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Il faut confidérer les fondemens de l'eftime de diftinction, en tant qu'ils produifent fimplement un mérite, en vertu duquel on peut légitimement prétendre à l'honneur, ou en tant qu'ils donnent un droit , proprement ainfi nommé, d'exiger des autres des marques d'eftime comme dues à la rigueur. On tient en général pour des fondemens légitimes de cette forte d'eftime, tout ce qui marque ou qui paffe pour marquer quelque excellence ou quelque perfection, dont l'ufage & les effets font conformes au but de la loi naturelle, & à celui des fociétés civiles.

Le vulgaire loue quelquefois les grands mangeurs & les grands buveurs, qui femblent n'être au monde que pour boire & pour manger (a), les vaillans champions dans les combats amoureux , ceux qui fe précipitent témérairement dans les dangers, les voleurs adroits, & autres gens de ce cara&ere qui n'excellent que dans quelques vices. Plus ils s'y font rendus habiles, plus ils s'attirent le mépris & l'averfion des perfonnes fenfées, d'autant que par-là ils abusent fouvent de la force de leurs corps, de la vivacité de leur efprit, & des autres talens dont ils auroient pu faire un bon ufage. Les louanges ne font eftimables qu'à proportion du mérite de ceux qui louent; & la véritable gloire ne naît que de l'approbation de ceux qui font eux-mêmes dignes d'être loués.

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On peut mettre au rang des chofes propres à concilier de l'honneur; 1o. l'efprit, & fur-tout l'efprit cultivé & orné de connoiffances utiles; 2°. un jugement droit, folide & pénétrant; 3% une fermeté d'ame inébranlable, à l'épreuve des attraits du plaifir, auffi-bien que de la crainte & de la douleur; 4°. l'éloquence ou la facilité de s'expliquer d'une maniere également agréable & abondante; 5°. la force, la beauté une taille riche & majeftueufe, & l'adreffe du corps, en tant que l'on regarde ces qualités comme autant d'inftrumens d'une belle ame; 6°. les biens de la fortune comme on parle, en tant que leur acquifition eft un effet de l'induftrie de celui qui les poffede, ou qu'ils lui fourniffent les moyens de faire des chofes dignes de louanges; 70. les belles actions diftinguent avantageusement & produifent une gloire folide, non-feulement parce qu'elles fuppofent un mérite propre & réel, mais encore parce qu'elles font une preuve fenfible qu'on n'enfouit pas fes talens, & qu'on les rapporte à une fin légitime.

Les qualités qui diftinguent quelqu'un, & fes actions louables parvenues à la connoiffance d'un grand nombre de perfonnes, forment ce qu'on appelle renommée, réputation, gloire. Que fi l'on paffe dans le monde. pour avoir une habileté finguliere à décider les difficultés de pratique ou les vérités de fpéculation, c'eft ce qui s'appelle autorité en un fens particulier, & qui donne une réputation de grand favoir & de probité tout

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enfemble. L'âge ne concilie le refpect, que parce qu'on préfume que les perfonnes âgées font habiles & prudentes, par la longue expérience qu'elles ont acquifes, & par les fréquentes réflexions qu'elles ont faites fur les affaires humaines, ce qui fe trouve fouvent faux. Les femmes en général n'aiment pas à paffer pour vieilles, & le fexe donne auffi aux hommes quelque avantage par-deffus les femmes toutes chofes d'ailleurs égales. Du refte, il y a des fondemens d'honneur communs aux deux fexes, d'autres qui font particuliers à chacun, comme un plus grand degré de mérite qui vient des vertus & des fonctions propres à un fexe; d'autres enfin que le fexe féminin emprunte d'ailleurs ; & de-là vient que l'éclat des dignités des maris rejaillit fur leurs femmes, & que les femmes font gloire auffi d'avoir plufieurs enfans d'un mérite ou d'un rang diftingué. L'eftime de diftinction, comme l'eftime fimple comme l'eftime fimple, doit être confidérée, ou par rapport à ceux qui vivent entr'eux dans l'indépendance de l'état naturel, ou par rapport aux membres d'une même fociété civile. Les qualités qui fondent l'eftime de diftinction, ne produifent, par elles-mêmes, qu'un droit imparfait au refpect: de forte que, fi on le refuse à ceux qui le méritent le mieux, on ne leur fait aucun tort proprement dit, on manque feulement de civilité envers eux. Ceux qui vivent dans l'état de nature étant naturellement égaux, l'un ne peut pas, de plein droit, exiger des marques de refpect des autres, parce que chacun peut prétendre valoir autant ou mieux que les autres. Si l'un, par exemple, vante fes cheveux blancs, l'autre foutiendra que la vigueur de la jeuneffe lui doit donner la préférence. Celui qui efpere d'acquérir une chofe, en tirera autant de vanité que celui qui la poffede actuellement. Si l'un fe glorifie de fes richeffes, l'autre opposera à cela fon contentement d'efprit, plus précieux que tous les tréfors. L'un vantera fon érudition; l'autre qui n'a point de favoir, répondra que la fermeté d'efprit, la fidélité & la probité, font la feule véritable philofophie. L'un fera fier des dignités auxquelles il eft parvenu, l'autre dira qu'on voit tous les jours des gens revêtus des marques honorables de la vertu, fans être pour cela vertueux. Un gentilhomme pauvre fera fonner fa haute naiffance & la longue fuite de fes ancêtres. Un financier opulent, ou un riche marchand, fe moquera de tous ces titres qui ne garantiffent pas de la pauvreté. L'honneur que nous rendons à quelqu'un, confiftant à reconnoître en lui des qualités qui le mettent au-deffus de nous, & à nous abaiffer volontairement devant lui, la violence ne fauroit jamais produire ce fentiment; elle ne fait que rendre les hommes plus opiniâtres à refufer des hommages qu'on veut

