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<< D'un cygne il ne peut jamais

» Tomber que des plumes blanches. >>

Mais hâtons-nous de dire que vous avez distingué ce petit poëme et que vous l'avez jugé digne d'une mention honorable.

De nobles pensées, des vers heureux, de la grâce font le charme de cette composition. Elle n'a guère d'autres défauts que ce manque d'unité dont nous venons de parler et peut-être celui d'un peu de mollesse et de vague dans quelques passages.

Pour justifier cette appréciation devant notre auditoire, il faudrait une lecture entière; mais le temps. nous presse, et c'est à regret que nous serons forcé même de restreindre nos citations.

La pensée dominante du concurrent a été de mettre en parallèle la valeur guerrière et les exploits des preux avec les douces vertus et la bienfaisance des chatelaines. C'est tout naturellement vers celle-ci qu'il incline. Il est peu de poètes qui ne manifestent la même préférence.

<< Non, je ne chante point la guerre,
» D'Arlay, de Vaudrey, de Dampierre,
» La gloire ou les nobles couleurs.
» Qu'un autre penché sur leur tombe,
» Redise l'effroi de Malcombe
» Où le Pas de la Dame en pleurs.

» J'eus des larmes pour Gabrielle ;
» Mais j'admire dans sa tourelle
>> La mère du dernier Châlon.
>> De Saint-Amour belle héroïne
>> Français, devant toi je m'incline,
>> Comtois, je suis fier de ton nom.

» Mais à côté de la vaillance
» Le charme de la bienfaisance
>> Règne sous le sceptre des rois.
» O femme, voilà ton partage ;
>> Et c'est le plus noble héritage

>> Des Châtelaines d'autrefois.

> Oh! n'interrogez pas la légende et l'histoire : » C'est à peine le trône ou l'écueil de la gloire, » Les noms peuvent mourir; mais autour des bienfaits > Le cœur est un flambeau qui ne s'éteint jamais.

Un peu plus loin l'auteur décrit les misères des campagnes durant les croisades, et les consolations que recevaient des chatelaines les habitants des chaumières.

» Oui, Dieu qui place un ange au bord de chaque tombe » Dans le nid des vautours a mis une colombe; » Du faible et du puissant emblême respecté » La croix inspire tout: vaillance et charité.

>> Tandis que sous la croix, aux champs de Palestine
>> Tous les guerriers sont fiers de la même origine,
» Au foyer du Seigneur les manants vont s'asseoir.
>> La Dame au milieu d'eux travaille jusqu'au soir,
» Leur parle avec bonté, console leur misère,
» Puis apprend aux enfants à faire une prière

>> Que leur bouche innocente offre au Dieu des chrétiens, » Et chacun à genoux tombe, en songeant aux siens.

La seconde partie de la pièce se termine par un court épisode la mort soudaine de la dame d'un château, au moment où un écuyer lui rapporte de son époux,

« L'écu voilé d'un crêpe et la lance brisée. »>

Dans une troisième partie le concurrent parle des malheureux menacés du fléau d'Asie qu'il a vus, regardant du milieu des ruines le vieux donjon de Faucogney, pour invoquer Isabelle de France qui, selon la croyance du peuple, aurait vaincu jadis la peste noire.

Puis il ajoute :

« J'ai vu dans ces jours d'agonie » Plus d'une blanche main étreinte, puis bénie » Par la main toute humide et froide des mourants. » Anges consolateurs, auprès de la souffrance, » Châtelaines aussi par droit de bienfaisance,

» Tous vos noms modestes sont grands.

» De ces reines des preux vous êtes bien les filles;
» Car la grandeur s'attache à toutes les familles
» Qui marchent noblement dans les mêmes sentiers.
>> Contre l'orgueil de l'or vous ouvrez la croisade
>> En prodiguant vos soins à l'indigent malade,
>> Et vous armez vos chevaliers. »

Reste à vous entretenir, Messieurs, d'un poëme qui, malgré ses imperfections, a réuni tous vos suffrages, tant les négligences dont il est parsemé sont victorieusement rachetées par des beautés incontestables.

:

Il a pour titre La Légende du comte Rainaud, avec cette épigraphe :

<< Quid fœmina possit. »

Cette composition en cinq tableaux sagement proportionnés unit au charme de la poésie tout l'intérêt d'un petit roman des mieux conduits.

Pour préparer à l'intelligence des extraits que nous

allons en donner, il est nécessaire d'en faire une analyse rapide, mais complète.

Le poëme commence par une brillante description du départ des croisés franc-comtois, jaloux de concourir à la glorieuse délivrance du saint sépulcre. Au nombre de ces guerriers enthousiastes d'une si belle cause est le jeune et charmant Rainaud, qui malgré son ardeur et son courage ne s'éloigne pas du Comté de Bourgogne sans une douloureuse émotion. C'est qu'il va quitter Loïse, sa belle fiancée, trop jeune encore pour l'hymen et qu'il ne doit conduire à l'autel qu'au bout d'un an. Mais il emporte d'elle le serment de ne vivre que pour lui seul, d'attendre son retour et de mourir fidèle, s'il vient à perdre la vie. N'omettons pas de dire que cette promesse ne pouvait être faite qu'en échange d'une autre non moins solennelle.

Au lieu de mourir en Palestine, Rainaud est fait prisonnier. Dans le fond du cachot où il gémit de sa captivité, vers l'heure de minuit une ravissante apparition vient l'éblouir. Ce n'est ni une fée, ni une sainte, ni un ange, ni la mère du Christ; ce n'est pas Loïse : c'est une autre jeune femme d'une éclatante beauté, la fille de l'émir dont Rainaud subit les chaines, séduisante enchanteresse, qui vient faire au captif une déclaration d'amour et lui offrir la liberté à condition qu'il l'emmènera en France et deviendra son époux. Rainaud doit s'indigner et s'indigne de cette proposition. Mais dans son âme exaltée par le zèle de sa foi, l'espoir et l'occasion de faire une chrétienne domine la situation. Il accepte pourvu que sa libératrice consente à recevoir

immédiatement le baptême. Elle y consent, il la baptise.

Devenu libre, le conte se met en route pour sa patrie, acccompagné de sa nouvelle conquête, qui va lui devenir fort embarrassante au moment de l'arrivée. Son retour est annoncé; Loïse l'attend, Loïse va le revoir; mais lorsqu'il reparaît, le jeune cavalier qui est à ses côtés, ne tarde pas, en déroulant sa belle chevelure de femme, à proclamer la délivrance de Rainaud et le prix qu'elle en doit recevoir. Le comte est accablé de confusion; Loïse s'évanouit. On pressent quelles doivent être pour elle les suites d'une scène si émouvante. Elle tombe dans un fièvreux délire. Mais qui devient jour et nuit la vigilante compagne de ses douleurs ? C'est Zaïde, sa rivale qui déjà semble avoir puisé dans le christianisme les vertus d'une sœur de charité.

Entre les deux amantes s'établissent de touchantes confidences qui les conduisent ensemble à une héroïque résolution. Au pied d'un autel de la Sainte-Vierge dont elles invoquent l'appui, elles font vou l'une et l'autre de n'appartenir ni à Rainaud ni à personne, et demandent à la reine des anges la grâce de quitter simultanément la vie.

De son côté, Rainaud se condamne aux austérités du clottre, sacrifice d'autant plus méritoire que les palpitations de son cœur emportent souvent sa pensée tantôt vers Loïse, tantôt vers Zaïde, également dignes de son

amour.

On devine ce qui doit arriver de ces trois âmes en proie à la plus tendre passion saintement maîtrisée. La mort les délivre et le ciel s'en empare.

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