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mais ils ne compofoient point un ordre à part: on les tiroit des trois autres ordres indifféremment. Le peuple avoit droit de fuffrage, de même que les deux autres ordres. Lorfque l'on affembloit les comices, où l'on élifoit les nouveaux magiftrats, on y propofoit auffi les nouvelles loix, & l'on y délibéroit de toutes les affaires publiques. Le peuple étoit divifé en trente curies, & comme il eut été trop long de prendre toutes les voix en détail l'une après l'autre, on prenoit feulement la voix de chaque curie. Les fuffrages fe donnoient d'abord verbalement; mais vers l'an 614 de Rome, il fut réglé qu'on les donneroit par écrit. Servius Tullius ayant partagé le peuple en fix claffes qu'il fubdivifa en 193 centuries, on prenoit la voix de chaque centurie. Il en fut de même lorfque le peuple eut été divifé par tribus; chaque tribu opinoit, & l'on décidoit à la pluralité. Dans la fuite les empereurs s'étant attribué feuls le pouvoir de faire des loix, de créer des magiftrats, & de faire la paix & la guerre, les comices cefferent d'avoir lieu; le peuple perdit par-là fon droit de fuffrage, le fénat fut le feul ordre qui conferva de l'autorité.

Les trois ordres qui compofent aujourd'hui les Etats, font le clergé, la nobleffe, & le tiers-Etats. Le clergé forme ordinairement le premier ordre; & c'eft le refpect pour la religion qui a placé fes miniftres dans le premier rang. La nobleffe y forma le fecond, & les gentilhommes font regardés dans tous les pays comme la partie illuftre de l'Etat. Tel eft l'ufage en France, imité de celui qui s'obfervoit dans les Gaules dont les habitans étoient diftingués en druides, gens de cheval, & menu peuple. Les trois Etats de Venife, font les nobles, les citadins & la populace. Mais il y a des pays où les payfans, portion du peuple injuftement méprifée ailleurs, font un quatrieme ordre; telle eft l'Autriche fupérieure, telle eft la Suede, où la nobleffe forme le premier ordre, & le clergé le fecond. Il est encore d'autres peuples qui font divifés en quatre ordres; telle eft la Boheme où les prélats & les capitulaires de la métropolitaine compofent le premier ordre; les princes comtes & feigneurs le fecond; les chevaliers le troifieme; & les députés des villes le quatrieme. En Angleterre le clergé n'eft point un corps féparé de la nobleffe : les évêques & pairs Y forment la chambre-haute, & les députés du peuple la chambre baffe.

Les divers ordres fe fubdivifent en corps, communautés, colleges & compagnies. Le clergé général fe fubdivife dans les Etats catholiques en chapitres, colleges & monafteres, en archevêques, évêques, curés, prêtres & religieux, & les eccléfiaftiques qui ont prefque par-tout de grands privileges, font diftingués entr'eux fuivant le titre de leur dignité, & felon P'ufage de chaque pays.

Les gentilshommes jouiffent des diverfes diftinctions qu'ils tiennent de la conceffion du prince, des privileges de leur naiffance ou des droits attachés à leurs terres & à leurs emplois. Ils forment différens corps, felon les divers ufages des provinces & les diverfes formes de gouvernement.

Les officiers de judicature, de police & de finance, les avocats, les médecins, les notaires, les procureurs, les bourgeois, les gens de commerce & de métier, & les laboureurs forment le troifieme ordre qu'on appelle le tiers-Etat. On range fous cet ordre tous ceux qui ne font ni eccléfiaftiques ni gentilshommes. Le tiers-Etat fe fubdivife auffi en plufieurs corps, comme les compagnies de juftice, les communautés des villes, les facultés de droit & de médecine, les corps de métier, & plufieurs autres qui font tous gouvernés par les loix que la puiffance publique a ou établies

ou autorifées.

