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aux temples exige la profcription de cet ufage, & que l'efprit de l'églife, qui a maintenu pendant plufieurs fiecles les loix qui défendoient cette profanation, ne peut avoir changé, & ne la tolere qu'à regret.

XLII. L'on a pendant long-temps enterré les chrétiens en plein air, hors des villes, dans des lieux confacrés aux fépultures, & défignés fous le nom de cimetiere, & dans lefquels il n'étoit pas même permis d'élever des oratoires. On ne fe relâcha fur ce point qu'en faveur des martyrs, dont les reliques furent dépofées dans des chapelles que l'on conftruifit à cet effet au milieu des cimetieres; & l'on regardoit ce point de difcipline comme tellement important, que dans toutes les permiffions données par faint Grégoire pour bâtir des églifes, ce faint pere mettoit toujours, pourvu que dans l'emplacement il ne fe trouve point de fépultures (a).

Plufieurs conciles défendirent expreffément d'enterrer dans les églifes, & permirent feulement, encore comme une grace particuliere, de faire les inhumations près des murs (b). Conftantin-le-Grand, qui s'étoit acquis tant de droits à la reconnoiffance des chrétiens, fut inhumé seulement fous le portail de l'églife des apôtres qu'il avoit fondée (c).

Théodofe, Arcadius & Théodofe-le-jeune furent enterrés in templi porticu. Plufieurs papes, tels que Benoît III & Nicolas I, le furent devant la porte du Vatican; Pepin, ayeul de Louis-le-Débonnaire, devant celle de l'églife de St. Denis.

XLIII. II feroit difficile de fixer l'époque où s'eft introduit l'ufage d'enterrer dans les églifes; & il eft à préfumer qu'elle eft poftérieure à 309, puifqu'il n'a pu s'établir qu'après celui de former des cimetieres dans les villes, & que c'eft feulement en cette année-là que le pape Marcel obtint du fénat la permiffion d'en faire un dans l'enceinte de Rome.

Mais puifque Clovis fut enterré en 518 dans l'églife de St. Pierre & St. Paul à Paris, aujourd'hui Ste. Genevieve, & Dagobert à St. Denis en 638 (d), il eft certain que l'on enterroit dans les églifes long-temps avant Charlemagne. La défenfe que, dans un de fes capitulaires, ce monarque fait d'enterrer déformais les morts dans les églifes (e), & les canons des conciles d'Arles tenu en 813, & de Nantes en 850, qui con

(a) Si nullum corpus ibi conftat humatum. Menagiana, tom. II, édit. de Paris, pag. 208. (b) Le canon 18 du concile de Brague, tenu en 563, porte: Item placuit ut corpora defunétorum nullo modo intrà Bafilicam Sanctorum fepeliantur, fed, fi neceffe eft, de foris circà murum Bafilica ufque adeò non abhorret. Collect des Conciles du P. Labbe, tom. V, pag. 842, du P. Hardouin, tom. II, pag. 352.

(c) Voyez la lettre de Saint Chryfoftome aux Corinthiens, tom. XXVI de l'édition in-12. Le Traité de l'abus par M. Fevret, édition in-fol. page 180.

(d) Abrégé de M. le préfident Hénault, tom. I, pag. 32.

(e) Ut nullus deinceps in Ecclefiâ mortuum fepeliat: lib. Ier, des capit, des Rois de France, chap. CLIII.

tiennent la même défense (a), font encore une preuve de l'ancienneté de cet ufage. Il eft à préfumer cependant qu'il n'étoit pas généralement répandu, & que la loi de Charlemagne, au fujet des enterremens, fut refpectée long-temps encore après le regne de ce monarque. Le maufolée de Renaud, premier comte de Bourgogne, mort en 1057, que l'on voit dans le parvis de l'église Saint Etienne à Besançon (b), & celui d'Eudes, premier duc de Bourgogne, de la premiere race, mort en 1102, qui eft fous le portail de l'églife de l'abbaye de Citeaux (c) dont il étoit le fondateur, prouvent que cette loi étoit encore en vigueur dans le onzieme fiecle & dans le commencement du douzieme.

