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La connoiffance de la durée de cette opération peut feule en effet éclairer fur le terme auquel on peut ouvrir d'anciennes foffes; & quoiqu'on n'ait rien de bien concluant fur cet objet, on peut cependant donner pour conftant, que la deftruction des cadavres eft au moins trois ans à s'opérer complétement. L'expérience pourroit faire ceffer toutes les incertitudes fur ce point de fait. Mais il faudroit un fi long temps pour obtenir par fon moyen quelque chofe de décifif, qu'il n'eft pas poffible d'y avoir recours en cette occafion. A fon défaut j'invoquerai le témoignage des foffoyeurs; je l'appuyerai des affertions d'un des plus célébres anatomiftes de nos jours, & d'un phyficien dont les connoiffances & la fagacité infpirent la plus grande confiance, enfin du résultat des expériences faites par différens auteurs fur des fubftances animales livrées à la putridité.

LVIII. Les foffoyeurs que j'ai interrogés, fans être absolument uniformes dans leurs réponses, difent que cette deftruction exige plus de deux ans. Je fais que ces gens ont pu fe tromper fur l'époque de l'enterrement des cadavres qu'ils ont mis à découvert en creufant de nouvelles foffes, avant que leur deftruction ne fût complette, & qu'il y a peu de fond à faire fur leurs remarques; mais leur affertion forme du moins une conjecture, & cette conjecture acquiert beaucoup de force par le rapport qu'elle fe trouve avoir avec les obfervations de M. Petit, docteur-régent de la faculté de Médecine de Paris, que fes connoiffances ont fait furnommer l'anatomifte, & avec celles du R. P. Cotte, prêtre de l'Oratoire, faifant les fonctions curiales à Montmorency.

M. Petit paffa par Dijon au mois de Décembre dernier ; j'eus l'avantage de converfer avec lui. Je lui parlai de l'embarras où j'étois pour fixer le terme auquel la deftruction des cadavres étoit complette; il me dit qu'ayant fouvent été obligé d'enterrer dans fon jardin les chairs des cadavres qui avoient fervi à fes démonftrations, il s'étoit convaincu qu'il falloit plus de deux ans, même trois à quatre, pour en compléter la deftruction.

C'eft auffi ce que le R. P. Cotte a obfervé. Il me marquoit dans une lettre qu'il m'écrivoit en Avril dernier, que chargé depuis fept ans du gouvernement de la paroiffe de Montmorency, il avoit toujours vu que lorfqu'on ouvroit les anciennes foffes, au bout de deux ans, les cadavres n'étoient pas entiérement confumés, qu'ils ne le font pas même quelquefois au bout de trois ans, & qu'il faudroit, à fon avis, laiffer écouler au moins quatre années avant d'ouvrir les mêmes foffes.

Les expériences faites par Mde. . . . . traducteur des Effais de Shaw, par MM. Macbride & Godar, prouvent que la deftruction des corps par la putréfaction eft d'autant plus lente, que ceux qui y font exposés font plus preffés (a), & que l'endroit où ils font renfermés eft moins

(a) M. Godar dans fa Differtation fur les anti-feptiques, qui eut l'Acceffit du prix de

chaud (a); & telles font les circonftances où fe trouvent les cadavres dans la terre. La preffion qu'ils éprouvent de la part du terrein qui les recouvre, eft forte, & leur foffe eft plus froide que chaude.

LIX. On peut donc regarder comme certain que les cadavres enterrés pourriffent lentement, que leur putridité complette n'a lieu tout au plus qu'au bout de trois ans, & qu'à raifon de l'effet de la preffion, elle exige d'autant plus de temps, que le corps eft plus profondément enfoui.

Mais il eft des corps qui ont plus de difpofition que d'autres à la décompofition putride; il eft des terreins qui hâtent davantage par leur humidité cette deftruction des corps animaux; il faut prendre en conféquence un terme moyen, & fans craindre de trop reculer ce terme, le fixer à la révolution de trois ans, lorfqu'on ne donne aux foffes que quatre à cinq pieds de profondeur, & à quatre ans, lorfqu'on leur en donne fix à fept. La conféquence à en déduire, eft qu'un cimetiere doit être, dans le premier cas, trois fois plus étendu que l'efpace néceffaire, pour y dépofer les morts qui doivent y être enterrés dans le cours d'une année, & quatre fois dans le fecond (b).

