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fonnelles à celui qui allegue l'Erreur, parce que chacun eft présumé savoir ce qui eft de fon fait.

Quant à l'Erreur de droit, on peut être dans l'Erreur par rapport au droit pofitif, mais perfonne n'eft préfumé ignorer le droit naturel : les gens même les plus fimples & les plus groffiers ne font pas excufés à cet égard nec in ea re rufticitati venia præbeatur. Lib. II. cod. de in jus voc.

L'Erreur commune eft celle où font tombés la plupart de ceux qui avoient intérêt de favoir un fait qu'ils ont cependant ignoré. C'eft une maxime en droit que error communis facit jus, c'eft-à-dire, qu'elle excufe celui qui y eft tombé comme les autres. Il y a dans les livres de Juftinien deux exemples remarquables de l'effet que produit l'Erreur commune. L'un eft en la fameufe loi barbarius Philippus, au ff. de officio prætorum : c'est l'espece d'un esclave qui avoit fait l'office de préteur : la loi décide que tout ce qu'il a fait eft valable. L'autre eft la loi fi quis, au ff. de fenatufc. Maced, qui décide que fi un homme a traité avec un fils de famille, qui paffoit publiquement pour être pere de famille, ce fils de famille ne pourra pas exciper contre lui du bénéfice du Macédonien, quia publice.... fic agebat, fic contrahebat.

Les jurifconfultes Romains ont employé un titre entier à traiter expreffément de l'ignorance du droit & de celle du fait; Digeft. Lib. XXII. tit. VI. & Cod. lib. 2. tit. XVIII, Domat. loix civiles &c. 2. P. lib. 2. XVIII, fec. 2. mais ils ne l'envifagent pas tant comme ayant quelqu'effet par rapport aux actions morales, que comme fervant à faire acquérir, conferver, ou perdre quelque droit, ou quelqu'action en juftice. Tout ce qu'ils difent fe réduit à ceci en général, que l'ignorance du droit eft ordinairement accompagnée de quelque négligence inexcufable, mais qu'il n'en eft pas même de l'ignorance du fait, & qu'ainfi l'équité veut qu'il n'y ait que la premiere qui nuife: regula eft juris quidem ignorantiam cuique nocere, fadi verò ignorantiam non nocere. Digeft. Ibid. Leg. IX.

de

L'Erreur contractée par négligence, & dont on fe feroit garanti fi l'on eût pris tous les foins & apporté toute l'attention dont on étoit capable, eft une ignorance volontaire; ou bien, c'eft une Erreur vincible & furmontable. Ainfi le polytheïfme des payens étoit une Erreur vincible, car il ne tenoir qu'à eux de faire ufage de leur raifon, pour comprendre qu'il n'y avoit nulle néceffité de fuppofer plufieurs dieux. J'en dis autant de l'opinion établie chez la plupart des anciens peuples, que l'on pouvoit honnêtement exercer la piraterie contre tous ceux avec qui l'on n'avoit aucun traité, & en ufer avec eux comme avec des ennemis. Mais l'ignorance eft involontaire, & l'Erreur eft invincible, fi elles font telles que l'on n'ait pu, ni s'en garantir ni s'en relever, même avec tous les foins moralement poffibles; c'est-à-dire, à en juger felon la conftitution des chofes humaines & de la vie commune. C'eft ainfi que l'ignorance où étoient les Amé

ricains de la religion chrétienne, avant qu'ils euffent aucun commerce avec les Européens, étoit une ignorance involontaire & invincible.

Enfin, l'on entend par une Erreur effentielle celle qui a pour objet quelque circonftance néceffaire dans l'affaire dont il s'agit, & qui par cela même a une influence directe fur l'action faite en conféquence; en forte que, fans cette Erreur, l'action n'auroit point été faite. De-là vient qu'on appelle auffi cette Erreur efficace. Entendez par circonftances néceffaires celles que demande néceffairement & par elle-même la nature de la chofe, ou bien l'intention de l'agent, formée dans le temps qu'il falloit, & notifiée par des indices convenables. C'étoit, par exemple, une Erreur esfentielle que celle des Troyens, qui, à la prise de leur ville, lançoient des traits fur leurs propres gens, les prenant pour des ennemis, parce qu'ils étoient armés à la grecque. Autre exemple : un homme épouse la femme d'autrui, la croyant fille, ou ne fachant pas que fon mari eft encore en vie. C'est-là une Erreur qui regarde la nature même de la chose, & qui eft par conféquent effentielle.

