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POÉSIES

Par M. ALEXANDRE DE SAINT-JUAN.

ÉLÉGIE.

Invideo quia quiescant.

Ne pleurez pas sur ceux dont la tombe muette
Recouvre pour jamais la souffrance et les os;
Jeune fille ou vieillard, rossignol ou fauvette,
Étres prédestinés, car ils ont le repos.

Ne pleurez pas l'enfant, chose douce et légère,
Faite de lait, de miel et d'un baiser de mère,
Ignorant le malheur, ignorant le plaisir,
Qui passe en souriant sans que son front pâlisse
Dans les bras de la mort, des bras de sa nourrice;
Hélas! mourir pour lui, c'est encor s'endormir.

Ne pleurez pas non plus sur sa couche de pierre,
Ce vieillard, accablé par le deuil et les ans,
Qui végétait pareil au chêne centenaire,
Dont la foudre a brûlé les rameaux imposants.
Ombre des anciens jours que trop vite on oublie,
Etranger et sans nom il passait dans la vie;
La mort a terminé son exil aujourd'hui ;
Pélerin, il repose au but de son voyage,
Matelot si longtemps poursuivi par l'orage,
Il est enfin au port: ne pleurez pas sur lui.

Ne pleurez pas non plus, la jeune fiancée,
Nouvelle Ophélia, ravie en son printemps,
Avant que la douleur ait de sa main glacée,
Fané son frais bouquet sur ses cheveux flottants.
Sa bouche ne savait que des hymnes de joie,
Le dégoût et l'ennui de sa robe de soie
N'avaient pas altéré les changeantes couleurs;
L'époux était toujours l'amant rêvé par elle,
Et l'ange en emportant cette âme sur son aile,
Joyeux la salua comme une de ses sœurs.

Ne pleurez pas surtout sous sa croix funéraire
Ce jeune homme soustrait au baiser paternel;
Jeune aigle qui n'avait jamais quitté son aire,
Séraphin dont le cœur se souvenait du ciel;
L'apre réalité pour lui gardait ses voiles,
Son avenir pieux était riche d'étoiles,
La foi vers son chevet suspendait un flambeau,
Et l'amour au départ pour consoler cette âme
Lui faisait entrevoir une candide femme.
Son idéal rêvé pleurant sur son tombeau.

Pleurez, pleurez sur ceux qui, vivantes ruines,
Ont vu mourir l'espoir, l'ambition, l'amour,
Comme l'on voit mourir les fleurs des églantines
Sur le bord des chemins par la chaleur du jour.
Pleurez, pleurez sur ceux qui souffrent sans se plaindre,
Une fièvre de cœur que rien ne peut éteindre,
Et qui doivent sourire et vivre parmi nous :
Car le chêne languit un siècle avant qu'il tombe,
Le vaisseau démâté dérive sous la trombe,
Longtemps le prisonnier gémit sous les verroux.

Pleurez, pleurez sur ceux qu'un cruel doute assiége,
Misérables jouets des hommes et du sort,

Pareils à des sapins accablés par la neige

Dont le front est debout, mais dont le cœur est mort.

Oh! pleurez sur celui qui jeune et solitaire
Pour revoir ses amis regarde vers la terre,
Où plutôt vers le ciel où leurs âmes ont fui.
Que l'amour éclaira, mais pour une ironie
Sombre comme Byron sans avoir son génie,
Vous qu'il a tant aimée, hélas ! pleurez sur lui.

LE MÉTAYER SON FILS ET LES ÉPIS.

FABLE.

Un métayer et son jeune garçon

S'en allaient un matin visiter leur moisson;
Dans les blés mûrs chantaient la caille et l'alouette
Et la perdrix.

Voycz, disait l'enfant, comme certains épis
Avec fierté portent la tête,

Ce sont les bons, n'est-ce pas votre avis,
Mais ceux là bas qui, jusqu'à terre,
Courbent le fruit honteusement, mon père,
Ils me semblent ne rien valoir.

Mon cher ami, tu vas le voir;
Regarde bien, examine et décide:

Le père alors prit deux épis,

Les fro!ta dans ses mains sous les yeux de son fils, Celui qui portait haut la tête l'avait vide.

Mais l'autre, dont le front s'inclinait humblement, Etait rempli de pur froment.

I

LE PRINTEMPS.

L'air est tiède, les prés sont enfin reverdis;
Un oiseau de son vol a rayé le ciel gris,
C'est elle, en blanc rabat, la gentille hirondelle.

Demain, chants, fleurs, amours et verdure des blés,
Les papillons pimpants déjà sont assemblés,
Partout renait la vie et tout se renouvelle.

Quels suaves parfums! Violette, églantier,
Aubépine et muguet parfüment le sentier,
La séve à flots pressés déborde et nous inonde.

L'invisible s'émeut dans l'âme et dans les sens;
Quel trouble inattendu tu jettes, & printemps,
Quand tu viens en avril voltiger sur le monde.

II

L'ÉTÉ.

Or flottant des moissons, bluets, coquelicots,
Chansonnettes du merle, égayant les échos,
Azur, jour de soleil, nuits pleines de rosée,

Moissonneurs réjouis en nombreux bataillons,
Abattant les blés mûrs au travers des sillons,
Où dormant à midi sur la terre embrasée;

Petits levrauts trottant dans les trèfles fleuris,
Perdreaux déjà maillés appelant les fusils
Des braconniers foulant l'orge malgré le garde;

Eclat, grâces, fraîcheurs, force, joie et beauté,
Ombrages épaissis, fleurs et fruits, c'est l'été.
Qui veut croire, espérer, aimer, qu'il le regarde.

III

L'AUTOMNE.

Le chaume, ce matin, a craqué sous mes pieds;
Le vent souffle du nord, les oiseaux effrayés,
Vers des climats moins froids s'échappent par volées.

Le ciel est nuageux et sur les monts voisins
Le cep vineux n'a plus ni feuilles ni raisins;

La nature frissonne aux premières gelées.

Mais que peut m'importer, temps couvert, terre en deuil?
Qu'on prépare ma lampe et mon large fauteuil,
C'est le temps du repos et de la causerie.

Et ma main dans ta main, pour moi quel doux plaisir De parler du passé, de parler d'avenir

Même de nos chagrins, Elisabeth chérie.

IV

L'HIVER.

La neige tombe, vite un fagot de genets
Dans le foyer brûlant; les pieds sur les chenets,
Narguons la froide bise et ses clameurs sauvages.

Approchez, mes enfants, ô mes riants amours,
Perchez-vous sur les bras du fauteuil en velours.

Ne craignez pas d'y faire accrocs, taches, dommages.

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