LX. C'est donc par la connoiffance de l'efpace nécessaire pour l'inhumation d'un nombre donné de cadavres, qu'on peut parvenir à déterminer l'étendue que doit avoir un cimetiere; mais cet efpace eft relatif à la profondeur des foffes (LIII.); fi elles ont fix à fept pieds de profondeur, on pourra les rapprocher de façon à ne laiffer entr'elles que très-peu d'intervalle; & en le fixant à deux pieds, il s'enfuivra que la foffe d'un adulte, ayant fix pieds de long fur deux & demi de large, occupera, en comptant le pied à ajouter tout autour, un espace de trente-un pieds & demi quarrés; mais fi, fuivant l'ufage le plus commun, les foffes n'étoient profondes que de quatre à cinq pieds, l'efpace néceffaire pour un adulte égaleroit une furface de cinquante-deux pieds quarrés; cette furface fera

l'académie de Dijon, en 1767; rapporte dans l'introduction, fous le no. V, des expériences qui démontrent que la preffion retarde la putréfaction; on en trouve des preuves moins concluantes, dans la Differtation de M. de Boiffieu, qui fut couronnée la même année.

non

(a) Voyez les Differtations citées dans la note précédente, & l'expérience faite par Mde.... fous le nom du traducteur des Effais de Shaw.

(b) Le fait cité, art. XXV, prouve que l'on pourroit fe tromper en se bornant à cet efpace, puifque trente-huit années n'ont pas fuffi pour opérer la deftruction complette de la fubftance animale, & qu'après un laps de temps auffi confidérable, l'ouverture de la terre a donné lieu à des émanations funeftes. Je fens qu'on eft dans le cas de faire obferver que tout dépendoit ici du nombre confidérable de cadavres entaffés les uns fur les autres; mais malgré cette remarque, on doit conclure de cet événement qu'il eft de la prudence de donner aux cimetieres la plus grande étendue poffible; fur-tout fi, pour fatisfaire la vanité, on y fait des concefons de fépultures particulieres.

augmentée

augmentée en raison inverse de l'épaiffeur de la couche terreufe qui recouvrira les cadavres (a).

LXI. Ainfi lorfque l'année commune des morts donnera le nombre cent, il faudra que le cimetiere ait dans le premier cas douze mille fix cent quatre pieds quarrés de furface; dans le fecond, quinze mille fix cents (b). Un calcul fort fimple donneroit la furface d'un cimetiere, dans les circonftances où les cadavres ne feroient recouverts que de deux ou trois pieds de terre.

LXII. Cette étendue cependant ne pourroit prévenir les inconvéniens auxquels la denfité des vapeurs pourroit donner lieu, qu'autant que l'air les y abforberoit avec facilité (XI. VI. ); & pour qu'un cimetiere ne foit pas dangereux, il faut non-feulement que fon étendue foit proportionnée au nombre des cadavres qu'on y enterre, mais encore que l'air y circule avec la plus grande aifance, & fur-tout qu'il y foit le plus pur qu'il eft poffible (VI. VIII. I. IX. ); qu'ainfi tous les vents y abordent librement, & principalement ceux du nord & de l'eft.

Un ufage affez uniforme paroît autorifer les plantations d'arbres faites dans les cimetieres, mais il eft abufif & dangereux. Les arbres diminuent l'espace destiné aux fépultures; cela feul fuffiroir pour engager à faire ceffer cet ufage; il eft cependant encore un autre motif qui doit y déterminer. Si le mouvement des branches peut agiter l'air qui couvre les cimetieres, les arbres en rompant les courans d'air, s'opposent à l'action des vents fur les vapeurs, & ces vapeurs arrêtées par les feuillages, font forcées de retomber fur la terre, & y entretiennent une humidité pernicieuse. Qu'aucun édifice, aucun arbre n'interrompent donc les courans d'air, & ne s'op-pofent à la difperfion des vapeurs qu'ils doivent entraîner (c).

