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UN CHAPITRE

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NOTRE HISTOIRE BURGONDE

Par M. le vicomte CHIFLET.

En 456, la Séquanie finit, la Bourgogne commence. C'est de cet âge nouveau que notre nom moderne nous est venu. A tous ou presque tous, les Burgondes sont nos pères, nos vrais ancêtres ; c'est la race d'où nous sortons. Bien peu de sang gallo-séquane, bien peu de sève romaine se sont glissés parmi nous et les Séquanais sont nos prédécesseurs sans être nos aïeux.

Dans d'autres provinces des Gaules, l'on peut encore peut être se dire Gaulois, la race celtique s'y étant conservée en nombre égal sinon supérieur à la race franque; mais notre pauvre vallée, lit creusé à tous les torrents, dénudée par toutes les invasions, était si affreusement dépeuplée lors de l'avènement Burgonde, que cette race nouvelle fut immédiatement, pour ainsi dire, toute la population et que ce fut un renouvellement à peu près complet.

Mais avant de l'introduire sur notre terre, recherchons l'origine de ce peuple; c'est notre histoire que la sienne, c'est celle de notre sang, elle vaut la peine d'être recherchée. Nous ne savons si d'autres le sentiront comme

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nous, mais, nous l'avouerons sans peine, nous n'entrons dans ces recherches, nous ne nous engageons dans ces investigations lointaines qu'avec une réelle émotion. Cette sensation ne nous est point inconnue, nous en reconnaissons le parfum pour l'avoir respiré ailleurs. Il est dans la vie de l'homme certains jours qui seront toujours beaux parmi ses jours et dont le souvenir aura le don de l'émouvoir jusqu'à sa fin; ce sont ceux où il a découvert quelque vieux toit jadis habité par ses pères, franchi le seuil ignoré jusqu'alors que longtemps leurs pas avaient foulé, trouvé dans quelque archive poudreuse le nom d'un ancêtre inconnu, qu'il se prend subitement à aimer par cela seul qu'il fut l'un des siens. Eh bien. lorsqu'en nous enfonçant dans l'histoire, nous avons eu compris que la race Burgonde était bien celle qui nous avait légué son sang, dès ce moment, ce nom et celle race ont eu le don de remuer notre âme; c'étaient des ancêtres trouvés, c'étaient le vieux seuil et le vieux foyer découverts et nous aimons leurs forêts germaniques, leurs huttes sauvages comme le toit et l'enclos paternels.

Nous souhaitons comme un bien à tout Comtois qui lira ces pages de comprendre ce que nous cherchons ici à exprimer, d'aimer ce peuple, de se sentir Burgonde enfin; il étudiera dès lors ces récits avec jouissance au lieu de ressentir en les parcourant l'isolement amer de l'étranger.

Comme toutes les origines et assurément plus que beaucoup d'autres, celles-ci sont obscures. Comment ne le seraient-elles pas ? Les faits même des temps histo

riques de ce peuple, après sa sortie des sombres profondeurs du Nord et son établissement en Gaule, ces faits eux-mêmes sont vagues, difficiles à saisir, trés-diversement compris. Essayons cependant en cherchant dans cette nuit épaisse d'y rencontrer et d'en dégager la vérité (1).

Sorti de l'Orient comme toutes les races germaniques, le peuple Burgonde semble avoir appartenu à la grande race teutonne ou suévique qui d'abord occupa les contrées trans elbiennes, tandis que de l'Elbe au Rhin l'espace était rempli des races kemriques dont entre autres sortirent les Francs.