Au contraire, l'Erreur accidentelle eft celle qui n'a par elle-même nulle liaison néceffaire avec l'affaire dont il s'agit, & qui par conféquent ne sauroit être confidérée comme la vraie caufe de l'action. Un homme outrage ou maltraite quelqu'un, le prenant pour un autre, ou parce qu'il croit que le prince eft mort, comme le bruit s'en étoit répandu fans fondement, &c. Ce font-là des Erreurs purement accidentelles, qui fe trouvant actuellement dans l'efprit de l'agent, ont bien accompagné fon action, mais qui ne fauroient être confidérées comme en étant la véritable caufe.

Au refte, toutes ces différentes efpeces d'Erreur peuvent fe réduire à deux claffes générales; favoir aux Erreurs de pratique, & aux Erreurs de Spéculation. Les premieres font plus aifées à détruire, parce que l'expérience nous apprend fouvent que les moyens que nous employons pour être heureux, font précisément ceux qui éloignent notre bonheur en nous livrant à de faux biens qui paffent rapidement, & qui ne laiffent après eux que la douleur ou la honte. Alors nous revenons fur nos premiers jugemens, nous révoquons en doute des maximes que nous avons reçues fans examen, nous les rejettons & nous détruifons peu à peu le principe de nos égaremens. S'il y a des circonftances délicates, où ce difcernement foit trop difficile pour le grand nombre, la loi nous éclaire. Si la loi n'éclaircit pas tous les cas, il eft des fages qui l'interpretent, qui communiquent leurs lumieres, & qui répandent dans la fociété des connoiffances qui ne permettent pas à l'honnête homme de fe tromper fur fes devoirs. Perfonne ne peut plus confondre le vice avec la vertu : & s'il eft encore des vicieux qui veuillent s'excufer, leurs efforts mêmes prouvent qu'ils fe fentent coupables.

Nous tenons davantage aux Erreurs de fpéculation, parce qu'il eft rare que l'expérience nous les faffe reconnoître. Leur force fe cache dans nos

premieres

premieres habitudes, & fouvent incapables d'y remonter, nous fommes comme dans un labyrinthe dont nous effayons toutes les routes : & fi nous découvrons quelquefois nos méprifes, nous ne pouvons prefque pas comprendre comment il nous feroit poffible de les éviter, Mais ces Erreurs font peu dangereuses, fi elles n'influent pas fur notre conduite : & fi elles y influent, l'expérience peut encore les corriger.

Il faut encore obferver que ces différentes qualifications de l'Erreur, peuvent concourir enfemble & fe trouver réunies dans le même cas. C'eft ainfi qu'une Erreur de fait peut être ou effentielle, ou accidentelle ; & l'une & l'autre peuvent encore être volontaires ou involontaires, vincibles ou invincibles.

Tome XVIII.

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L'ESC

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ESCLAVAGE, f. m.

'ESCLAVAGE eft l'établiffement d'un droit fondé fur la force, lequel droit rend un homme tellement propre à un autre homme, qu'il est le maître abfolu de fa vie, de fes biens & de fa liberté.

Cette définition convient prefque également à l'Esclavage civil & à l'Efclavage politique pour en crayonner l'origine, la nature & le fondement, j'emprunterai bien des chofes de l'auteur de l'Efprit des loix, fans m'arrêter à louer la folidité de fes principes, parce que je ne peux rien ajouter à fa gloire.

Tous les hommes naiffent libres; dans le commencement ils n'avoient qu'un nom, qu'une condition; du temps de Saturne & de Rhée, il n'y avoit ni maîtres ni efclaves, dit Plutarque la nature les avoit fait tous égaux; mais on ne conferva pas long-temps cette égalité naturelle, on s'en écarta peu à peu, la fervitude s'introduifit par degrés, & vraisemblablement elle a d'abord été fondée fur des conventions libres, quoique la néceffité en ait été la fource & l'origine.