(a) La longueur de la foffe, dans la premiere fuppofition, étant de

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La largeur de

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(c) Dans une fentence du bailliage de Troyes, rendue en 1766, pour obliger à conftruire des cimetieres hors de la ville, il eft défendu de planter dans ces cimetieres des D

Tome XVIII.

LXIII. A ces conditions, on peut fans crainte y donner la fépulture aux morts. Les avantages de la fituation favorifent l'abforption & la difperfion des vapeurs, & peuvent même compenfer ceux que l'on attend de l'étendue des cimetieres on pourroit alors, fans inquiétude, y déposer un plus grand nombre de corps morts que cette étendue ne devroit le permettre. Une fituation moins favorable exigeroit au contraire qu'on y en enterrât beaucoup moins.

LXIV. Il eft impoffible de donner dans l'enceinte des villes, une étendue affez confidérable aux cimetieres, & proportionnée au nombre des morts qu'il faudroit y enterrer annuellement; il eft très-difficile que leur fituation puiffe être favorable à l'abforption des vapeurs qui s'en exhalent; la hauteur des maifons, celle des églifes, la direction des rues, font autant d'obstacles au libre abord des différens vents: auffi regne-t-il dans la plupart des cimetieres des villes, une humidité conftante: auffi se répand-il fouvent dans leur voifinage, des exhalaifons qui pénetrent les maifons, frappent difgracieusement l'odorat des perfonnes qui les habitent, & y al

térent les alimens.

LXV. Ces inconvéniens de la difpofition des cimetieres dans l'enceinte des villes, ont excité de tout temps des plaintes très-vives. Ce font des plaintes de cette efpece qui engagerent Mr. le procureur-général du parlement de Paris, à requérir l'arrêt rendu le 21 mai 1765. Il n'eft aucune ville où de femblables plaintes ne fe foient fait entendre, & à Dijon les cimetieres des paroiffes Notre-Dame, St. Michel, St. Médard, St. Jean, St. Nicolas & St. Pierre, ont mis fouvent ceux qui les avoifinent, dans le cas d'en faire de pareilles.

LXVI. On ne peut donc placer les cimetieres dans les villes, fans expofer les citoyens au danger qui accompagne la néceffité de refpirer un air. chargé de vapeurs animales putrides. On a vu que ce danger devoit engager à profcrire l'ufage d'enterrer dans les églifes. Il faut donc non-feulement renoncer à cet ufage, mais encore établir les cimetieres hors de l'enceinte des villes (a); les placer en plein air dans des endroits qui ne foient

arbres ou des arbriffeaux. Voyez les Ephem. Troyennes de M. Grofley, an. 1768,

pag. 107.

On m'oppofera peut-être, avec le docteur Prieftly, que les végétaux en afpirant les émanations putrides, purifient l'air (Voyez obferv. phyfiques de M. l'abbé Rozier, Avril 1773, premier vol. pag. 320); qu'ainfi les arbres feroient utiles dans les cimetieres à raifon de cet effet des végétaux. Mais cette propriété n'est encore que foupçonnée; & il est démontré qu'en faifant obftacle aux courans d'air, & en les brifant, les arbres empêchent la difperfion des vapeurs.

(a) M. le procureur-général du parlement de Paris, dans fon réquifitoire, faifoit obferver que, dans leur origine, les cimetieres, qui excitoient les plaintes, étoient hors de l'enceinte de Paris; qu'ils ne s'y étoient trouvés renfermés que par les accroiffemens fucceflifs de cette ville immenfe. Peut-être doit-on faire la même remarque au fujet de ceux l'on voit dans les autres villes; mais elle eft très-convenable à l'égard de Dijon. Pendant plufieurs fiecles il n'y eut qu'un feul cimetiere à Dijon, celui de l'abbaye

que

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pas trop humides, qui foient ouverts à tous les vents, & fur-tout à ceux du nord & de l'eft. Il faut, autant qu'il fera poffible, les fituer au nord & à l'eft, afin qu'en aucun temps les vapeurs infectes n'y puiffent être portées avec la denfité que l'humidité leur donne.

