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Entrepôts, d'être inftruit des abus qui s'y commettent fur les marchandi-. fes. Il n'eft pas moins intéreffant pour le jeune négociant d'un Entrepôt à qui les ordres font adreffés, qui fe livre au commerce de commiffion, ou qui fpécule pour fon propre compte, d'avoir des connoiffances exactes de toutes les fupercheries contre lefquelles il a à fe défendre.

Un négociant inftruit peut aller faire lui-même ses achats dans les Entrepôts, mais quelles que foient fes lumieres, il ne lui conviendra jamais. d'y aller faire fes ventes. S'il y accompagne fes marchandifes, & qu'au lieu de les faire vendre pour commiffion, il veuille les vendre lui-même, il est à la difcrétion des courtiers qui lui procurent infailliblement une vente pour ainfi dire forcée, avec beaucoup de perte fur fon capital. L'intérêt de l'étranger eft toujours en ce cas facrifié à celui de quelque négociant domicilié.

Il y auroit une fouveraine injuftice à croire qu'il n'y ait pas un grand nombre de négocians dans les Entrepôts, dont on ne fauroit foupçonner, la bonne-foi & la probité il y en a certainement beaucoup qui ajoutent à la plus exacte droiture, de grandes lumieres & une expérience confommée dans les affaires de commerce. Mais comme il y a dans la plupart des Entrepôts prefqu'autant de négocians ou de marchands, que d'habitans, il n'eft pas poffible qu'il ne fe trouve dans la multitude, des gens qui ne diftinguent point le gain illicite du gain légitime.

Le jeune négociant ne doit pas négliger la connoiffance des ouvrages de l'induftrie, qui préfente fouvent de grands objets à la fpéculation. Le commerce de commiffion s'étend également fur le produit des manufactures, & beaucoup de négocians s'enrichiffent à en tenir des magafins affortis. La connoiffance des manufactures eft encore néceffaire au négociant, pour spéculer utilement fur les matieres premieres & fur les drogues propres à, la teinture. Voyez COMMERCE, COMMISSION ( Commerce de)

ENTREPRENEUR

f. m.
Celui qui fe charge d'un ouvrage
quelconque.

LES Entrepreneurs doivent répondre des défauts caufés par leur ignorance; car ils doivent favoir faire ce qu'ils entreprennent, & c'eft leur, faute s'ils ignorent leur profeffion.

Si l'Entrepreneur eft obligé de fournir quelque matiere, comme un architecte chargé de fournir les matériaux, il doit la donner bien conditionnée, & répondre même des défauts qu'il ignore; car il eft tenu de donner bon ce qu'il doit donner, comme celui qui loue une chofe eft obligé de la donner telle qu'elle doit être pour fon ufage.

L'ouvrier ou artifan qui prend une chofe en fa puiffance pour y tra

vailler, & celui qui fe charge fimplement de garder quelque chofe moyens nant un prix, comme celui qui prend du bétail en garde, doivent conferver ce qui leur eft confié avec tout le foin poffible aux plus vigilans. Et fi, faute d'un tel foin, la chofe périt, même par un cas fortuit, ils en feront tenus, comme fi elle eft dérobée, ou brûlée, ou endommagée, faute d'avoir été mife dans un lieu fûr, ou d'avoir été bien gardée. Et il en feroit de même fi un ouvrier ayant des chofes à plufieurs perfonnes, avoit donné à l'un ce qui étoit à un autre, quoique par mégarde.

Si ce qui eft donné à un ouvrier pour y travailler, périt entre fes mains fans fa faute, mais par le défaut de la chofe même, comme fi une améthyfte donnée à graver vient à fe brifer fous la main du graveur par quelque défaut de la matiere, il n'en fera pas tenu, fi ce n'eft qu'il eût entrepris l'ouvrage à fes périls.

Les voituriers par terre & par eau, & ceux qui entreprennent de tranfporter des marchandises ou d'autres chofes, font tenus de la garde, voiture & tranfport des chofes dont ils fe chargent, & d'y employer toute l'application & tout le foin poffible. Et fi quelque chofe périt ou eft endommagée par leur faute, ou celle des perfonnes qu'ils emploient, ils en doivent répondre.

S'il eft convenu qu'un ouvrage fera au gré du maître, ou à l'arbitrage d'une perfonne qu'on aura nommée, l'ouvrier ne fera tenu que de le rendre bon au dire d'experts; car ces fortes de conventions renferment la condition, que ce qui fera réglé fera raifonnable.

Quoique l'ouvrier doive répondre des défauts de l'ouvrage, fi néanmoins le maître l'a lui-même conduit & réglé, il ne pourra s'en plaindre.