XLIV. C'est donc dans les cimetieres feuls qu'il eft permis d'enterrer les morts. Mais ces cimetieres peuvent-ils être placés dans l'enceinte des villes? Non fans doute, fi par cette pofition ils expofent les citoyens à un danger à peu près égal à celui qui accompagne l'ufage des inhumations faites dans les églifes: l'infection de l'air par des émanations animales putrides, voilà ce qui rend cet ufage dangereux en plaçant les cimetieres dans l'enceinte des villes, on donne lieu à cette même infection.

XLV. Ils font des dépôts où les corps humains, rendus à la terre, se décompofent par la putréfaction : le feu central y fait conféquemment exhaler de leur furface des molécules animales putrides (1. x. 1°. & 8°.), & l'air qui les reçoit, s'infecte néceffairement. Mais, comme les vapeurs formées par les écoulemens cadavereux ne peuvent altérer l'air au point d'occafionner des événemens funeftes (XVII. XIX. XXIX.), qu'autant qu'elles font très-abondantes & fort denfes (xv & XVI), il faut, pour que les cimetieres ne foient point dangereux, que les vapeurs formées par les exhalaifons des cadavres, ne foient ni denfes, ni abondantes. Les vapeurs fe trouvent-elles réduites à cet état défirable dans les cimetieres placés au milieu des villes? Les réflexions fuivantes vont réfoudre ce problême.

(a) Ut de fepeliendis in Bafilicis mortuis conftitutio illa fervetur, quæ antiquis patribus conftituta eft can. XXI du Concile d'Arles. Colle&t. du P. Labbe, tom. VII, pag. 1238; du P. Hardouin, tom. IV, pag. 1006. On lit dans le Vle. canon de celui de Nantes, dont la date eft incertaine, mais que les PP. Labbe & Hardouin placent en 895: Prohi bendum eft etiam fecundùm majorum inftituta, ut in Ecclefiâ nullatenus fepeliantur, fed in atrio, aut in porticu, aut in exedris Ecclefiæ, intrà Ecclefiam verò & prope altare ubi Corpus & Sanguis Domini conficiuntur, nullatenus fepeliantur. Labbe, tom. IX, pag. 470; Hardouin, tom. VI, part. Ire. pag. 458.

(b) Art de vérifier les dates par les religieux Bénédictins de la Congrégation de faint Maur, dern. édit. pag. 667, coll. 2.

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(c) Paradin dans fes annales de Bourgogne, pag. 102, fait à cette occafion la réflexion fuivante: En quoi l'on peut voir que ces bons princes n'étoient point fi ambitieux qu'on l'eft aujourd'hui en matiere de fépultures, car ils fe contentoient bien d'être aux portes des églifes & encore au dehors, & les modernes ne font pas encore contens s'ils ne ,, font mis jufques fous les grands autels.... lefquels tâchent de s'immortalifer par piliers ,, & fepulcres de marbre, plus que par doctrine & fainteté de vie. "

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XLVI. La terre eft perméable aux écoulemens qui fe font des corps qu'elle renferme, & ces écoulemens étant néceffairement proportionnés au nombre des points d'où ils partent, il en résulte qu'ils font d'autant plus confidérables dans un lieu donné, qu'il y a plus de points exhalans, & que les vapeurs formées par ces écoulemens, font d'autant plus confidérables dans les cimetieres, qu'on y a enterré un plus grand nombre de corps, & d'autant moins que ce nombre eft plus petit.

XLVII. Mais quoique la terre foit perméable, il eft de fait qu'elle gêne un peu les écoulemens par l'obftacle que leur oppofent fes parties conftituantes; qu'en les gênant, elle retarde l'émanation des molécules cadavéreufes, de maniere que celles-ci s'exhalent en détail, & conféquemment fortent en plus petite quantité dans un temps donné.

Cette action de la terre confidérée comme agiffant par fa maffe, eft néceffairement proportionnée à l'épaiffeur des couches que les écoulemens doivent traverfer; d'où il fuit que ceux-ci font d'autant moins confidérables, que les cadavres font plus profondément enterrés.

