoit des couronnes pour les fervices qu'il rendoit à fa patrie; lorfqu'il y rentra, on le reçut comme un criminel d'Etat. Il avoit gardé le commandement des troupes quatre mois au-delà du temps prefcrit par les loix, crime capital dans une république. Epaminondas ne l'ignoroit pas; mais il favoit auffi que quand l'intérêt de la patrie parloit, il devoit être feul écouté c'eft ce que le général Thébain ofa dire à fes concitoyens. Mais voyant que fes ennemis avoient tout mis en œuvre pour irriter fes juges contre lui, & qu'il alloit être condamné à mort, il s'accufa lui-même de la faute qu'il avoit faite de n'avoir pas obéi à la loi, & confentit, puifqu'il le falloit, à fervir d'exemple : » Mais avant que de mourir, ô Thé» bains! fouffrez que je vous faffe une priere: Que la poftérité, en appre»nant mon fupplice, en apprenne auffi la caufe. Je meurs pour vous avoir » heureusement conduit dans la Laconie, où nul ennemi n'avoit pu péné» trer avant vous; je meurs pour avoir porté dans fes villes & dans fes cam>>pagnes la défolation que fon armée avoit fait fentir la premiere à notre » patrie; je meurs pour avoir rétabli les Mefféniens, pour avoir réuni les » Arcadiens, pour avoir ruiné les Lacédémoniens; je meurs enfin pour » vos victoires, pour vos conquêtes, & pour avoir augmenté votre puif>> fance; voilà tous les crimes qui me condamnent. Je ne regretterai point » la vie fi vous laiffez à moi feul la gloire de toutes ces grandes actions, » & fi vous déclarez par un monument confacré à la poftérité, qu'elles ont » été faites de mon chef & fans votre aveu. « Tous les juges refterent interdits & confus, & Epaminondas fortit de ce tribunal, comme il avoit coutume de fortir des combats, couvert de gloire, & généralement applaudi. Cornelius Nepos.

Les démarches d'Epaminondas avoient toujours pour but d'affranchir les Thébains & les Grecs en général de la dépendance de l'orgueilleufe Lacédémone. Les Lacédémoniens ayant épousé la querelle des Mantinéens contre ceux de Tézée, il fit déclarer les Thébains pour ces derniers, afin de donner à fes concitoyens une occafion favorable de pourfuivre leur fupériorité fur Lacédémone. On lui remit le commandement général des troupes, & lors de la bataille qui fe donna dans les plaines de Mantinée, comme la victoire balançoit des deux côtés, Epaminondas, pour la faire déclarer en fa faveur, fe jetta avec l'élite de fes troupes au milieu de la mêlée. Il y fut bleffé martellement d'un coup de javelot. Les Thébains l'enleverent auffi-tôt malgré la vigoureufe réfiftance des Spartiates, & l'emporterent dans fa tente. Les médecins ayant vifité fa plaie, déclarerent qu'il expirera dès que l'on arrachera le trait de fon corps. Il demanda où étoit fon bouclier, c'étoit un déshonneur de le perdre dans le combat: on le apporte; il arrache le trait lui-même.

lui

Quelques momens auparavant, s'étant informé du fort de cette journée,

les

les Thébains, lui répondit-on, font victorieux. » J'ai donc affez vêcu, dit-il, puifque je laiffe Thebes triomphante, la fuperbe Sparte humiliée, & la » Grece délivrée du joug de la fervitude. <<<

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Ses amis paroiffant affligés de ce qu'il ne laiffoit point d'enfans qui pusfent le faire revivre; » confolez-vous, leur dit tranquillement Epaminondas >> expirant, je laiffe après moi deux filles immortelles, la victoire de Leu» Etres & celle de Mantinée. «<

СЕ

ÉPARGNE, f. f.

E mot fignifie quelquefois le tréfor du prince, tréforier de l'Epargne, les deniers de l'Epargne, &c.

Epargne en ce fens n'eft plus guere d'ufage; on dit plutôt aujourd'hui tréfor royal.

