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François, franchir ces montagnes prefque inacceffibles, & s'attaquer avec un acharnement d'autant plus grand, qu'il étoit foutenu par une antipathie nationale. Mais cette averfion a difparu depuis le commencement du dixhuitieme fiecle, c'eft-à-dire, depuis qu'un prince François regne en Efpagne, & que les intérêts de ces deux puiffances ont été réunis. Cependant, comme ces intérêts peuvent changer, & que l'amitié de deux monarques peut s'affoiblir, à mesure que les degrés de parenté s'éloignent du nœud qui les avoit formés, l'Espagne doit toujours être fur fes gardes contre un voifin fi puiffant, & ne rien négliger pour entretenir en bon état fes ports de mer, & les places fortes, dont les Pyrénées font remplies; d'autant plus que la France a des forces fuffifantes pour lui faire beaucoup de mal par mer & par terre. Il convient d'ailleurs à la cour de Madrid, d'entretenir toujours une bonne harmonie & des liaifons d'amitié avec celle de Verfailles, qui peut concourir avec tant d'efficace à faire réuflir fes vues politiques, & à protéger fes poffeffions étrangeres.

L'Espagne a des ménagemens très-délicats à garder avec l'Angleterre : premiérement, parce que celle-ci eft de toutes les puiffances du monde, la plus formidable par mer, & par conféquent, elle peut inquiéter nonfeulement les Espagnols en Amérique, mais auffi troubler leur navigation, ce dont on a vu même de nos jours, de fréquens exemples; en fecond lieu, par les intérêts du commerce important.qui fe fait entre les deux nations: car, quoique ce commerce foit tout-à-fait paffif pour l'Espagne, elle ne peut s'en paffer jufqu'à préfent, & les autres peuples commerçans n'ont pu encore lui fournir ni la quantité, ni la qualité d'ouvrages de manufactures, de grains, & d'autres marchandifes dont elle a befoin. Au refte, il y a trois caufes qui peuvent donner lieu à la méfintelligence, & même à des ruptures, entre ces deux nations; 19. parce que le trône d'Espagne eft occupé par une branche de la maifon de Bourbon, qui, felon les apparences, favorifera toujours les vues de la France, rivale naturelle de l'Angleterre; 2°. parce que l'Espagne ne fauroit, fans une extrême jalousie, voir les Anglois maîtres de Gibraltar, place forte de la plus grande importance, fituée au milieu de fon territoire; & 3°. parce que les négocians Anglois ont trop grand befoin du commerce de contrebande, qu'ils font fur les côtes des poffeffions Efpagnoles en Amérique, pour y renoncer, & qu'au contraire les Efpagnols en fouffrent trop de dommage pour le permettre. Ils ont fait la derniere guerre pour maintenir leur droit naturel à cet égard, & la paix leur en a affuré la poffeffion; mais l'appât du profit rend les Anglois incorrigibles; leurs vaiffeaux reparoiffent à tout moment dans ces parages, & cette pomme de difcorde ne fera pas fitôt ôtée entre

les deux nations.

Après que la Hollande eut fecoué le joug des Efpagnols, & jufqu'à la paix de Munster, cette république étoit un ennemi dangereux de l'Espagne; mais actuellement ces deux puiffances ont un intérêt réel à confer

ver entr'elles cette bonne harmonie, dont leur commerce réciproque tire de fi grands avantages, fur-tout lorfque l'Efpagne eft en guerre, foit avec l'Angleterre, foit avec la France. Or, comme la politique des Hollandois fe rapporte toujours à l'accroiffement & au maintien de leur négoce, if n'eft pas probable qu'ils rompront facilement avec la cour de Madrid. La fituation locale d'ailleurs de l'Espagne & de la Hollande, eft telle, qu'il ne fauroit y avoir entr'eux des idées de conquêtes mutuelles, fur-tout, "depuis que la Flandre Efpagnole a paffé en d'autres mains.

La cour d'Espagne cherche encore à ménager l'amitié de la république Helvétique non-feulement à caufe des troupes Suiffes, qu'elle peut prendre au befoin à fon fervice, mais auffi pour l'engager à obferver la neutralité, lorfque l'Espagne prend part aux troubles qui naiffent fi souvent en Italie.

Depuis que l'Espagne ne poffede plus en Italie les provinces confidérables qu'elle y tenoit ci-devant, elle n'y a d'autres intérêts à ménager, que ceux qui naiffent de l'enchaînure des affaires générales de l'Europe, du maintien de l'équilibre. Elle doit tâcher néanmoins de s'y former, d'y entretenir un parti, & de cultiver l'amitié de tous les princes & de toutes les républiques qui pourroient s'oppofer aux progrès, ou de la maison d'Autriche, ou du roi de Sardaigne, s'ils vouloient s'y rendre trop formidables. A l'égard du pape, le roi catholique doit obferver la même politique envers le faint hiege, que le roi de Portugal, c'eft-à-dire, qu'il doit ménager fon amitié, en cherchant néanmoins à refferrer peu à peu les bornes de fon pouvoir en Efpagne. C'eft le moyen de faire fervir à l'avantage de l'Etat, une partie des trop grandes richeffes du clergé Efpagnol; & fi, dans des befoins urgens, la cour de Madrid obtient de Rome la permiffion de lever des dîmes fur les biens eccléfiaftiques, ou d'exiger des dons gratuits des gens d'églife, elle peut envifager ces richeffes comme des tréfors cachés, & des reffources en cas de néceflité.