Si on a donné quelque matiere à un ouvrier pour faire un ouvrage à un certain prix de l'ouvrage entier, l'Entrepreneur n'aura fatisfait à fon engagement & n'en fera déchargé qu'après que tout l'ouvrage étant vérifié, il fe trouvera tel qu'il doive être reçu. Et fi c'eft un travail qui foit de plufieurs pieces, ou à la mefure, & à un certain prix pour chaque piece ou chaque mefure, l'Entrepreneur fera déchargé à proportion de ce qui fera compté ou mefuré & trouvé bien fait. Et il portera au contraire la perte de fon ouvrage, & les dommages & intérêts du maître, s'il y en a, pour ce qui fe trouveroit n'être pas de la qualité dont il devoit être. Que fi dans l'un & dans l'autre cas de ces deux marchés la chofe périt par un cas fortuit, avant que l'ouvrage foit vérifié, le maître en portera la perte, & devra le prix de l'ouvrage, fur-tout s'il étoit en demeure de le vérifier, fi ce n'eft qu'il parût que l'ouvrage ne fût pas tel qu'il dût être reçu.

Si un architecte ayant entrepris de faire une maifon ou autre édifice, & que l'ayant fait ou feulement une partie, il vienne à périr par un débordement, par un tremblement de terre ou autre cas fortuit, toute la perte fera pour le maître, & il ne laiffera pas de devoir & les matériaux fournis par l'Entrepreneur, & ce qui fe trouvera dû de la façon de l'édi

fice; car la délivrance lui étoit faite de tout ce qui étoit bâti fur fon fonds. Mais fi le bâtiment périt par le défaut de l'ouvrage, l'architecte perdra fon travail avec ce qui fera péri des matériaux, & il fera de plus tenu du dommage que le maître en pourra fouffrir.

Si l'ouvrier devoit fournir toute la matiere & tout l'ouvrage, & que la chose périffe par un cas fortuit, avant que l'ouvrage ait été reçu, toute perte, & de la matiere & la façon, fera pour l'ouvrier; car c'est une vente qui n'eft accomplie que lorsque l'ouvrier délivre l'ouvrage.

la

Celui qui a entrepris un ouvrage, un travail, une voiture ou quelqu'autre chose semblable, n'eft pas feulement tenu de ce qui eft expreffément compris au marché, mais auffi de tout ce qui eft acceffoire à l'ouvrage, ou autre chofe qu'il a entrepris. Ainfi, les maîtres de coches & carroffes la campagne, & les rouliers, paient les péages & les bacs qui font fur leurs routes; car ce font des frais qui regardent la voiture. Mais ils ne paient pas les droits d'entrée, & autres qui font dûs fur les marchandifes qu'ils voiturent; car ces droits ne regardent pas la voiture de ces marchandises, mais fe prennent fur ceux qui en font les maîtres.

L'ENVI

ENVIE, f. f.

'ENVIE peut fe définir une inquiétude de l'ame, caufée par la confidération d'un bien que nous défirons, & dont jouit une autre perfonne.

Il réfulte de cette définition de M. Locke, que l'Envie peut avoir plu fieurs degrés; qu'elle peut être plus ou moins malheureufe, & plus ou moins blamable. En général elle a quelque chofe de bas, car d'ordinaire cette fombre rivale du mérite ne cherche qu'à le rabaiffer, au lieu de tâcher de s'élever jufqu'à lui : froide & feche fur les vertus d'autrui, elle les nie, ou leur refufe les louanges qui leur font dues.

Si elle fe joint à la haine, toutes deux fe fortifient l'une l'autre, & ne font reconnoiffables entr'elles, qu'en ce que la derniere s'attache à la perfonne, & la premiere à l'état, à la condition, à la fortune, aux lumieres ou au génie. Toutes deux multiplient les objets, & les rendent plus grands qu'ils ne font ; mais l'Envie eft outre cela un vice pufillanime, plus digne de mépris que de reffentiment.

Un roi de Sparte difoit que les envieux étoient bien miférables, d'être auffi affligés de la profpérité des autres que de leur propre adverfité. L'envieux écoute avec peine les éloges qu'on fait du mérite d'autrui ; il voudroit que tout ce qui eft bon, appartint à lui feul. Il eft fàché de ne pas le poffeder; il eft fâché de ce que les autres le poffedent.

Bion difoit d'un envieux trifte :,, On ne fait s'il lui eft arrivé du mal, » ou du bien aux autres ".

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L'Envie trouve fon châtiment avec elle-même; elle boit la plus grande partie de fon venin ; & il fuffit de l'abandonner à fa fureur, pour la rendre miférable. Tous les autres vices fe propofent quelque bien, & quoiqu'il n'ait jamais que de l'apparence, il ne laiffe pas de fatisfaire à leurs pourfuites. Mais l'Envie regarde le bien pour s'en affliger, & ne fe réjouit que du malheur des autres.

Quand je réfléchis fur l'antipathie qui, depuis la naiffance des temps, regne entre le mérite & l'Envie, je crois en trouver la fource dans le fond de l'orgueil dont nous fommes tous pétris, & dans l'efprit de propriété, qui fait que chacun de nous voudroit s'arroger le privilege exclufif de la grandeur; mais eft-ce-là donner aux fentimens de notre ame toute l'étendue qu'ils doivent avoir ?

