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bonne-foi, & les mettre en état de rétablir leur commerce & leur fortune; ou, ce qui feroit plus magnanime, plus digne de cette nation & plus heureux encore pour le commerce & pour l'humanité, elle fondera peut-être un jour une caiffe publique pour prévenir les Faillites de bonne-foi, en prêtant des fecours fuffifans fur un bilan fecret.

Mais pendant que l'Angleterre traite la Faillite de bonne-foi avec tant de douceur & d'humanité, on pourroit dire avec tant de juftice & de raifon la loi qui décide du fort du banqueroutier frauduleux, y eft auffi rigoureuse qu'en aucun autre endroit du monde, & toujours févérement exécutée. Aucun crédit, aucune confidération, aucune puiffance n'y peut fouftraire à la févérité de la loi, & il eft rare qu'on parvienne à éluder P'exécution. Si l'on voit un grand nombre de Faillites en Angleterre, ce n'eft que dans un ordre de citoyens qu'on ne peut mettre au rang des négocians. Les liftes qu'on en publie tous les mois, ne font compofées prefqu'entiérement que de petits détailleurs & d'artisans, tant de Londres, que de différentes villes d'Angleterre.

On ne porte point chez cette nation fur cette matiere la févérité des loix à un excès inutile, injufte & deftructif. On y diftingue avec plus de foin & d'exactitude la fraude de la bonne-foi; on y connoît mieux le prix d'un citoyen induftrieux, l'intérêt que l'Etat prend à fa confervation, & la néceffité de refpecter les droits de l'humanité dans le cas où la févérité de la loi ne feroit que détruire fans édifier.

L'utilité de l'inftruction du jeune négociant, & l'intérêt de l'humanité & du commerce en général, nous autorifent à faire encore ici en peu de mots quelques obfervations particulieres. Des intérêts fi importans ne fau→ roient être trop développés.

Les loix des Grecs défendoient de prendre en gage ou de faifir les ar mes & la charrue d'un homme, & permettoient de prendre l'homme même. On trouve la même contradiction dans les loix de France. Une loi défend expreffément la faifie non-feulement de la charrue, mais de tout ce qui fert au labourage; & une autre défend la faifie des moulins, métiers, outils, inftrumens, &c. qui fervent à la fabrication des toiles, & des étoffes de laine, pendant que d'autres loix permettent de faire emprisonner le laboureur & le fabriquant.

En France le négociant qui a failli, perd en partie fon état : il peut continuer le commerce, mais il eft exclu des honneurs qui appartiennent aux négocians. S'il parvient cependant à force d'induftrie & de travail à payer entiérement fes créanciers, la même loi le réhabilite alors & l'admet de nouveau dans l'affemblée générale des négocians, & à participer aux honneurs du commerce. Cette loi évidemment dictée par l'équité naturelle, par l'humanité & par l'amour éclairé de l'intérêt public, eft une démonftration frappante de l'injuftice & de la dureté deftructive de la loi qui autorise les créanciers de ce même négociant failli de bonne-foi, à le retenir

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retenir dans des liens perpétuels. A laquelle de ces deux loix chez la même nation, donnera-t-on la préférence? Eft-elle dûe à la loi qui conserve, qui édifie, ou à celle qui détruit fans néceffité, fans objet, fans aucun avantage pour les créanciers, ni pour le public? Comment le législateur a-t-il pû efpérer que le négociant failli de bonne-foi feroit valoir de nouveau fon induftrie, rétabliroit fa fortune, payeroit enfuite fes créanciers, & ordonner en conféquence impérieufement fon rétabliffement dans les honneurs du commerce, après avoir autorifé par une autre loi fes créanciers à le retenir dans des liens perpétuels? Des loix fi contraires fur le commerce ne préfentent-elles pas le même excès d'injuftice, que celles qui défendent de faifir la charrue, & permettent l'emprisonnement du la

boureur ?

