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Je kindin Gunther, héritier et chef de la race royale et divine, nous semble avoir été le centre principal de toute la nation, qu'il finit par rallier entière autour de lui, les Burgondes du quatrième et même du cinquième siècle ce sont vingt essaims divers, marchant et agissant dans vingt diverses directions.

La vieille Séquanie vit donc passer le long de ses vallées, mêlés aux légions romaines, ces jeunes guerriers blonds qui bientôt devaient y revenir planter leurs gards pour toujours. Vaincus avec Jovinus, le vainqueur les relint aux mêmes conditions et les maintint sur le sol promis dans le nord de la première Germanie entre la Sarre, la Moselle et le Rhin, dans les campagnes de Worms et de Mayence (1).

Quelle fut la position du peuple de Gunther admis sur les terres romaines? Ces terres leur avaient été

(1) Ici se sont grandement divisés les auteurs. Dunod, Bochat et d'autres après eux, placent en Séquanie ce premier abandon fait aux Burgondes des terres de l'Empire. Prosper d'Acquitaine dit dans sa chronique, que sous le cinquième consulat de Lucius, qui tombe l'année 413, les Burgondes obtinrent une partie des Gaules proche du Rhin (a). Peut-être est-il possible d'interprèter ce texte ainsi que le fait Dunod et de l'appliquer à la Séquauie; mais Cassiodore arrive avec une expression plus positive et qui n'admet pas d'autre sens que celui que nous adoptons d'après M. de Gingins. Les Burgoudes, dit le chroniqueur, sous le cinquième consulat de Lucius occupèrent une partie de la Gaule touchant le Rhin (b). Or, ceci ne saurait s'entendre que de la première Germanie, et quant à Worms, cette ville est clairement désignée dans la grande épopée Burgonde des Nibelungen qui va bientôt nous occuper et viendra jeter sa poésie sur ces origines que leur extrême obscurité décolore.

a Lucio coss. Burgundionibus partem Galliæ propinquo Bheno obtinuere. Prosper d Acquitaine.

(6) Lucio V cons, his consulibus, Burgundiones partem Galliæ Rheno tenuere conjunctam. Cassiodore.

données comme solde de leurs services, ils y vivaient en qualité de soldats romains, milites romani, c'est le nom que leur donnent les auteurs du temps (1) et ils étaient chargés de les défendre à la place des légions absentes ou anéanties.

Les villes cependant ne furent point d'abord occupées par la race nouvelle; en vrais Germains, ils préféraient les libres espaces des champs et fuyaient les murailles qu'ils laissaient aux quelques gallo-romains qui existaient encore. Worms avait même conservé alors dans ses ruines un Præses et quelques restes de cohortes. Ce ne fut que plus tard que Gunther s'y établit avec sa

cour.

Ainsi les Burgondes, bien qu'obéissant à un kindin puissant, n'étaient point les maîtres de ces contrées qu'ils ne couvraient qu'en partie et Gunther n'était encore prince du Rhin et de ses habitants que sous la suzeraineté ro maine. C'est de cette époque néanmoins que l'on a compté généralement jusqu'ici les années du royaume de Bourgogne. Il est plus exact et plus rationnel selon nous de différer la date de fondation de cet état jusqu'à la prise de possession des provinces qui le formèrent, celles qu'ils occupèrent près du Rhin n'en devant même pas faire partie.

Le kindin Gunther, chef suprême des Burgondes cisrhénans, ayant reçu les terres romaines et choisi les environs de Worms pour sa résidence ordinaire, parcou

(1) Jornandès de reb. get., c. 36. Paul Arose, 1. vir, c. 55. Ammien Marcellin, 1. xxviu, c. 6.