L'Envie eft un vice qui rend malheureux ceux qui en font attaqués ; ce feul motif devroit nous le faire éviter... L'envieux eft en peine de toutes les occafions qui devroient lui inspirer du plaifir. Il renverfe l'ordre de la nature; & les objets, qui donnent le plus de fatisfaction aux autres, lui caufent les douleurs les plus vives. Toutes les bonnes qualités de ceux de fon efpece, lui deviennent odieuses : la jeuneffe, la beauté, la valeur & la prudence excitent fon chagrin. Peut-on concevoir un état plus trifte que celui de fe voir choqué de la perfection, & de hair ce qu'on approuve & que souvent on admire? Y a t-il un fort plus funefte que celui de l'envieux, puifqu'il eft non-feulement incapable de se réjouir du mérite & du fuccès des autres; mais qu'il les voit tous occupés à chercher leur propre bonheur, & à confpirer aufli contre fon repos ?

Qu'il eft grand! qu'il eft doux de fe dire à foi-même :
Je n'ai point d'ennemis, j'ai des rivaux que j'aime,
Je prends part à leur gloire, à leurs maux, à leurs biens;
Les arts nous ont unis; leurs beaux jours font les miens!

VOLTAIRE.

Après les excès où j'ai vu l'Envie s'emporter; après les impostures atroces que je lui ai vu répandre; après les manœuvres que je lui ai vu faire, je ne fuis plus furpris de rien à mon âge.

Si l'homme eft créé libre, il doit fe gouverner:
Si l'homme a des tyrans, il doit les détrôner.
On ne le fait que trop, ces tyrans font les vices.
Le plus cruel de tous dans fes fombres caprices,
Le plus lâche à la fois, & le plus acharné,
Qui plonge au fond du cœur un trait empoisonné,
Ce bourreau de l'efprit, quel eft-il? C'est l'Envie.
L'orgueil in donna l'être au fein de la folie :

Rien ne peut l'adoucir, rien ne peut l'éclairer :
Quoiqu'enfant de l'orgueil, il craint de fe montrer.
Le mérite étranger eft un poids qui l'accable.
Semblable à ce géant fi connu dans la fable,
Trifte ennemi des dieux, par les dieux écrafé,
Lançant, en vain, les feux dont il eft embrafe;
Il blafpheme, il s'agite en fa prifon profonde:
Il croit pouvoir donner des fecouffes au monde ;
Il fait trembler l'Etna dont il eft oppreffé:
L'Etna fur lui retombe, il en eft terraffe.
La gloire d'un rival s'obftine à t'outrager :
C'est en le furpaffant que tu dois t'en venger.

Idem.

La fource de l'Envie eft l'orguei!; car on n'a de la jaloufie du bien des autres, que parce qu'on appréhende que ce bien ne les éleve au-deffus de nous, ou ne les égale à nous. Le cœur poffédé d'Envie, fe fcandalife de tout. Au lieu de penser à s'humilier foi-même, il ne penfe qu'à rabaiffer les autres: il voit de l'orgueil où il n'y en a point, & n'en voit point en foi, quoiqu'il en foit tout rempli.

On ne fauroit trop préfenter les malheureux effets de l'Envie, lorfqu'elle porte les gens en place à regarder comme leurs rivaux & comme leurs ennemis, ceux dont les confeils pourroient les aider à remplir leur ambition. Agéfilas en mettant Lyfandre à la tête de fes amis, fournit un exémple fenfible de fa fageffe.

L'Envie eft particuliérement la ruine des républiques. Tandis que les Achéens ne porterent point d'Envie à celui qui étoit le premier en mérite, & qu'ils lui obéirent, non-feulement ils fe maintinrent libres au milieu de tant de grandes villes, de tant de grandes puiffances, & de tant de tyrans, mais de plus, par cette fage conduite, ils affranchirent & fauverent la plupart des villes grecques.

Quoiqu'il en foit des effets de l'Envie contre les gens vertueux dans toutes fortes de gouvernemens, Pindare dit avec raifon que pour l'appaifer il ne faut pas abandonner la vertu; ce feroit acheter trop cher la paix avec cette paffion lâche & maligne, d'autant plus qu'elle illuftre fon objet, lorfqu'elle travaille à l'obfcurcir car à mefure qu'elle s'acharne fur le mérite fupérieur qui la bleffe, elle rehauffe l'éclat de l'hommage involontaire qu'elle lui rend, & manifefte davantage la baffeffe de l'ame qu'elle domine. C'eft ce qui faifoit dire à Thémiftocle qu'il n'envioit point le fort de qui ne fait point d'envieux; & à Cicéron, qu'il avoit toujours été dans ce fentiment, que l'Envie acquife par la vertu, étoit de la gloire.

Les poëtes, tant grecs que latins, ont déifié l'Envie avec cette différence, que comme chez les grecs le mot éves eft mafculin, ils en ont fait un dieu; &, au contraire, les latins, parce qu'Invidia eft féminin, Tome XVIII.

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