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Tel est le canevas sur lequel est tissue l'œuvre que l'Académie a jugée digne du prix.

L'auteur nous a révélé une âme de vrai poëte. Il peut justement s'appliquer ce vers caractéristique :

<< La sensibilité fait tout notre génie. »

C'est à cette qualité qu'il doit son triomphe. Mais nous avons mission de lui donner un avertissement. Des rectifications sont indispensables dans quelques passages de son poëme. Le talent dont il a fait preuve nous est assez garant du soin qu'il prendra de les reconnaître et de les effectuer.

Prouvons maintenant par quelques citations que le jugement de l'Académie sera confirmé sans peine.

FRAGMENTS DE LA DEUXIÈME PARTIE DU POÈME.

RAINAUD DANS SA PRISON.

<< Dans un cachot infect et sombre » Où la clarté du jour, brisée aux noirs barreaux, » Jette à peine à travers d'humides soupiraux >> Un reflet plus triste que l'ombre,

» Tandis que veille au seuil un farouche gardien, » Est couché, demi nud, un chevalier chrétien.

» C'est Rainaud! Il n'a plus cette armure brillante,
» Ce cimier où flottait l'aigrette étincelante,
>> Ce glaive, l'appui de ses droits,

>> De tout son héritage, appanage éphémère,
» Il n'a rien conservé qu'une petite croix

» Qu'en mourant lui donna sa mère.

>> Chaque jour, chaque soir à son sort préparé, >> Vers l'immortel séjour portant ses espérances, » Il baise avec respect cet emblême sacré

» De Jésus mort dans les souffrances. » La voix du Muezzin a proclamé minuit ; » Un lourd sommeil déjà pèse sur sa paupière; » Sa porte tout-à-coup s'est ouverte sans bruit, >> Et le cachot s'emplit d'un rayon de lumière >> Qui le réveille et l'éblouit.

Nous

passons au dialogue entre Rainaud et la jeune femme dont il reçoit la visite.

>> Preux chevalier dit-elle avec ce tendre émoi » D'un cœur touché qui tremble et craint lorsqu'il espère, >> Le bruit de ton courage est venu jusqu'à moi

>> Lorsque tu combattais mon père.

» Fille de cet Emir qui te tient enchaîné,
» Je t'ai vu dans les fers en esclave traîné,

» Plus grand que ton vainqueur lui-même !
» Je n'ai pu retenir mon cœur qui s'est donné;
>> Dût sur moi le Prophète étendre l'anathème,
» Je cède à ma fatalité;

» Ennemi des croyants, je t'admire, je t'aime » Et je t'offre la liberté !

» Accepte et je brise ta chaîne ! >> Tout m'obéit ici, tout tremble sous ma loi; » Un esclave m'attend sur la rive prochaine; » Je te sauve et pars avec toi!

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Lorsque tu rentreras dans ton pays de France, >> Celui que j'ai sauvé deviendra mon époux.

«

Moi! former ce lien que mon culte condamne!

>>

» Moi! du ciel braver le courroux !

» Epouser une musulmane!

Mais si je dois en croire à mes pressentiments, > Demain..... de Saladin tel est l'ordre sévère, » Si tu ne veux périr dans les tourments » Tu renieras Jésus, mort au calvaire.

>> Mes frères sont morts en héros :

> Leur exemple m'anime et leur vertu m'inspire; » Le chrétien né pour le martyre

» Va sans peur au supplice et brave ses bourreaux.

>> - S'il faut croire à ton Dieu pour que je t'appartienne,

» Parle !.. En secret déjà mon esprit éclairé

» A lu tous les feuillets de ton livre inspiré; » Commande: je l'adorerai !

>> Que faut-il pour être chrétienne ?

A genoux !

» Et Rainaud, au ciel levant les yeux, > Sur la tête charmante à ses pieds prosternée, » Avec l'onde encor pure à sa soif destinée, >> Verse les mots bénis qui lui rouvrent les cieux.

TROISIÈME PARTIE.

RETOUR DE RAINAUD DANS SA PATRIE.

» Vous qui d'un art choisi nous donnez les leçons,
» Accourez, troubadours au gai savoir célébres,
» Et faites succéder les rieuses chansons,

» Aux refrains de vos lais funèbres!

> Et toi dont la prière a connu les douleurs, » Toi qui, veuve sans hyménée,

» As versé trois ans tant de pleurs,
» Voici ta plus belle journée !

» Jette l'habit de deuil, couronne toi de fleurs ;
>> Car la voix de la renommée,

>> Messager de bonheur, volant de tour en tour, >> Comme une voix sortant de la tombe fermée, » A du comte Rainaud annoncé le retour!

>> 11 vient !.. Quelques instants encor

» Il sera là ! Soudain du haut de la tourelle >> Où le nain veille en sentinelle

» Descend, heureux signal, le son perçant du cor.
» Loïse a tressailli !.. Par delà la clairière

>> Pressé par ses vassaux qui pleurent attendris,
» Il s'avance au milieu des transports et des cris.
> Dans un nuage de poussière.

>> Loïse, sans le voir, l'a reconnu du cœur :

» C'est lui!.. c'est cette grâce à la fois douce et fière >> Qui charme dans l'amant et plaît dans le vainqueur. >> A travers sa bruyante escorte

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Il guide un riche palefroi,

>> Orgueilleux du fardeau qu'il porte;

» Il n'est que comte et prince, on dirait plus qu'un roi. » Mais quel est près de lui, compagnon de sa route, » Ce jeune cavalier au regard triomphant ?

» Il parle à Rainaud qui l'écoute;

» Ce n'est pas un varlet sans doute ;

» Ce n'est pas un guerrier; c'est à peine un enfant !
» Le pont a fait grincer ses chaînes féodales,
» La porte s'est ouverte, et d'un pas solennel
> Foulant le vieux pavé des dalles,

» Le comte rentre en maître au manoir paternel.
>> Tandis qu'autour de lui l'ivresse se déploie,
» Quel nuage sinistre est tombé sur sa joie?

» Présage de malheur des créneaux descendu,

> Est-ce l'oiseau des nuits qu'il vient soudain d'entendre? » Pourtant Loïse est là qui jura de l'attendre

» Et Loise avait attendu !

>> Mais le jeune étranger, sur son col qu'elle inonde
>> Laissant flotter soudain sa chevelure blonde,

» Le sourire à la lèvre et le front radieux :
» Peuple, amis, serviteurs de ce noble domaine,
>> Dit-il, si triomphant d'une guerre inhumaine
» Ici vous revoyez ce martyr glorieux,

>> C'est mon amour qui le ramène

» Dans le palais de ses aïeux !

» Il foule le sol de la France;

» Que l'autel s'allume pour nous !

» Prêtre de Jésus-Christ, bénissez mon époux : » C'est le prix de sa délivrance!

» Un cri de désespoir comme en fait retentir » Le naufragé, pauvre victime,

» Qui du mât qu'il embrasse emporté dans l'abîme » Au fond des mers va s'engloutir,

>> Accent terrible et lamentable,

>> Dans tous les cœurs porta l'efiroi,

» Et le comte à genoux, frappé comme un coupable » Y répondit: Seigneur, Seigneur, pardonnez moi !

QUATRIÈME PARTIE.

LOISE ET SA RIVALE.

>> Il retentit encore aux échos du Castel,
» Ce cri profond de l'âme ardente humiliée,
» Cri d'épouse répudiée

» Près de voir marcher vers l'autel

L'ingrat qui l'avait oubliée ;

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