XLVIII. L'enfouiffement des corps morts, fait plus ou moins profondément, influe encore fur la denfité des vapeurs. Dès que les molécules terreufes font capables de faire obftacle à l'écoulement des corpufcules putrides qui s'échappent des cadavres (XLVI.), il eft certain qu'elles agiffent avec plus d'avantage fur les corpufcules les plus groffiers que fur les autres; qu'ainfi l'effet d'une couche terreufe fort épaiffe, eft de fubtilifer les vapeurs, en s'oppofant à l'émanation des corpufcules groffiers, & de diminuer leur denfité; de forte qu'elles font d'autant moins denfes, que les corps qui les fourniffent, font plus profondément enterrés, & d'autant plus denfes que ces corps font recouverts de moins de terre.

XLIX. II eft encore une caufe capable d'augmenter la denfité de ces vapeurs, c'eft la réunion des écoulemens fortant de différens cadavres : il eft évident que ces vapeurs acquerront une denfité proportionnelle au nombre des rayons d'écoulement réunis en un même point.

L. Tout corps livré à la putréfaction doit être regardé comme un foyer d'où s'élancent en tout fens des corpufcules fétides, dont la direction forme des rayons plus ou moins étendus, plus ou moins inclinés à l'horizon.

Ces rayons, à l'air libre, & quand la mobilité de ce fluide ne les brife point & ne change point leur direction, fe rendent fenfibles à un plus ou moins grand éloignement, fuivant la force des écoulemens qui en conftituent l'effence; & quoiqu'on ne puiffe pas déterminer avec précision leur étendue, il femble que l'expérience autorife à leur donner, en un temps calme, au moins celle de vingt-cinq à trente pieds.

LI. La terre, par la réfiftance qu'elle oppofe à ces écoulemens (XLV.), produit fur leurs rayons deux effets qu'il eft intéreffant de remarquer : elle les raccourcit néceffairement, & modifie leur direction.

Il n'eft pas poffible de foumettre au calcul ce raccourciffement ni ce

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changement de direction, mais l'on peut donner pour affuré qu'il eft proportionné à l'épaiffeur de la couche terreufe; &, comme dans une occafion où l'expérience ne peut pas guider, il eft permis de faire des fuppofitions, pourvu qu'on ne s'écarte point de la vraifemblance, je fuppoferai qu'une couche terreufe, d'un pied d'épaiffeur, raccourcit les rayons de deux. pieds, & même de trois fi l'on veut; c'eft probablement exagérer fon effet, puifque l'on voit des fources fe manifefter par des exhalaifons fenfibles, quoiqu'elles foient à plus de vingt & trente pieds au-deffous de la furface du terrein; & que les écoulemens étant fluides & les pores de la terre pouvant être affimilés à des tubes capillaires, il eft à préfumer que l'effet de l'obftacle oppofé aux émanations par les molécules terreufes, n'est pas, à beaucoup près, auffi confidérable que je le fuppofe.

J'admettrai cependant cet effet comme conftant, pour ne pas donner lieu à la plus légere objection; & partant de cette fuppofition, je trouve qu'un corps mort, enfoui à fept pieds de profondeur, ne doit porter fes exhalaifons qu'à cinq ou fix pieds au-deffus de la furface de la terre; mais que quatre pieds de terre laiffent affez de force aux émanations pour s'élever à douze ou quinze pieds, & même beaucoup plus haut.

LII. Un autre effet néceffaire de l'action des couches terreuses, eft la réfraction des rayons d'écoulemens. Celle-ci doit être proportionnelle à l'épaiffeur de ces couches, & l'on eft en droit de fuppofer que les rayons partis d'un corps enterré à fept pieds de profondeur, feront tous réfractés, & tellement rapprochés de la perpendiculaire, qu'ils deviendront prefque tous paralleles entr'eux, & que les émanations d'un cadavre enfoui à cette profondeur, s'éleveront, à peu de chofe près, perpendiculairement à l'horizon. Mais on eft auffi autorifé à prétendre que la terre étant perméable en tout fens, ces rayons divergeront d'autant plus & feront d'autant plus inclinés à l'horizon, que la couche de terre qui recouvrira les cadavres fera moins épaiffe; qu'ainfi lorfque ces rayons ne traverferont qu'une couche de quatre pieds d'épaiffeur, ils fe porteront obliquement de façon à fe réunir à ceux qui partiront des foffes voifines, fi celles-ci ne font pas affez éloignées pour que leurs rayons mutuels ne puiffent pas fe rencontrer: mais cette réunion ne pourra avoir lieu fans augmenter la denfité des vapeurs, & cette denfité fera toujours en raifon directe de la diftance des foffes qui renfermeront les cadavres.