On ne fauroit donc trop s'attacher à diftinguer dans les affaires de com merce la fraude de la bonne-foi, ni infpirer trop de douceur, trop d'humanité aux créanciers d'un failli de bonne-foi. C'est à eux à fuppléer par leur vertu, par l'équité de leur conduite, au défaut d'une légiflation fi imparfaite. La loi naturelle leur en fait un devoir effentiel.

C'eft fur ces principes que nous voulons que le jeune négociant apprenne à diriger fa conduite, lorfqu'il fe trouvera intéreffé dans une Faillite, foit pour fon compte, foit pour compte d'ami & comme chargé de pouvoir. II doit prévoir qu'il peut un jour être expofé au même naufrage, quelque attention qu'il ait pour le prévenir; & s'il eft affez prudent, ou affez heureux pour l'éviter, il ne doit jamais oublier que les hommes font naturellement #foibles, fans ceffe menacés de mille accidens, fur-tout dans le commerce, & que rien n'eft plus refpectable qu'un homme malheureux, qui n'eft que malheureux. Et qui eft-ce qui eft plus à plaindre qu'un négociant, qui par des accidens au-deffus de fa prévoyance, perd en un inftant, fa réputation, fon honneur, fon crédit & fa fortune?"

Si on pouvoit indiquer à un négociant le moyen de ne jamais perdre, on lui donneroit infailliblement celui de n'être jamais expofé à manquer, ainfi que celui de n'avoir jamais d'intérêt pour fon compte compromis dans une Faillite. Mais on fait qu'il n'eft point d'affaire de commerce qui donne un bénéfice certain, qui ne foit accompagnée au moins de quelque forte de rifque. Cependant un négociant qui connoît bien les branches de commerce dans lefquelles il travaille, qui fait affeoir fes fpéculations fur des principes folides, qui tient fes écritures, fa correspondance, en un mot toutes fes affaires dans un grand ordre, qui ne s'écarte point des regles d'une bonne économie; qui ne fe laiffe point féduire par l'appât d'une fortune rapide, pour former d'entreprise au-deffus de fes forces, & qui fait bien divifer fes rifques, ne fera jamais dans la malheureufe & humiliante néceffité de manquer, à moins qu'il ne lui furvienne plufieurs pertes à la Fois, & de ces événemens fort rares qu'on regarde comme étant au-deffus de toute prévoyance humaine. Il ne lui fera pas fi facile d'éviter d'avoir Tome XVIIL

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des intérêts dans des Faillites. Un habile négociant voit toujours clair dans fes propres affaires : il travaille toujours en conféquence d'une fituation connue; fa prudence lui dicte fa marche fur des principes certains. Il fait ce qu'il peut rifquer, ce qu'il peut entreprendre; parce qu'il voit dans fon propre fonds quelle fomme il peut perdre fans en être dérangé, & il ne rifque point au-delà. Mais que voit-il dans les affaires d'un négociant auquel il donne un crédit, car il faut que le négociant en donne, fans cela le commerce feroit impraticable, ou fi borné qu'il ne mériteroit pas ce nom? Il n'a de mefure que la réputation, quelquefois mal-fondée, d'un correfpondant, & la connoiffance d'une bonne conduite, souvent trompeufe; la fcience du négociant n'eft ici qu'une fcience conjecturale. Toutes les précautions qu'il peut prendre, ne lui adminiftrent que des probabilités, fur lefquelles cependant il doit fonder le crédit qu'il donne & prefcrire les limites de ce crédit. Il ne faut point demander ici de fureté phyfique il ne peut pas y en avoir. On a dans le commerce trop d'exemples de Faillites des maifons les plus puiffantes, ou qui du moins en avoient la réputation, pour qu'il ne foit pas de la fageffe d'un négociant de compter toujours fur une forte d'incertitude. De-là la néceffité de pratiquer exactement la maxime, qu'il faut divifer fes rifques; mais l'ufage feul de cette maxime ne fuffit pas. Il faut encore affurer fes rif ques, dont le négociant ne doit jamais le départir : il faut encore en ajouter d'autres qui ne demandent ni moins de lumieres ni moins de fageffe, ni moins d'attention, & qui font valoir tous les avantages de cette pre

miere maxime.