rut suivant l'usage antique les limites de son nouvel état et assigna à chacun de ses principaux compagnons, comites, ou chefs de divisions, un commandement déterminé, dont les bornes ou marches (marka) furent fixées au moyen de certaines entailles faites avec la hache aux arbres voisins (1). Ces chefs d'arrondissements (comitatus, gawi) répétèrent la même opération en divisant leurs arrondissements respectifs entre les capitaines d'un rang inférieur, placés sous leurs ordres. Ces capitaines ou chefs de cantons, appelés Fahts, hunda fahts (centenarii) opérèrent à leur tour dans leurs cantons respectifs (huntari, centena) la répartition finale des terres vacantes entre tous les chefs de famille libres (Wahremanni frhai liberi cives optimo jure) composant une bourgade (bourgia, communitas), dont ils étaient tout à la fois les chefs militaires et les juges inférieurs. Les terres vacantes les plus productives de chaque canton furent divisées en autant de portions ou lots (hlats, sortes) qu'il s'y trouva de chefs de famille et réparties entre eux par la voie du sort (sortis titulo). Ceux-ci n'en eurent que l'usage précaire et, comme autrefois en Germanie, faisaient annuellement entre eux l'échange mutuel de leurs champs. Les terres en friche toutefois restèrent en commun pour le parcours des troupeaux.

Cependant cet essaim cis-rhénan n'était pour ainsi dire que l'avant-garde de la nation; sur la rive germaine était encore la souche burgonde dans laquelle le

(1) Grimms' Reeths alterthum, p. 545.

peuple de Gunther se recrutait sans cesse. Sentant done leurs forces s'accroître, leur ambition s'accrut en même temps. Et puis, le joug romain, nous le savons, devenait insupportable; les restes gallo-romains, se levant en bagaudes, tendaient les mains aux armes libératrices des barbares. Au nord, les Francs de Chlodion avancent, les Ripuaires saccagent Trêves.

Encouragés, séduits par ces exemples, les Burgondes trop resserrés rompent les limites que leur traité avec Rome leur avait assignées, passent la Moselle, prennent Tulum (1) et poussent jusqu'à la Meuse. Le moment était propice; Ætius, l'épée de Rome pour les Gaules, était tombé en disgrâce. Mais il se relève, revient et force ces nouveaux soldats de l'Empire indociles ef encore un peu sauvages à rentrer dans leurs cantonnements. Nouvel éloignement d'Ætius, nouvelles tentatives des Burgondes; alors, pour châtier ces milices en révolte (2), le Patrice (3) eut recours à une race barbare entre les barbares dont il avait été l'hôte et l'ami, il appela les Huns. Aidé de ces auxiliaires terribles, il battit les Burgondes qui laissèrent sur le champ de bataille la plus grande partie des leurs.

Un nuage épais descend sur cette époque et la couvre à nos yeux. Si quelques clartés en jaillissent, elles sont sanglantes et sinistres, ce sont des batailles, des désastres, un peuple presque détruit; les chroniques disent

(1) Toul.

(2) Ils furent regardés comme rebelles, Burgundiones rebellaverunt, i dit Idace dans sa chronique.

(3) Ætius était patrice.

que les Huns d'Etius effacèrent Gundicaire et sa race (1); les Sagas, toujours d'accord avec l'histoire, racontent sa fin sanglante. Il paraît constant, en effet, que le kindin de Worms mourut vers cette époque, mais une date fixe est encore impossible à donner. Quelque vieille tombe, quelque marbre gravé sortiront-ils de terre, sur les rives du Rhin, du Necker ou du Danube pour nous révéler ces choses cachées : espérons-le (2). Une légende, mieux qu'une légende, un fait attesté par plusieurs historiens (3) perce pourtant cette obscurité comme un déchirement lumineux.

Harcelés et sans cesse décimés par les Huns, réduits à quelques bandes errantes, près de périr jusqu'au dernier homme, nos Burgondes touchent au désespoir. C'est à celle extrémité que le Dieu qui veille sur les nations comme sur chacun de nous et qui souvent amène à lui les peuples comme il y ramène l'homme, par la souffrance, c'est à cette extrémité qu'il les attendait.

Ceux d'entre eux qui étaient païens encore, frappés sans doute des nombreux prodiges que le Dieu des chrétiens répandait sur le monde, de la vertu de ses fidèles, de la grandeur de ses évêques, les véritables héros de ce siècle, tournèrent les yeux vers ce Dieu nouveau auquel le grand kindin de Rome, Constantin avait dû sa victoire.

(1) Huni cum populo suo ac stirpe deleverunt : Pros. d'Acquit. (2) C'est ainsi que le marbre d'Evian dont nous parlerons bientôt a fait connaitre un fait et précise une date du règne de Godemar, dernier roi de Bourgogne.

(5) Paul Orose, Socrate, Cassiodore, Nicéphore, Callixte.

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