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PREMIER CHAPITRE

D'UNE

ÉTUDE COMPLÈTE SUR ALAISE

Par M. le président CLERC.

MESSIEURS.

Je ne viens point mêler des paroles irritantes à un débat passionné. Mon dessein est d'exposer simplement ce que je sais, ce que j'ai vu. La cause de mon pays n'est point engagée dans la discussion d'Alesia, et je repousse en son nom l'esprit étroit et mesquin qui tendrait à transformer en une querelle de patriotisme local, ce qui n'est qu'une question de critique et d'histoire.

Franc-Comtois par l'origine comme par le cœur, mes sympathies naturelles sont pour le système franccomtois. J'ambitionnerais pour mon pays, le plus curieux peut-être de France par ses camps antiques, ses tombeaux, ses champs de bataille, l'honneur d'avoir été le théâtre de cette lutte suprême de la liberté gauloise contre le joug des Romains (1). Si nos pères ont été

(1) Circa Alesiam tantæ res gestæ sunt quantas audere vix hominis, perficere penè nullius, nisi Dei fuerit. (VELL. PATERCULUS, lib. 11, cap. 47)

vaincus, leur cause, après la défaite, est restée à mes yeux grande et juste; mais il est, en histoire, une cause plus grande encore, c'est celle de la vérité.

Ce sentiment nous oblige à reconnaître que M. Delacroix a obtenu un honneur rare en ce siècle. Sa brochure sur Alesia, écrite avec talent, avec modération, avec une rare indépendance, a été un événement. Véritable service rendu à la science comme à notre histoire nationale, ce livre a signalé au voisinage de Salins, plus qu'on ne l'avait fait encore, l'une des contrées les plus importantes de l'ancienne Gaule. Il a fait étudier plus profondément les temps antiques, César et la stratégie romaine.

M. Delacroix a rencontré, et il en était digne, d'honorables adversaires, d'honorables défenseurs. Si, dans les rangs opposés, l'auteur des Etudes sur une campagne de César a été couronné par l'Académie des inscriptions, des hommes haut placés pour le savoir, tels que MM. Quicherat et Desjardins, ont apporté à l'œuvre franc-comtoise l'appui de leur réputation et de leurs travaux (1). Près de cent Mémoires, publiés pour et contre dans la discussion, ont témoigné de l'intérêt général qu'elle inspire (2), et la question d'origine d'un simple village a

(1) Je dois signaler aussi d'une manière spéciale la dissertation de M. le professeur Toubin, récemment nommé membre de 1 Acsdémie de Besançon. C'est l'un des écrits les plus remarquables à l'appui du système franc-comtois.

(2, Dans le nombre des Mémoires contraires au nouveau système, je remarque les trois études de M. de Coynart sur Alesia, et surtout la Dissertation sur la septième campagne de César Revue des Deux-Mondes, 1er mai 1858).

ris dans la science les proportions d'un débat presque

uropéen.

Je n'éprouve aucun embarras à le reconnaître, les erniers événements ont semblé favorables à l'Alesia quanaise. A l'appui des textes de Plutarque et de ion Cassius, ses défenseurs invoquaient une circons nce qui est à leurs yeux décisive, les champs de bataille isins d'Alaise, où, disent-ils, sous 20,000 tombelles posent 100,000 combattants. Ce champ de carnage, in des plus vastes dont l'histoire fasse mention, est explicable à leurs yeux sans l'Alesia de César, d'autant as que les débris qu'on en a exhumés, romains et tiques à la fois, décéleraient une époque voisine de la nquête.

On leur a répondu qu'Alaise n'était pas Amancey. De quel droit, ont dit les Bourguignons blessés par ces prétentions nouvelles, de quel droit MM. Quicherat et Desjardins exigeraient-ils de nous des temples et des mapalia celtiques, eux qui n'ont pas même une fibule antique à l'appui de leur Alaise?... Ils vont chercher des ruines à plusieurs lieues de là... Les tombeaux et les médailles d'Amancey ne prouvent rien pour Alaise; ce sont même des documents contre elle. Car, si quelques pierres tumulaires et des monnaies, à Amancey, sont arrivées jusqu'à nous, les mêmes objets devraient se retrouver à Alaise (1).