MÉMOIRE

CONCERNANT L'UTILITÉ DES ÉTATS PROVINCIAUX. (a)

JE crois qu'il feroit également facheux que le prince ne vit fes droits

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que dans fa puiffance, & que les fujets ne connuffent de principe de leur obéiffance, que la loi du plus fort: cette façon d'envifager les chofes pourroit un jour produire, d'un côté la violence & le délire; de l'autre la crainte, les murmures & le défir de fecouer le joug. Cela pofé, lequel des deux hommes que je veux préfenter, doit paffer pour le meilleur citoyen & le meilleur fujet? L'un dit : » Le roi eft le maître : il peut faire » les loix ou les détruire, les abroger toutes même & gouverner par fa » feule volonté; tous privileges font fes conceffions: il peut les confir» mer, ou les détruire comme feul juge du bien de l'Etat; il a fait les » rangs & les prérogatives, il peut les défaire; outre qu'il a ce pouvoir » de droit, il l'a de fait, puifqu'il a deux cents mille hommes; c'est d'ail» leurs l'avantage général, puifque la communication de l'autorité ne fait » que des factieux, détourne tous les fujets de leurs emplois civils & pro» duit le défordre; au lieu que l'autorité arbitraire affoupit tout, eft au» deffus de tout, regle tout, ou peut fans conféquence fe difpenfer des » regles. « Voilà ce que dit l'un, voici ce que dit l'autre : » Le roi eft le » maître il commet à qui il lui plaît l'exécution des loix; il peut en faire » & les détruire avec l'acceffion de fon peuple ou de fes repréfentans; il » gouverne tout par fa propre volonté, relativement aux loix établies; fes » troupes protegent fes fujets; il fe réferve tout le pouvoir politique parce » qu'il fait qu'il n'eft pas d'efpece à être communiqué; mais il confie le » pouvoir civil à des mains integres, il refpecte les ufages reçus, les or» dres établis, & fait que la dégradation eft un fupplice du feulement » aux crimes: il penfe qu'affoupir tout, ou pour mieux dire, tout étouffer, n'eft pas gouverner; qu'il eft même impoffible de tout engourdir

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(4) Ce Mémoire a été compofé en 1750.

» & que ce n'eft pas du fein de l'affoupiffement qu'il tirera des hommes » capables de faire valoir & de ménager les portions de fon autorité; au»torité néanmoins qu'il eft indifpenfable de faire agir. Son Etat, fon

pou

voir ne dépendent point de fes foldats, mais de l'autenticité de fes droits » facrés, de leur empire fur les opinions, de la néceffité dont il eft à tout » un corps immenfe qui ne vit que par lui, dont fon autorité maintient » les rangs & les privileges & fait toute la fureté. « Qu'on préfente à tous les princes d'aujourd'hui ces deux définitions de l'autorité, fans les aigrir par l'odieuse imputation de factieux : .... Et je vois d'ici que leur choix eft fait.

Je crois fermement que les fouverains légitimes ont un intérêt réel à permettre à leurs fujets la difcuffion, la connoiffance de leurs droits, ce qui eft intimement lié à celle des devoirs des fujets. Je pense qu'un homme éclairé, peut feul faire un fujet ferme dans fon devoir, & qu'il n'y a qu'un pas de l'obéiffance aveugle à la révolte.

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C'est d'après ce principe que j'ofe raisonner fur ces matieres, moi qui ne veux excéder en rien les regles de mon devoir, & qui ferois plus faché d'avoir à me foupçonner moi-même d'être mal intentionné, que d'en être accufé devant tous les potentats de l'Europe.