Epargne, dans le fens le plus vulgaire, eft une dépendance de l'économie; c'eft proprement le foin & l'habileté néceffaires pour éviter les dépenfes fuperflues, & pour faire à peu de frais celles qui font indifpenfables. Au refte les termes d'Epargne & d'économie énoncent à-peu-près la même idée; & on les employera indifféremment dans cet article, fuivant qu'ils paroîtront plus convenables pour la jufteffe de l'expreffion.

& dans

L'Epargne économique a toujours été regardée comme une vertu, le paganifme, & parmi les chrétiens; il s'eft même vu des héros qui l'ont conftamment pratiquée: cependant, il faut l'avouer, cette vertu eft trop modefte, ou, fi l'on veut, trop obfcure pour être effentielle à l'héroïsme; peu de héros font capables d'atteindre jufques-là. L'économie s'accorde beaucoup mieux avec la politique; elle en eft la bafe, l'appui, & l'on peut dire en un mot qu'elle en eft inféparable. En effet, le miniftere eft proprement le foin de l'économie publique : auffi Mr. de Sully, ce grand miniftre, cet économe fi fage & fi zélé, a-t-il intitulé fes mémoires, Economies royales, &c.

L'Epargne économique s'allie encore parfaitement avec la piété, elle en eft la compagne fidele; c'eft là qu'une ame chrétienne trouve des reffources affurées pour tant de bonnes œuvres que la charité prescrit.

Quoiqu'il en foit, il n'eft peut-être pas de peuple aujourd'hui moins amateur ni moins au fait de l'Epargne, que les François; & en conféquence il n'en eft guere de plus agité, de plus expofé aux chagrins & aux miferes de la vie. Au refte, l'indifférence ou plutôt le mépris qu'ils ont pour cette vertu, leur eft infpiré dès l'enfance par une mauvaise éducation, & furtout par les mauvais exemples qu'ils voient fans ceffe. On entend louer perpétuellement la fomptuofité des repas & des fêtes, la magnificence des habits, des appartemens, des meubles, &c. Tout cela eft repréfenté, nonTome XVIII.

I

feulement comme le but & la récompenfe du travail & des talens, mais fur-tout comme le fruit du goût & du génie, comme la marque d'une ame noble & d'un efprit élevé.

D'ailleurs, quiconque a un certain air d'élégance & de propreté dans tout ce qui l'environne; quiconque fait faire les honneurs de fa table & de fa maison, paffe à coup sûr pour homme de mérite & pour galant homme, quand même il manqueroit effentiellement dans le refte.

Au milieu de ces éloges prodigués au luxe & à la dépenfe, comment plaider la caufe de l'Epargne? Aufli ne s'avife-t-on pas aujourd'hui dans un difcours étudié, dans une inftruction, dans un prône, de recommander: le travail, l'Epargne, la frugalité, comme des qualités eftimables & utiles. Il eft inoui qu'on exhorte les jeunes gens à renoncer au vin, à la bonnechere, à la parure, à favoir fe priver des vaines fuperfluités, à s'accoutumer de bonne heure au fimple néceffaire. De telles exhortations paroîtroient baffes & mal-fonnantes; elles font néanmoins bien conformes aux maximes de la fageffe, & peut-être feroient-elles plus efficaces que toute autre morale, pour rendre les hommes réglés & vertueux. Malheureusement elles ne font point à la mode parmi nous, on s'en éloigne-même tous les jours de plus en plus; par-tout on infinue le contraire, la molleffe & les commodités de la vie. Je me fouviens que dans ma jeunesse on remarquoit avec une forte de mépris les jeunes gens trop occupés de leur parure; aujourd'hui on regarderoit avec mépris ceux qui auroient un air fimple & négligé. L'éducation devroit nous apprendre à devenir des citoyens utiles, fobres, défintéreffés, bienfaifans qu'elle nous éloigne aujourd'hui de ce grand but! elle nous apprend à multiplier nos befoins, & par-là elle nous rend plus avides, plus à charge à nous-mêmes, plus durs & plus inutiles aux autres.