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1) M. ROSSIGNOL, Etudes sur une campagne de César, courons par l'Académie des Inscriptions, p. 109, 114.

Ce défi plein de fierté était aussi plein de hasards; provoqués et mis en demeure, les Franc-Comtois ont conduit sur le massif, au voisinage de Sarraz, une colonie d'ouvriers, et dès les premiers jours ils ont recueilli, dans deux ou trois tombeaux qu'ils ont ouverts, de curieux débris complétement analogues à ceux d'Amancey, preuve incontestable du lien étroit qui rattache l'intérieur du plateau aux campagnes qui l'en

tourent.

Malgré les hésitations et les incertitudes de la science, si opposée parfois dans ses conclusions (1), je crois, après mûr examen et d'après les dernières fouilles, que parmi les tombeaux déjà ouverts, plusieurs appartiennent à l'époque celtique, et j'accepte la discussion dans cette hypothèse, soit parce qu'elle me semble la vérité, soit parce qu'elle est la plus favorable à la cause que je vais combattre.

Ajoutons enfin, pour être sincère, que sous certains rapports les défenscurs d'Alaise ont eu jusqu'à ce jour un avantage réel sur leurs adversaires. Ils ne se sont pas bornés à un examen rapide, à un coup d'œil jeté à la hâte sur ces campagnes curieuses et étranges; ils les ont parcourues, fouillées, interrogées; ils en citent les traditions sans que personne y contredise. Ils ont ainsi introduit dans ce débat une foule d'éléments nouveaux, interprétés à leur point de vue, sans que leurs adversaires, harcelés dans les détails, se soient décidés à une

(1) Contre l'opinion de M. Quicherat, voyez l'article de M. de Sauley, imprimé dans l'Opinion nationale du 30 octobre 1859.

élude sévère et complète, soit du massif, soit des champs de bataille qui en sont si rapprochés.

«

Et puis, la discussion a perdu le calme qui conduit à la vérité; on en est venu aux gros mots; sur un terrain si brûlant, il n'est plus possible de faire la part de la réalité et de l'erreur; les uns ont tout affirmé, les autres tout nié. Il n'y a pas de ruines dans le plateau » d'Alaise, s'écrie l'un des combattants (1). « Tout »est couvert de ruines, répond l'autre; ce sont partout des murs, des retraites, des logements militaires cel»tiques, des constructions de toute sorte couvrant plu»sieurs kilomètres de terrain (2). » Il en est ainsi de Hout le reste, non-seulement des points secondaires, mais les faits de premier ordre.

Forts de leurs découvertes nouvelles, les défenseurs J'Alaise ont repris l'offensive; provoqués, ils provoquent à leur tour leurs adversaires, les somment avec confiance de leur répondre, s'ils ne veulent pas être ccusés de mauvaise foi ou d'impuissance (5). Ce défi, -u méconnu, ou négligé, est demeuré sans réponse.

(1) Ils n'ont pas de ruines à Alaise-lez-Salins....., absence omplète de ruines. » (M. ROSSIGNOL, p. 114 et 120.) (2) M. DESJARDINS, Alesia, p. 8.

(3) César dit que les Gaulois avaient placé une partie de leurs troupes à l'est d'Alesia, et Chataillon est précisément au droit levant d'Alaise. Pas un texte, pas une tradition locale, n'autorise à penser que ces abris de bivouac aient été construits à une autre époque et pour une autre destination. Ce sont là des fails matériels, palpables. Dans l'impuissance de les nier, notre habile adversaire les a entièrement passé, sous silence; ce qui ne l'empêche pas, à la fin de son Mémoire, de se vanter d'avoir pulvérisé et mis à néant tous les arguments de M. Delacroix. Il discute, il est vrai, quelques points de la

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