Or, pour fortir des généralités, j'établis d'abord, que l'ordre, la grandeur, le luftre, la confidération, la fureté, le maintien de notre monarchie, dépendent de l'étendue & de la confervation de l'autorité royale. Ceux qui, par leurs définitions outrées, veulent la confondre avec le defpotifme, font fes véritables ennemis; j'en appelle au fonds de leur cœur. Les grands favent qu'en confondant les regles & les différens ordres de l'Etat, ils ôtent autant de barrieres capables de borner leur élévation, quand

le temps viendra que la foibleffe de quelque prince autorifera leurs ufurpations; les courtisans que les princes font accoutumés à regarder comme ennemis, puifque c'eft eux qui leur impofent cette contrainte, cette exacte retenue qui rapproche peut-être le fort des fouverains, des conditions les plus miférables; les courtifans, dis-je, en autorifant ceux dont le fyftême. eft de tout ramener à la cour, fe flattant d'en tout enlever les prépofés de l'autorité dans les détails, le regardent dans leurs charges, & nullement le fouverain & les fujets, & montrent un zele affecté qu'ils n'ont au fonds, que pour leur avancement le magiftrat penfe peut-être que l'anéantiffe ment de toutes diftinctions donnera plus de luftre à celles qui font & feront, tant qu'il y aura des hommes, inféparablement attachés à l'adininiftration de la juftice. Le bourgeois, faux dans fes préjugés, rétréci dans fes vues, croit ne devoir fes quais, fes ponts, fes promenades, qu'à l'énorme balance que les provinces paient à la capitale, & penfe que cette balance n'eft relative qu'à l'anéantiffement de tout le refte. Enfin, l'hom. me vil n'imagine fa propre élévation que dans l'abaiffement de tout ce qui offufque fa petiteffe.

Tels

Tels font les motifs qui portent des gens de tous les Etats à noircir des Couleurs du defpotifme, la plus ancienne, la plus chérie, la plus refpectable de toutes les royautés. Il n'entre dans tout cela ni défir de la splendeur de l'Etat, ou de la tranquillité publique, ni zele pour le prince: vues baffes, langage encore plus bas; culte honteux, qui déshonore le temple de la royauté & nous préfente une idole de bois doré aux bras d'airain, au-lieu d'un pere toujours actif, toujours bienfaifant, l'appui des bons, la terreur des méchans, & la bafe du corps immenfe qu'on appelle l'Etat. Heureusement le nombre des faux zélés dont je viens de dévoiler les motifs, n'eft pas bien confidérable; à peine s'en trouve-t-il quelquesuns dans chacun des Etats dont je viens de faire mention.

Mais il eft quelques hommes doux qui, contens de leur fort préfent, & craignant que toute oppofition de détail ne vienne à la troubler, fe dé chaînent contre de prétendus novateurs; tout préoccupés des fermentations dont l'hiftoire conferve le fouvenir, croyant voir dans nos voifins même une agitation contraire au bon ordre, à quelques égards, & fujette à fe porter à des extrémités dangereufes, ils redoutent de bonne-foi de femblables orages. D'autres, en bien plus grand nombre, quoique moins autorifés, citent tout devant leur propre tribunal, qu'ils hériffent de recherches fur le droit public; de prétentions en prétentions, ils en reviendroient à vouloir rendre la royauté auffi limitée dans les lieux où elle a tout fait, tout établi, tout maintenu, où elle eft entrée dans les cœurs & dans les efprits; ils voudroient, dis-je, la reftreindre autant en ces lieux-là qu'en des climats où elle n'eft foufferte que par néceffité, & toujours regardée comme ennemie. C'eft à ces deux fortes d'illufions que je crois devoir une énonciation claire de mes idées fur ce qui eft l'objet de leurs débats. II m'a paru que, quand j'ai pu développer ma pensée vis-à-vis des uns & des autres, ils l'ont tous regardée comme un jufte milieu.