Les autres précautions à prendre par un négociant pour prévenir les pertes que donnent des Faillites, confiftent donc dans le choix des correfpondans, dans une grande connoiffance de leurs forces & de leurs talens, du commerce & des entreprises qu'ils font, de leur réputation fur leur place tout cela exige une obfervation fuivie & foutenue par de fréquens avis, & que le négociant tienne même chez lui fecrétement fur ce fujet des notes très-exactes. Si malgré toutes ces précautions, il arrive fréquemment à des négocians refpectables par leur intelligence & leur fageffe, de perdre par des Faillites, on peut juger de-là combien ces précautions font néceffaires, & même qu'elles ne fauroient être trop recherchées pour écarter, autant qu'il eft poffible, les rifques qui accompagnent toujours l'ufage du crédit, & ne laiffer au hafard que ce qu'il eft impoffible à la prudence de lui ôter.

Pour remplir parfaitement cet objet important, rien n'eft plus utile & plus néceffaire que les voyages. Nous n'envifageons ici l'utilité des voyages qu'à l'égard de cet objet feul; c'eft-à-dire, que pour l'avantage qu'ils donnent, bien fupérieur à celui de la meilleure correfpondance, de faire un bon choix de correfpondans, de les bien connoître, de placer folidement fa confiance, & de s'affurer les avis néceffaires, foit pour l'entretenir, foir

pour l'étendre, la reftreindre ou la retirer tout-à-fait fuivant les circonftances. Ce n'eft qu'à cette branche particuliere de l'utilité des voyages que nous nous attachons ici. Cette utilité a un nombre infini d'autres branches, que nous préfenterons au jeune négociant, en lui mettant fous les yeux les différentes branches de commerce dont il pourra s'occuper.

S'il eft poffible de connoître avec quelque exactitude le mérite & la va leur des maifons de commerce, c'eft dans leur domicile, c'est là où eft le fiege de leurs affaires & de leur fortune. On dit à Londres, telle maison vaut cent mille livres : à Amfterdam, tels & compagnie font pour cinquante ou foixante millions d'affaires. Ces notions font bonnes, mais trop générales & trop vagues pour devoir s'y borner. Le négociant voyageur qui aura de bonnes recommandations, toujours néceffaires dans les voyages, & qu'il eft facile de fe procurer, trouvera avec un peu de foin, chaque négociant, pour peu que la place foit commerçante, apprécié fuivant à peu près la quantité d'affaires qu'il fait, fuivant fon crédit, fa fageffe, fon économie & fon habileté. Malgré la concurrence, malgré la jaloufie qui n'a malheureusement que trop d'empire dans les places de commerce, furtout dans les places où le commerce décheoit, comme Amfterdam; il s'affurera facilement du vrai degré d'eftime & de confiance que mérité chaque maifon. Car il eft rare de trouver dans le commerce un négociant, même jaloux, qui ne rende pas une juftice exacte aux autres négocians de fa place. La vérité eft fi facrée chez le bon négociant, qu'elle n'y reçoit point les atteintes de la paffion & de l'intérêt. Il lui échappe difficilement une vérité qui pourroit nuire au crédit d'une maison, & s'il eft obligé de s'expliquer, c'eft avec une fage circonfpection, avec un ménagement infini mais il ne retranche rien d'une vérité utile; s'il peut donner avec juftice un fuffrage avantageux, son fuffrage eft ferme & fans restriction; & il l'accorde également à une maison rivale, jaloufe ou ennemie. On fent ici fans doute combien il feroit difficile d'acquérir en ce genre par la feule voie de la correfpondance, avec quelque exactitude, les connoiffances néceffaires pour le choix des correspondans, & combien il y a à gagner à faire ce choix en perfonne.

