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cruelles, des Laïs beaucoup trop provoquantes. Le sourire de ces femmes est plus irritant que tendre, et s'il peint Eve, c'est toujours avec le serpent et depuis son innocence. D'autre part, il touche, comme aussi y touchait Holbein, au temps du protestantisme. Il a peint, à Vittemberg, les sujets chéris de la réforme, la Cène, le Baptême, la Confession (quel pas la réforme a fait depuis!) et la Prédication. Les têtes des ecclésiastiques représentées sont celles des principaux réformateurs. Tout cela est triste; mais l'école franconienne finit comme elle devait finir, par le sensualisme, et ne laisse pas autant de regrets que l'école de la haute Allemagne, qui s'était si longtemps soutenue dans les plus pures régions.

Après, plus rien, plus de traditions, plus de peinture, plus de sculpture, plus d'architecture; les tableaux sont expulsés des temples, l'art en est chassé comme Dieu. Les temples eux-mêmes sont dénaturés, dépouillés de lout ce qui leur donnait vie, de l'autel où se fait le sacrifice, du bénitier où la pieuse femme lave ses fautes en sanctifiant par des gouttes sacrées le signe déjà sacré de la croix. Les saints s'en vont, les saints, ces encourageants intermédiaires, ces anneaux de la chaine qui noue la terre au ciel; la Vierge, cette muse féconde de l'art chrétien, voit sa touchante et poétique figure éloignée de Celui à la droite duquel elle est assise, comme le seigneur du psaume. Il n'y a plus que de froides pierres contre les murs, de froides pierres aux voûtes, de froides pierres aux nefs et au sanctuaire. Un monceau de glace tombe sur vos épaules quand vous entrez dans ces églises

d'où les habitants immortels sont exilés, quand vous approchez de ce tabernacle vide, aussi vide qu'il l'est parmi nous le saint Vendredi; plus d'émotion pour l'âme, par conséquent plus d'art. Au dehors, dans le royaume de la matière, on peint encore quelques Vénus et quelques portraits; mais ce chaos dure peu en Allemagne et se termine par le néant. Dans les pays catholiques seuls, à Munich, à Inspruck, les écoles de peinture se soutiennent un peu plus; mais que peuvent-elles cependant au milieu des guerres de religion qui les assiégent? Leurs ennemis, souvent vainqueurs, ne sont-ils pas iconoclastes? Et pourtant, sans la réforme, une brillante civilisation artistique était promise à l'Allemagne. Cette noble terre, la mère de toutes les inventions modernes, de celle des montres, de la poudre à canon, de l'imprimerie, de la gravure sur acier, pouvait aussi s'enorgueillir de l'invention de la peinture à l'huile. Les sculptures de ses cathédrales étaient admirables, et aucune école au monde ne primait celle de Nuremberg; quant aux cathédrales elles-mêmes, je ne pense pas qu'une nation qui a, sinon inventé (la Normandie le réclame), du moins illustré le gothique, le gothique de Strasbourg, de Cologne, de Nuremberg, de Vienne, d'Ulm, eût moins d'avenir qu'aucune autre relativement à l'architecture; mais encore une fois, car on ne saurait trop le redire, vint la réforme, et tout fut dit. Ce fut l'invasion des barbares, des nouveaux barbares, chez ces anciens barbares qui s'étaient laissés civiliser par le christianisme.

Voulez-vous compléter cette pensée? Voyez ce que sont devenus les arts dans les Pays Bas! Contemplez les

ouvrages des successeurs de Jordaens, de Van-Eyck et de Rubens! Plus rien de grand, plus rien de noble! Des scènes basses, des galanteries, des griseries, des ivrognes et des ivrognesses; des fumeurs et des pouilleuses, la matière dans ce qu'elle a de plus bas; une exécution patiente et adroite; mais la fleur est viciée dans sa graine, ou s'il y a encore quelque poésie, ce ne sera plus celle de l'homme, abaissé qu'il est par la perte de ses croyances; les âmes rêveuses se réfugient dans la poésie de la nature, de la mer sans bornes et des mélancoliques paysages. Les Pays-Bas auront encore des Wynants, des Backhuysen, des Ruysdael; des Van-Eyck et des Otto-Venius, non pas!

Et pourtant l'influence néederlandaise avait formé la bonne et pieuse école de peinture de l'ancienne Alle magne; les deux Van-Eyck en furent évidemment les glorieux patrons, quand ils eurent passé de la miniature à la vraie peinture. Ils avaient pénétré dans les mystères les plus sublimes de la symbolique chrétienne, comme dans les naïfs mystères de la vie humaine; leurs compositions religieuses et leurs tableaux d'intérieur sont animés d'un pur et tout semblable sentiment. D'eux sort tout-à-fait l'école allemande de Cologne, qui se rattache par sa position à la basse Allemagne, mais à la haute Allemagne par sa manière tendre, calme et gracieuse. Je n'en parlerai que pour mémoire, parce que la galerie de Vienne, à propos de laquelle je barbouille ces feuilles, est très pauvre en tableaux de cette école. Il faut l'étudier à Munich dans l'admirable collection que M. Boisseréc a vendue à la Pinacothèque, après

avoir recueilli à Cologne même tous les débris épars que le grand cataclysme de la révolution avait dispersés. Nous sommes, Messieurs, dans une époque plus heureuse que celle de M. Boisserée. Les tableaux n'ont plus besoin de bouleversements sociaux pour se réunir. La facilité des communications tend sans cesse et de plus en plus à faciliter les études en multipliant les groupes d'objets d'art. Partout des collections temporaires viennent se placer près des musées : les modernes s'assoient un moment aux pieds des anciens. Ils répondent avec empressement aux cités qui les convoquent, comme des invités qui s'honorent de cette hospitalité solennelle. C'est pour moi une bonne fortune et en même temps un à propos heureux, à la veille de l'exposition des artistes vivants, que de vous rappeler les vieux maltres. Leurs calmes et austères figures ne doivent-elles point patroner la fête artistique des générations nouvelles? Ainsi, dans le merveilleux hémicycle de M. Delaroche, à l'école des beaux-arts, Phidias, Apelles et Ictinus président la brillante réunion des grands artistes que les siècles suivants ont admirés.

PIÈCES DE VERS

Par M. ALEXANDRE DE SAINT-JUAN.

LE TONNELIER DE STRASBOURG.

LÉGENDE.

Qui donne au pauvre prête à Dieu.

V. HUGO.

Il était à Strasbourg, jadis, un tonnelier
Opulent comme un juif,, fier comme un templier.
Il se nommait Rudolph; mais, malgré sa richesse,
Parmi ses ouvriers on le voyait sans cesse,
En tablier de cuir jusques au cou montant,
La doloire à la main, stimuler l'indolent.
Cette ardeur au travail n'avait qu'un seul mobile:
L'âpre désir du gain. Des plus intelligents
Et des plus réputés parmi ceux de la ville,
Rudolph était avare et dur aux pauvres gens.
Un jour qu'en chantonnant, il achevait un foudre,
Devant son atelier, les pieds couverts de poudre,
Une femme passa, mais si pâle, qu'enfin
On eût dit à la voir le spectre de la faim!
Son visage indiquait une vie angoisseuse,
Et ses membres meurtris, la longueur du chemin.

Messire, secourez la pauvre voyageuse :
Un peu d'eau pour ma soif? L'ouvrier inhumain,

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