arracher.

Si j'avois quelque chofe à vous demander, répondit Diogene à Alexandre, j'irois vous voir. Si vous fouhaitez quelque chofe de moi, c'est à vous de venir me trouver.

Qu'avons-nous à déméler avec toi ? Dirent les ambaffadeurs des Scythes

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à ce prince, jamais nous n'avons mis Is pieds dans ton pays. Neft-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois d'ignorer qui tu es & d'où tu viens? Nous ne voulons ni obéir ni commander à perfonne. Ceux-là font eftimés égaux qui n'ont point éprouvé leurs forces les uns contre les autres (a).

Quoiqu'il foit conforme à la raifon d'honorer ceux qui ont le plus de mérite, & que rien n'empêche qu'on ne faffe de cela, fi l'on veut, une maxime de droit naturel, ce devoir confidéré précisément en lui-même, doit néanmoins être mis au rang de ceux dont la pratique est d'autant plus louable qu'elle eft entiérement libre.

Afin que nous ayons un plein droit d'exiger d'autrui quelque marque d'honneur, il faut ou que celui de qui nous l'exigeons foit fous notre puis fance, ou que nous ayons acquis ce droit par quelque convention, où en vertu d'une loi faite ou approuvée par un fupérieur commun.

(a) Quinte-Curce.

ESTRADES, (Godefroid, Comte d') Célébre Négociateur François.

G.ODEFROID, comte d'Eftrades, originaire & natif d'Agen en 1607

ambaffadeur à Londres en 1636, chevalier des ordres du roi en 1661, ambaffadeur extraordinaire en Hollande & gouverneur de Dunkerque en 1662, maréchal de France le 30 Juillet 1675, premier plénipotentiaire au congrès de Nimegue en 1676, gouverneur de Maeftricht & de la province de Limbourg, maire perpétuel de Bordeaux, vice-roi de l'Amérique, &, en 1685, gouverneur de M. le duc de Chartres, depuis régent du royaume mort en 1686.

L'influence que le marêchal d'Eftrades a donnée à toutes les affaires majeures de l'Europe pendant quarante ans, la confiance particuliere qu'un grand potentat a eue en lui; l'eftime & la haute confidération des puiflances avec lesquelles il a traité, font une preuve de la fupériorité de fes talens héréditaires (a): fes lettres, fes négociations & fes mémoires pafferont à la postérité; ils furent imprimés plufieurs fois, à commencer en 1663 jufques & compris 1668, à Bruxelles, chez Henri-le-Jeune, mais véritablement à la Haye, chez Abraham de Hondt, 1709, 5 vol. in-12.

(a) Parmi les actes originaux dépofés au greffe de la ville d'Agen de la généalogie du maréchal d'Eftrades, font les pleins-pouvoirs de 1279 de Philippe-le-Hardi, roi de France, à Radulphe d'Eftrades, maréchal de France, fon chevalier, & ceux d'Edouard I, roi d'Angleterre, à Guillaume de Valence, fon oncle, pour la ceffion de l'Agenois fous la fouveraineté & le reffort, & l'acte de ceilion..

Tome XVIII.

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Ce recueil fut publié par les foins de Jean Aymond dans un état affez défectueux; ce n'est qu'un ramas de fragmens, comme le remarque l'auteur d'un écrit intitulé: Remarques générales fur un livre qui a pour titre: Mémoires & négociations de M. le comte d'Eftrades, in-12, à Paris 1709. Le critique prétendit que l'original de ces négociations qui eft entre les mains du marquis d'Eftrades, arriere-petit-fils du maréchal, contenoit vingt-deux volumes in-folio, dont le moindre eft de 900 pages; que l'instruction qui fut donnée au comte d'Eftrades avant fon départ, inftruction digne de la réputation du marquis de Lionne qui la dreffa, fe trouve dans l'original & manque dans cette édition; que de plus de cinq cents lettres, toutes de la main du comte d'Eftrades, on n'en trouve pas feulement une dans cette édition, non plus que celles que Vanbeuning écrivoit à Lionne, qui font en plus grand nombre dans l'original; qu'on en avoit auffi retranché toutes celles que Wicquefort écrivoit au même Lionne; & qu'enfin de toutes les dépêches il n'y en avoit pas trente d'entieres, toutes les autres étant non-feulement tronquées, mais défigurées par les fautes tant du copiste que de l'imprimeur. Cela étoit vrai, & plufieurs écrivains s'étoient plaint de ces défectuofités (a).