Tant que l'Espagne n'aura point de vues particulieres fur l'Italie, elle ne fauroit avoir de relations directes avec l'Empire, ou le corps germanique, n'étant point limitrophe de l'Allemagne, & n'ayant de commerce qu'avec les villes anféatiques. Aucun des princes d'Allemagne n'entretient d'ailleurs des flottes capables de lui donner la moindre inquiétude. Cependant, comme l'Empire peut indirectement nuire à fon fyftême politique, ou le favorifer par la connexion générale des affaires de l'Europe, elle envoie ordinairement un ambaffadeur à la diete d'élection, lorfque le fiege eft vacant, pour tâcher d'y faire placer un candidat à fa bienféance; & Gelle forme quelque projet fur l'Italie, la Maifon d'Autriche fe trouve naturellement dans fon chemin, & s'oppofe à fes vues. On ne parle pas des Pays-Bas Efpagnols poffédés aujourd'hui par cette même maifon. Il ne feroit ni de la juftice, ni de l'intérêt du roi d'Efpagne, de chercher à revendiquer des provinces qu'il a cédées fi folemnellement, qui font fi éloi

gnées & fi difficiles à reconquérir. Si la Pruffe continue à faire des progrès dans fes manufactures & fa navigation, l'Espagne peut former avec cette puiffance des liaisons avantageufes, & conclure un traité de commerce, qui a déjà été projetté, vu qu'elle ne fauroit tirer par un canal plus direct les toiles de Siléfie, le bois, & plufieurs autres marchandifes néceffaires pour la propre confommation, & pour celle de fes colonies.

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La Pologne ne fauroit avoir de relations avec l'Espagne, en étant dans un fi grand éloignement, & n'ayant ni port de mer, ni flotte, ni commerce maritime. Il eft d'ailleurs contre toute vraisemblance, que jamais un prince d'Efpagne ambitionne de monter au trône de Pologne. Les mêmes raifons fubfiftent à l'égard de la Ruffie, qui n'a point de navigation marchande & qui par conféquent ne fauroit avoir des liaisons directes avec I'Efpagne. Quant à la Suede & au Danemarc, ces puiffances du nord n'ont pas des forces navales affez confidérables, pour pouvoir attaquer les poffeffions Espagnoles, ou faire beaucoup de mal à leur navigation. Elles nuiroient même à leur propre commerce, & il eft de leur intérêt d'encourager celui que les négocians Danois, Suédois & Norvégiens font avec l'Espagne, pour le débit de toutes les denrées que produit le Nord, & dont celle-là ne fauroit guere fe paffer. D'un autre côté, l'Espagne peut faire conftruire avec beaucoup d'avantage en Norwege, des vaiffeaux pour fa marine, & dans un befoin, elle pourroit trouver chez ces puiffances, des efcadres & des flottes toutes prêtes, & des fubfides confidérables. C'eft pour toutes ces raifons, que le roi catholique doit ménager toutes les puiffances qui ont des ports fur la mer-baltique, & entretenir avec elles une bonne harmonie.

&

La fituation des affaires de l'Europe & d'Afie, eft telle aujourd'hui, que l'Espagne n'a rien à craindre de la Porte Ottomane; mais elle eft prefque toujours en guerre perpétuelle avec les pirates de la côte de Barbarie, avec le roi de Maroc, &c. Comme elle poffede fur cette côte le Pénon de Vélez, Oran, Arzille, Ceuta, &c. il eft certain que les villes de Tunis, d'Alger, & autres, feroient affez à fa bienféance; mais la conquête en deviendroit difficile , parce que ces Etats font fous la protection du grand-feigneur, que les autres puiffances Européennes en feroient trop jaloufes. Mais en revanche, l'Espagne n'a rien à craindre d'une invafion de ce côté-là, ces républiques étant trop foibles pour pouvoir faire des entreprises de conféquence; d'ailleurs, cette couronne n'a pas grand fujet d'appréhender les pirateries des Algériens pour fa navigation, parce que les étrangers viennent apporter fur leurs propres navires les marchandifes dans les ports. d'Espagne, & charger celles qu'ils en rapportent; & que la navigation aux Indes eft protégée par des vaiffeaux de guerre. Tous les attentats des Pirates pourroient auffi être facilement réprimés par la puiffance Efpagno le, fur-tout, fi elle vouloit employer le fecours de la France, qui a lu de tout temps tenir ces corfaires en respect.