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LIII. Si l'on pouvoit calculer, & la réfiftance des couches terreuses, & la force des écoulemens putrides, on pourroit déterminer avec précision la divergence des rayons formés, dans cette circonftance, par ces écoulemens. Ceux-ci font fi fubtiles, qu'on peut préfumer que ces rayons s'étendent à plus de fept à huit pieds fous des angles plus ou moins aigus. Bornons-en l'étendue à trois ou quatre, réduifons même à deux la ligne horizontale à l'extrémité de laquelle tomberoit la perpendiculaire tirée du fommet du rayon, il en résultera que fi des foffes, dont la profondeur

feroit de quatre à cinq pieds, n'étoient qu'à deux pieds de diftance l'une de l'autre, les écoulemens des cadavres voifins fe confondroient; qu'ainfi, pour éviter la denfité qui en feroit l'effet, il faudra mettre au moins entre chaque foffe quatre pieds d'intervalle fur les grands côtés; & qu'eu égard au peu d'écoulement que doivent donner la tête & les pieds, on pourra réduire cet intervalle à deux pieds à chaque extrémité de la foffe.

Cette diftance devra varier à raifon de la profondeur des foffes; & comme la divergence des rayons feroit peu confidérable fi les foffes avoient fix à fept pieds de profondeur, on pourroit alors ne mettre entre chaque foffe que deux pieds fur les grands côtés, & un à la tête & aux pieds.

LIV. Mais en vain s'éleveroit-il peu de corpufcules cadavéreux de la furface des cimetieres (XLIV.); en vain les cadavres feroient-ils profondément enterrés (XLV.); & les rayons de leurs écoulemens affectant la perpendiculaire (LI.), ne fe réuniroient-ils point; la denfité des vapeurs feroit encore inévitable, fi les émanations n'étoient point abforbées & diffoutes à proportion qu'elles fe font.

Or, cette abforption & cette diffolution ne peuvent avoir lieu qu'autant que l'air qui couvre la furface des cimetieres, eft fouvent renouvellé & très-peu humide (VI, VIII. 1o. IX.).

LV. Dès que la falubrité des cimetieres dépend du peu d'abondance & du peu de denfité des vapeurs animales que les exhalaifons cadavéreufes y forment (XLV.), & que cette abondance & cette denfité font en raifon du petit nombre de cadavres qui y font déposés (XLVI.), de la profondeur de leur enfouiffement (XLVIII.), de l'attention à efpacer les foffes proportionnellement à leur profondeur (LIII.), & de la facilité que l'air trouve à abforber ces vapeurs (LIV); il faut donc que les foffes aient au moins cinq à fix pieds de profondeur, afin que les morts foient recouverts de quatre à cinq pieds de terre; que les cimetieres aient une étendue proportionnée au nombre des cadavres qu'on y enterre, & que l'air y circule avec facilité, & y jouiffe de toutes les qualités propres à le rendre très-abforbant.

LVI. Deux confidérations doivent déterminer l'étendue des cimetieres & l'on doit fe décider par la durée de la deftruction complette de chaque cadavre, & par la quantité de terrein néceffaire à la fépulture de chacun d'eux.

LVII. Le danger qu'il y auroit à donner brufquement iffue à des miafmes cadavereux depuis long-temps fouftraits à l'action de l'air, & à favorifer leur émanation en maffe, eft prouvé par des faits décififs ( xxv, XXVI, XXX.); & lorfqu'il faut fixer l'étendue que doivent avoir les cimetieres, c'eft fur la réalité de ce danger qu'eft fondée la néceffité d'avoir égard au temps qui s'écoule avant que la putréfaction ait complétement détruit les cadavres (a).

(a) Je n'entends point, fous cette expreffion, la deftruction des os, qui exige fenfiblement un temps beaucoup plus long.

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