Il fut fait de ces lettres, mémoires & négociations une feconde édition chez Abraham de Hondt, en 1719, en 6 vol. in-12, plus complete que la précédente, puifqu'elle contient de plus plufieurs lettres omifes dans la premiere, & un volume tout entier dans lequel, entr'autres pieces importantes, on trouve le traité conclu entre la France & l'Angleterre au fujet de l'achat de Dunkerque; mais il ne laiffoit pas que d'y avoir encore dans cette édition des pieces tronquées.

Il en a été fait une troifieme édition fous ce titre : >> Lettres, mémoires » & négociations de M. le comte d'Eftrades, tant en qualité d'ambassa» deur de Sa M. T. C. en Italie, en Angleterre & en Hollande, que com» me ambaffadeur plénipotentiaire à la paix de Nimegue, conjointement >> avec Meffieurs Colbert & le comte d'Avaux, avec les réponses du roi » & du fecrétaire-d'Etat, ouvrages où font compris l'achat de Dunkerque » & plufieurs autres chofes très-intéreffantes : nouvelle édition, dans la» quelle on a rétabli tout ce qui avoit été supprimé dans les précédentes. « Londres 1742, neuf vol. in-12.

Toutes les négociations en manufcrit confiftent:

1o. En un volume de diverfes négociations, qui commence par une inftruction du cardinal de Richelieu au comte d'Eftrades, du 12 Août 1637, & contient les lettres de ce miniftre au comte, & du comte au miniftre. L'élévation du génie, les talens éminens du cardinal fe trouvent par-tout; ceux du comte fe développent dans un âge où l'application feule pouvoit

(a) Le Long, Bibliotheque historique de la France, p. 680, n. 13337 ; & Lenglet du Frefnoy, Methode pour étudier l'histoire.

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fuppléer à l'expérience enfuite les lettres & inftructions du cardinal & de Chavigni des années 1638-39-41 & 42, même des fragmens de diverses converfations que le comte d'Eftrades avoit avec le prince d'Orange. Les dépêches de 1643 font du cardinal Mazarin; la foupleffe, la dextérité en font tout le mérite; celles du comte à ce miniftre jufqu'en 1657, montrent toujours fon zele, l'étendue de fes connoiffances. Dans ce volume eft le traité de Dunkerque & les pouvoirs des commiffaires.

2o. En un autre volume qui commence par une lettre de Londres au roi, du 21 Juillet 1661, où d'Eftrades étoit ambaffadeur extraordinaire; bien des dépêches du fecond volume y font rappellées. Le comte foutint à Londres avec dignité & une grande fupériorité de lumieres, vis-à-vis du baron de Watteville, les prérogatives de la premiere couronne du monde,

3. Enfuite la négociation fur l'acquifition de Dunkerque (a) auffi glorieufe qu'utile à la nation. On voit dans ces dépêches la grandeur d'ame, l'étendue des vues & la fatisfaction de Louis XIV (b) fur cet objet; le comte d'Eftrades fe comportoit & entroit par zele & par fentiment dans des vues auffi fublimes. L'état de l'artillerie & des munitions de guerre de Dunkerque eft dans ce volume.

4. Quatre volumes in-folio fur l'ambaffade de Hollande. Le premier renferme les harangues, les mémoires, les lettres du roi en grand nombre, & de Lionne, & celles du comte au roi & à Lionne, depuis le 1663 jufqu'au 29 Octobre.

4 Janvier

Le comte d'Eftrades fit garantir cette année, par fon habileté, l'acquifition de Dunkerque par les Etats-généraux; & depuis le 3 Janvier de 1664 jufqu'au 31 Décembre de la même année. Le fecond, depuis le premier Janvier 1665 jufqu'au 31 Décembre; les dépêches font prefque toutes de Lionne; le troifieme, depuis le premier Janvier 1666 jufqu'au 31 Décembre, & le quatrieme depuis le 6 Janvier 1667.

Le comte d'Eftrades, plénipotentiaire à Breda, fit reftituer cette année à la France par l'Angleterre l'Acadie, avec toutes les ifles, pays, fortereffes & colonies que la France poffédoit avant le premier Janvier 1665. Ce volume finit au 17 Octobre 1668.

Les circonstances du temps rendent cette négociation des plus importantes du regne de Louis XIV. On y voit les talens d'un miniftre zélé,

(a) Du 27 O&obre 1662.

(b) LETTRE DU ROI.

De Paris, du 15 Novembre 1662, à M. le Comte d'Efrades.

J'ai reçu avec la joie que vous pouvez vous imaginer, la ratification du Roi de la Grande-Bretage du Traité que vous avez fait, à men nom, pour l'achat de Dunkerque; je remets à vous témoigner de vive voix, quand je ferai fur les lieux, la fatisfaction qui me refte du fervice important que vous m'avez rendu en cette occasion, &c. Signé, LOUIS.

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