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L'Etat a, felon moi, des loix fondamentales: Quelles font ces loix, me dit-on? Les privileges. A ce mot, tous les gens que j'ai déduits cideffus, se récrient à la fois :,, Les privileges, difent-ils, font des conceffions des rois,, ou de toute autre autorité fouveraine à laquelle les rois » ont fuccédé; ils ne peuvent avoir eu que deux objets : ou la néceffité, ou l'utilité publique." La néceffité porte avec elle fa proteftation & fa nullité; l'utilité peut ceffer & faire place à une utilité contraire, qui exige des arrangemens contraires auffi; en tout ce qu'un roi a donné, l'autre le peut retirer, & la parole du fouverain ne peut tout au plus engager que fa perfonne. Voilà, je crois, leurs argumens dans tout leur jour, voilà par quels degrés on ôte aux princes la faculté de tefter, de vendre de donner, & même toute espece d'ufufruit réel : je ne demande pas fi le file ferment du prince à fon facre ne le rend pas exécuteur de toutes les paroles de fes prédéceffeurs, contre lefquelles il n'a pas protefté; c'eft à Dieu faire rendre compte aux rois, & jamais aux peuples à le leur deman Tome XVIII, Vvv

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der. Mais pour répondre aux objections précédentes, qui font queftions de raisonnement, entrons dans le détail, & voyons quels font les privileges, que je prétends être loix fondamentales du royaume.

1o. Privileges du roi. 29. Ceux du fang royal; privileges de fucceffion, privileges de rang & de diftinction reconnus même chez les étrangers & dans toute la terre. 39. Privileges de différens ordres de l'Etat, ou fondés en même-temps que la monarchie, ou établis par l'ordre du prince, avec l'acceffion des autres corps affemblés. 49. Privileges de différentes provinces, fceau de leur réunion au corps de l'Etat; prix de leur fang versé depuis & de leurs richeffes employées pour fa défense. 5. Privileges des villes particulieres, conceffions des rois foit pour les encourager, foit pour reconnoître leur zele & leur fidélité; mais toujours monumens précieux & propres à reproduire le même effet. 6°. Loix civiles & particu lieres de chaque pays, telles qu'elles font avouées des tribunaux, & autorifées par l'ancien ufage.

: Ces différentes parties, compofées d'une infinité de rameaux, forment un tout, qui eft le corps de l'Etat la royauté en eft la pierre angulaire qui feule foutient tout cet édifice; mais fans cet édifice, elle feroit cachée fous l'herbe & les épines. Penfe-t-on aux affreufes conféquences que peuvent avoir la liberté de penfer, & les principes deftructeurs fur la moindre de ces parties? Qu'eft-ce, vous dira-t-on, qui doit rendre une de ces loix plus refpectable dans l'opinion que les autres? La royauté, par exemple, eft-ce l'émanation de la divinité? fans doute la royauté en eft l'image; mais tout pouvoir établi peut fe dire auffi la représentation de la divinité, & le moindre ordre municipal fe fera de cet avantage un bouclier contre le prince. Eft-ce la fouveraineté? Elle confifte bien à n'avoir rien au-deffus de foi, mais non à pouvoir tout confondre au-deffous; fans cette reftriction, elle cefferoit d'être l'image de la divinité. Eft-ce l'ancienneté ? Certains privileges font auffi anciens qu'elle dans l'Etat, c'est une question de fait. Eft-ce enfin l'utilité publique? Je le crois; mais fi Pon accoutumé les hommes à ne calculer tout droit que d'après leur utilité; fi vous leur en donnez l'exemple, quels progrès dangereux cela ne peut-il pas faire dans les efprits? Dès-lors craignons l'obéiffance forcée & les de

voirs éludés. Il en faudra venir à ces deux cents mille hommes dont nous avons tantôt marqué le véritable & plus digne ufage. Et qu'eft-ce qu'un prince qui n'a plus d'appui que la force? Un conquérant de fon patrimoine, un général qui bientôt aura de dangereux lieutenans, un homme armé près de fon foyer & qui dort avec des piftolets fous fon chevet. Un fouverain n'eft-il pas dans une pofition préférable quand il peut dire, je fuis tout, tout réfides en moi, tout l'Etat intéreffé à ma confervation veille pour moi, combat pour moi, agit pour moi; parce que chaque corps fait en parti culier que fes immunités, fon état, fon repos, dépendent de ma confervation, de celle de mon pouvoir, de celle de ma famille ce tout ensem

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