S. I I.

IMPOSITIONS DANS LE ROYAUME D'ESPAGNE.

LEs revenus du roi d'Espagne, confiftent principalement dans différens

droits qui font connus fous la dénomination de rentes provinciales, rentes générales, rentes particulieres, droits de lanzas, de mediannata & d'excufado.

RENTES PROVINCIALE S.

LEs rentes provinciales fe divifent en différentes branches qui toutes font régies par des principes qui leur font propres.

PREMIERE BRANCHE.

LA premiere branche, connue fous la dénomination de Alcavala y

cientos, confifte dans un droit qui fe perçoit fur toutes les choses mobiliaires & immobiliaires qui font vendues, échangées & négociées; ce droit, qui dans le principe avoit été fixé à quatorze pour cent, a été depuis réduit à fix pour cent, fignification des mots Alcavala y cientos.

En matiere de vente d'effets mobiliers, celui qui vend eft obligé de prévenir la perfonne qui eft chargée de la perception & adminiftration du droit, de la vente qu'il a faite & du montant de cette vente ; & faute par lui de faire fa déclaration, il encourt la peine du double droit.

Quant aux immeubles, les contrats de vente & d'échange doivent être paffés par des notaires; ceux-ci font tenus d'en donner avis aux personnes chargées de la perception du droit, & faute par eux de s'y conformer, ils font dans le cas de payer le droit au quadruple.

Le droit fur les ventes de meubles ou immeubles, doit être acquitté dans les cinq jours de la vente, & lorfque ce terme eft expiré, le vendeur paie le double droit; l'acheteur eft fujet à la même peine s'il ne dé◄ clare pas ce qu'il a acheté dans les trois jours de la vente.

On a défigné dans les grandes villes trois portes, dans les petites villes deux portes, & pour les villages deux rues, où font établis les bureaux pour la perception du droit fur tout ce qui eft amené dans ces villes & villages pour y être vendu; les marchands font obligés de fe préfenter à ces bureaux avec leurs marchandifes, faute de quoi elles font confifquées.

SECONDE BRANCHE.

LA A feconde branche des rentes provinciales, confifte dans les droits qui fe perçoivent fur les huiles, les vins & les vinaigres.

Pour affurer le recouvrement de ces droits, les propriétaires des huiles, vins & vinaigres, & ceux qui en font commerce font tenus de déclarer la quantité qu'ils en ont; le prépofé à la perception du droit se transporte dans les maifons & magafins, à l'effet de vérifier fi les déclarations font exactes, & lorfque quelqu'un eft trouvé en fraude, ce qu'il n'a point déclaré eft confifqué; il eft en outre condamné à une amende qui eft fixée au montant de la valeur de la marchandise confifquée.

Lorfque par le moyen des déclarations & des vifites, les quantités que chaque particulier poffede font conftatées, ceux-ci ne peuvent en vendre aucune partie fans la permiffion du prépofé qui ne la refufe jamais; la permiffion exprime la quantité qui doit être vendue, & fi la vente en fera faite en gros ou en détail,

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Celui qui vend en gros ne paie que le droit d'Alcavala y cientos, c'està-dire, fix pour cent; mais s'il veut vendre en détail il paie en outre d'autres droits, dont les uns entrent dans les coffres du roi, & les autres font deftinés à fubvenir aux dépenfes qui font occafionnées par les vérifications qui font faites à l'effet de conftater la confommation qui a été faite chaque année, relativement aux quantités que chaque particulier avoit déclarées; ces vérifications font arrêtées chaque année le dernier Septembre; on procede à un nouvel inventaire dans le mois d'Octobre & par ce moyen on connoît l'objet de la confommation annuelle, l'objet des droits qui ont été perçus, & la quantité des huiles, vins & vinaigres qui existent, Dans les endroits où l'on ne recueille ni huiles, ni vins, & dont les habitans font obligés de les tirer des lieux voifins, les cabaretiers & les marchands font tenus de fe munir d'un acte ou certificat, qui conftate leur profeffion; ils préfentent cet acte ou certificat au prépofé ou au juge du lieu, dans lequel ils vont faire leuis achats on retient cet acte & on leur en délivre un autre, qui énonce les quantités de chaque efpece qu'ils enlevent & le nom du vendeur. Ce dernier acte tient lieu d'acquit-à-caue tion, & faute d'avoir rempli ces formalités, les marchandises & voitures font confifquées, & les conducteurs font condamnés en des amendes.

Lorfque les acheteurs arrivent dans les lieux de leur réfidence, ils font tenus de représenter leurs certificats ou acquits-à-caution, & les marchandifes qui y font énoncées, à l'un des bureaux qui font établis à cet effet, finon les marchandises font confifquées, & ils font en outre condamnés en des amendes.

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