nues,

Mais ce choix fait ainfi avec les plus fages précautions & les plus grands foins, le crédit que le négociant doit donner à fon correfpondant, limité fur une réputation, fur une intelligence & des affaires, également confur un crédit justement apprécié, il peut furvenir des événemens qui engagent à étendre les limites de la confiance, à la reftreindre, à la fufpendre ou à la retirer. La maifon peut être ébranlée par des pertes, une raifon nouvelle fuccede à l'ancienne; un affocié qui fe fépare, ou fe retire du commerce, l'appauvrit quelquefois. Il arrive fouvent encore que de jeunes négocians fuccedent à une maifon ancienne, dont ils foutiennent mal la réputation; d'autres la foutiennent bien & l'honorent; d'autres enfin l'augmentent infiniment le commerce en préfente une infinité

d'exemples. Mille autres circonftances dont le détail feroit infini, intéresfent la confiance du négociant: c'eft ce qui doit engager le négociant qui voyage à s'affurer les moyens d'obtenir des avis exacts fur tous les événemens qui arrivent chez fes correfpondans, des avis fur lefquels il puiffe fe régler. Il ne doit donc pas fe borner à une liaison ifolée; il doit s'attacher plus d'une maifon, & multiplier le plus qu'il eft poffible le nombre des bons correfpondans, en exiger de fréquens avis, & leur prêter une extrême attention. Dans le choix il doit préférer une maison dirigée par deux affociés, ou par un plus grand nombre, à celle qui n'eft conduite que par un feul négociant, car il eft rare qu'un homme ait affez de capacité, d'activité, de talens & de fanté tout ensemble pour foutenir feul le poids du travail qu'exige, fur-tout dans une grande place, le commerce d'une maifon de la premiere, même de la feconde claffe. Lorfqu'une maison eft foutenue par les talens, par l'intelligence, par l'affiduité & par le travail de deux ou trois affociés, on peut raifonnablement compter fur un plus grand ordre, fur plus d'exactitude, fur une expédition plus prompte, fur une marche mieux réfléchie & plus affurée; en un mot, fur tout ce qui peut faire profpérer plus fûrement les affaires de

commerce.

Ce n'eft pas affez que d'avoir bien établi une bonne correfpondance, qu'il faut regarder comme une des principales colonnes d'une maison de commerce; il faut encore donner des foins affidus à l'entretenir, & ces foins demandent quelquefois de nouveaux voyages. Le négociant ne doit point borner là fon attention, il doit la porter jufques à la connoiffance la plus grande des principales maifons de chaque place, de leur crédit, de leur fignature, de leur raison. Cette connoiffance lui fera d'une utilité infinie, foit pour connoître la folidité des lettres qu'on lui préfente, foit pour répondre à des offres de fervices, ou à des propofitions d'affaires, ou de correfpondances à établir. Car il faut regarder comme de fages maximes dans la pratique du commerce, que la correfpondance d'une bonne maifon eft toujours utile; & qu'un mauvais négociant n'enrichit perfonne, & fe ruine lui-même.

Le négociant, qui a fû prendre toutes ces précautions, ne peut point encore fe promettre qu'il eft à l'abri de tout intérêt dans des Faillites. If n'y a point de moyens de l'éviter d'une certitude infaillible: ou il faut après cela s'élever au-deffus de la crainte & de l'inquiétude, ou renoncer au commerce. Mais avec le fecours de ces précautions bien prifes, on peut affurer le négociant qu'il ne courra point de risque capable d'ébranler fa fortune, ni même de lui faire refferrer les limites de fon commerce. Il y a dans les grandes places de commerce, des maifons que la fageffe de leur conduite a mifes en état d'apprécier leurs rifques avec affez de précifion, pour établir chez elles une caiffe particuliere, fous le nom de caiffe morte, qui ne s'ouvre que pour recevoir chaque année une fomme

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