LXVII. L'intérêt le plus preffant nous invite à la réforme de l'usage dont je viens de faire fentir l'abus. Déjà plufieurs villes de France ont pris le parti d'établir les cimetieres hors de leurs murs; Laon & Dôle ont donné cet exemple. L'arrêt rendu par le parlement de Paris, a probablement fait interdire ceux qui infectoient cette fameufe ville. Il n'eft pas croyable que les préjugés fe foient oppofés avec fuccès à fon exécution. Les gens en place n'ignorent pas qu'il faut toujours fermer l'oreille aux clameurs de l'intérêt perfonnel & de l'orgueil, & qu'il faut faire fouvent du bien aux hommes malgré les hommes eux-mêmes. La falubrité de nos villes & de nos temples, exige qu'on n'y faffe aucune inhumation. Quelle raifon pourroit-on apporter pour engager à perpétuer un ufage reconnu pour dangereux? Les propriétaires des fépultures diront-ils qu'on viole leur propriété ? mais fi les conceflions qu'on leur a faites font nuifibles au public, de quel front s'efforceront-ils de faire valoir un droit abufif, contre lequel s'éleve leur intérêt propre, & qui répugne à l'humilité chrétienne?

C'eft feulement en faveur des martyrs que l'église a admis des exceptions aux regles établies à ce fujet par les canons. Sous quel prétexte pourroit-on fe croire dans le cas de ces exceptions (a)? Ne craignons donc

S. Benigne; il occupoit ce qui forme à préfent la place faint Jean, & tout l'emplacement des maitons & des hôtels bâtis dans les environs des églifes St. Jean, St. Philibert & St. Benigne. Des difputes élevées entre Mrs. les religieux de l'abbaye St. Etienne, & Mrs. les Bénédictins, furent l'époque à laquelle on établit différens autres cimetieres. Il eft évident qu'avant ce temps on n'enterroit pas les morts dans la ville, puifque l'abbaye St. Benigne étoit hors des murs; & comme toutes les paroiffes, à l'exception de St. Médard, étoient également hors des murs, il eft certain que les cimetieres étoient plus aérés & plus fpacieux qu'ils ne le font à préfent; on les a fucceffivement refferrés par des bâtimens; & la plupart des places qui décorent notre ville, fervoient autrefois à donner la fépulture aux fideles.

Les mêmes confidérations déterminerent en 1766 le bailliage de Troyes à défendre. d'enterrer dans la ville. Voyez la note pag. 25.

(a) Si le concile tenu à Rouen en 1581, dit: Non ideò promifcuè, ut nunc fit, mortui fepeliantur in Ecclefiis.... fed hoc fervetur Deo facratis hominibus.... aliis infuper qui nobilitate, vel virtutibus, vel meritis erga Deum & Rempublicam fulgent: cæteri piè & religiofe in cameteriis ad hoc dedicatis fepulturæ tradantur; il eft permis d'obferver que ce concile n'étoit qu'un concile national, & que fes décifions, quoique très-refpectables, ont donné lieu à l'abus contre lequel on s'éleve aujourd'hui. Car enfin, permettre d'enterrer dans les églifes, les eccléfiaftiques, les perfonnes d'une noble origine, celles que leurs vertus ou les fervices rendus à la fociété ont diftinguées, n'eft-ce pas intéreffer l'orgueil à infecter les temples? Quelle est la famille qui ne prétendra pas à une diftinction accordée à des qualités dont il eft facile de préfumer la réalité, & qu'il eft difficile de refufer à qui que ce foit; à une diftinction qui, devenant un titre d'honneur pour les uns, eft en même temps aviliffante pour les autres?

En vain croiroit-on avec M. Armand Bazin de Bezon, archevêque de Rouen, pou

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