Qu'un jeune homme ait plus de talent que de fortune, on lui dira tout au plus d'une maniere vague, qu'il doit fonger tout de bon à fon avancement; qu'il doit être fidele à fes devoirs, éviter les mauvaises compagnies, la débauche, &c. mais on ne lui dira pas, ce qu'il faudroit pourtant lui dire & lui répéter fans ceffe, que pour s'affurer le néceffaire & pour s'avancer par des voies légitimes, pour devenir honnête homme & citoyen vertueux, utile à foi & à fa patrie, il faut être courageux & patient travailler fans relâche, éviter la dépenfe, méprifer également la peine & le plaifir, & fe mettre enfin au-deffus des préjugés qui favorisent le luxe, la diffipation & la molleffe.

On connoît affez l'efficacité de ces moyens : cependant comme on attache mal à propos certaine idée de baffeffe à tout ce qui fent l'Epargne & l'économie, on n'oferoit donner de femblables confeils, on croiroit prêcher l'avarice; fur quoi je remarque en paffant, que de tous les vices combattus dans la morale, il n'en eft pas de moins déterminé que celui-ci.

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On nous dépeint fouvent les avares comme des gens fans honneur & fans humanité, gens qui ne vivent que pour s'enrichir, & qui facrifient tour à la paffion d'accumuler; enfin comme des infenfés, qui, au milieu de l'abondance, écartent loin d'eux toutes les douceurs de la vie, & qui fe refufent jufqu'au rigide néceffaire. Mais peu de gens fe reconnoiffent à cette peinture affreufe; & s'il falloit toutes ces circonftances pour conftituer l'homme avare, il n'en feroit prefque point fur la terre. Il fuffit pour mériter cette odieufe qualification, d'avoir un violent défir des richeffes, & d'être peu fcrupuleux fur les moyens d'en acquérir. L'avarice n'est point effentiellement unie à la léfine, peut-être même n'eft-elle pas incompatible avec le fafte & la prodigalité.

Cependant, par un défaut de jufteffe, qui n'eft que trop ordinaire, on traite communément d'avare l'homme fobre, attentif & laborieux, qui, par fon travail & fes Epargnes, s'éleve infenfiblement au-deffus de fes femblables; mais plût au ciel que nous euffions bien des avares de cette efpece! la fociété s'en trouveroit beaucoup mieux, & l'on n'effuyeroit pas tant d'injuftices de la part des hommes. En général ces hommes refferrés, fi l'on veut, mais plutôt ménagers qu'avares, font prefque toujours d'un bon commerce; ils deviennent même quelquefois compatiffans; & fi on ne les trouve pas généreux, on les trouve au moins affez équitables. Avec eux enfin on ne perd prefque jamais, au-lieu qu'on perd le plus fouvent avec les diffipateurs. Ces ménagers, en un mot, font dans le fyftême d'une honnête Epargne, à laquelle nous prodiguons mal-à-propos le nom d'avarice.

Les anciens Romains plus éclairés que nous fur cette matiere, étoient bien éloignés d'en ufer de la forte; loin de regarder la parcimonie comme une pratique baffe ou vicieuse, erreur trop commune aujourd'hui, ils l'identifioient, au contraire, avec la probité la plus entiere; ils jugeoient ces vertueufes habitudes tellement inféparables, que l'expreffion connue de vir frugi, fignifioit tout à la fois, chez eux, l'homme fobre & ménager, l'honnéte homme & l'homme de bien.

L'Efprit-Saint nous préfente la même idée; il fait en mille endroits. l'éloge de l'économie; & par-tout il la diftingue de l'avarice. Il en marque la différence d'une maniere bien fenfible, quand il dit d'un côté qu'il n'eft rien de plus méchant que l'avarice, ni rien de plus criminel que d'aimer l'argent, Ecclefiaft. x, 9, 20, & que de l'autre il nous exhorte au travail, à l'Epargne, à la fobriété, comme aux feuls moyens d'enrichiffement; lorfqu'il nous représente l'aifance & la richeffe comme les heureux fruits d'une vie fobre & laborieuse.

Allez, dit-il au pareffeux, allez à la fourmi, & voyez comme elle ramaffe dans l'été de quoi fubfifter dans les autres faifons. Prov. vj, 6. Celui, dit-il encore, qui eft lâche & négligent dans fon travail, ne vaut guere mieux que le diffipateur. Prov. xviij, 9.

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