Lorfque par une fuite néceffaire de la multiplication du genre humain on eut commencé par fe laffer de la fimplicité des premiers fiecles, on chercha de nouveaux moyens d'augmenter les aifances de la vie, & d'acquérir des biens fuperflus; il y a beaucoup d'apparence que les gens riches engagerent les pauvres à travailler pour eux, moyennant un certain falaire. Cette reffource ayant paru très-commode aux uns & aux autres, plufieurs fe réfolurent à affurer leur état, & à entrer pour toujours fur le même pied dans la famille de quelqu'un, à condition qu'il leur fourniroit de la nourriture & toutes les autres chofes néceffaires à la vie; ainfi la fervitude a d'abord été formée par un libre confentement, & par un contrat de faire afin que l'on nous donne : facio ut des. Cette fociété étoit conditionnelle, & feulement pour certaines chofes, felon les loix de chaque pays, & les conventions des intéreffés; en un mot, de tels efclaves n'étoient proprement que des ferviteurs ou des mercenaires, affez semblables à nos domestiques.

Mais on n'en demeura pas là; on trouva tant d'avantages à faire faire par autrui ce que l'on auroit été obligé de faire foi-même, qu'à mesure qu'on voulut s'agrandir les armes à la main, on établit la coutume d'accorder aux prifonniers de guerre, la vie & la liberté corporelle, à condition qu'ils ferviroient toujours en qualité d'efclaves ceux entre les mains defquels ils étoient tombés.

Comme on confervoit quelque refte de reffentiment d'ennemi contre les malheureux que l'on réduifoit en Esclavage par le droit des armes, on les traitoit ordinairement avec beaucoup de rigueur; la cruauté parut excufable envers des gens de la part de qui on avoit couru rifqué d'éprouver le même fort; de forte qu'on s'imagina pouvoir impunément tuer de tels efclaves, par un mouvement de colere, ou pour la moindre faute.

Cette licence ayant été une fois autorisée, on l'étendit fous un prétexte encore moins plaufible, à ceux qui étoient nés de tels efclaves, & même à ceux que l'on achetoit ou que l'on acquéroit de quelqu'autre maniere que ce fût. Ainfi la fervitude vint à fe naturalifer, pour ainfi dire, par le fort de la guerre ceux que la fortune favorifa, & qu'elle laiffa dans l'état où la nature les avoit créés, furent appellés libres; ceux au contraire que la foibleffe & l'infortune affujettirent aux vainqueurs, furent nommés efclaves; & les philofophes, juges du mérite des actions des hommes, regarderent eux-mêmes comme une charité, la conduite de ce vainqueur, qui de fon vaincu en faifoit fon efclave, au-lieu de lui arracher la vie.

La loi du plus fort, le droit de la guerre injurieux à la nature, l'ambition, la foif des conquêtes, l'amour de la domination & de la molleffe, introduifirent l'Esclavage, qui à la honte de l'humanité, a été reçu par prefque tous les peuples du monde. En effet, nous ne faurions jetter les yeux fur l'Hiftoire facrée, fans y découvrir les horreurs de la fervitude: 'Hiftoire profane, celle des Grecs, des Romains, & de tous les autres peuples qui paffent pour les mieux policés, font autant de monumens de cette ancienne injustice, exercée avec plus ou moins de violence fur toute la furface de la terre, fuivant les temps, les lieux, & les nations.

Il y a deux fortes d'Efclavage ou de fervitude, la réelle & la perfonnelle: la fervitude réelle eft celle qui attache l'efclave au fonds de la terre; la fervitude perfonnelle regarde le miniftere de la maison, & fe rapporte plus à la perfonne du maître. L'abus extrême de l'Efclavage eft lorsqu'il fe trouve en même temps perfonnel & réel. Telle étoit chez les Juifs la fervitude des étrangers; ils exerçoient à leur égard les traitemens les plus rudes: en vain Moïfe leur crioit,,, vous n'aurez point fur vos esclaves d'empire rigoureux; vous ne les opprimerez point " il ne put jamais venir à bout, par fes exhortations, d'adoucir la dureté de fa nation féroce: il tâcha donc par fes loix d'y porter quelque remede.

Il commença par fixer un terme à l'Efclavage, & par ordonner qu'il ne dureroit tout-au-plus que jufqu'à l'année du jubilé pour les étrangers, & par rapport aux Hébreux pendant l'efpace de fix ans. Lévit. ch. XXV. v. 39.

Une des principales raifons de fon inftitution du fabbat, fut de procurer du relâche aux ferviteurs & aux efclaves. Exode, ch. XX & XXIII. Deutéronome, ch. XVI.

Il établit encore que perfonne ne pourroit vendre fa liberté, à moins qu'il ne fût réduit à n'avoir plus absolument de quoi vivre. Il prefcrivit que

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