Celle race leutonne, l'une des dernières dans la marche des nations vers l'Occident, se divisait en plusieurs branches subdivisées elles-mêmes en de nombreux rameaux. La branche suévique proprement dite ayant pour rameaux les Hermondures, les Longobards, les Markomans, les Quades campait aux bords de l'Elbe; la branche des Bastarnes et des Peucins mélangées de Scythes de l'Euxin stationnait aux monts Carpates et aux bouches du Danube; la branche vandalique ou go

(1) Nous sommes, du reste, bien loin de nous plaindre des travaux auxquels cette étude nous a astreint. Nous leur devons la connaissance de l'un des hommes les plus aimables et les meilleurs qu'il soit possible de rencontrer, le baron de Gingins-Lasarraz. Comme aussi c'est à cet homme si riche en science historique et tout spécial pour les ages bourguignons, c'est à son inépuisable obligeance, à l'admirable lucidité de ses leçons que nous devons d'avoir pénétré autant, croyons-nous, qu'il est possible de le faire les secrets de ces annales des Burgondes, dont il sera un jour le savant historien.

thique couvrait l'Oder et la Vistule, c'étaient les Vandales, les Goths, les Hérules et Gépides, et enfin sur la Wartha, affluent de l'Oder, les Burgondes. C'est là le premier séjour où nous les surprenons.

Là, et longtemps encore après, voici leurs mœurs. Peuple pasteur et chasseur, ils changeaient de pâturages, poussant leurs troupeaux devant eux, abattant les bêtes des forêts et aussi portant vaillamment les armes contre quiconque se présentait pour barrer le passage. Chose étrange, ils ne tenaient point au sol et l'amour de l'héritage ne leur était point connu; mais, chaque année, afin de maintenir parmi eux une égalité sauvage, ils échangeaient leurs terres. On le comprendra aisément, avec cette possession si précaire point de demeures fixes et solides, mais de grandes cabanes isolées toutes invariablement entourées d'enclos nommés Gards (1).

(1) Sans villes et sans bourgs déjà ils se nommaient Burgondes, que devient donc alors l'interprétation la plus généralement adoptée de ce mot? L'on a dit, en effet, que Burgund venait de burg hundert (a), peuple aux cent bourgs, les centum prgi de Tacite. Non ce peuple n'avait ni cent bourgs ni un seul bourg, ni en Germanie ni mėme longtemps encore en Gaule (b). Le savant baron de Gingios, si profondément versé dans les divers dialectes germaniques, pense, et nous nous rangeons à son opinion, que le nom de Burgonde doit venir de Bure ou Bur indigène compatriote, et de Kunth ou Gund puissant. En dialecte gothique, Burja-Kunths (Kunth, participe de Kunnan, pouvoir, valoir). En allemand moderne, Bauer-Chund. En burgonde, Bur-Gund. Indigène-puissant.

(a) Guerin du Rocher, dans son Histoire véritable des temps fabuleux, observations pré liminires, et après lui M. Béchet, dans sa Notice sur l'origine des Bourguignons, en tête de ses Recherches sur Salins, ont accrédité cette opinio adoptée entre autres par M, Ed. Clerc, M. Augustin Thierry a dit Burh Gunds, guerriers confédérés, se cautiounant ; mais, fait observer M. le baron de Gingins, Gund ne signifie guerrier que dans l'idiome germanique franck et non daus le pernianique næso gothique que parlaient les Burgondes qui, pour guerriers auraient dit : Wigant et non Gund.

(b) D'ailleurs pagus en langue germanique ne se rendrait pas par Burg mais par Gaw

Le Burgunde de la Wartha vivait libre et fier; d'esclaves, il n'en était point dans sa race sinon ceux qui volontairement s'étaient donnés par indigence ou par le sort du jeu. L'esclave du Burgonde c'était l'étranger prisonnier de guerre.

Tacite attribue aux peuples Germains le culte de Mercure, de Mars et d'Hercule; c'était une manie romaine, on le sait, de vouloir reconnaître ses dieux sur tous les autels étrangers. Nous croyons bien plutôt que nos pères les Burgondes, comme tous les peuples du Nord, eurent la foi scandinave, le grand dieu Odin et ses divinités secondaires Thor, Herta, les Génies, les Walkiries, les Sylphes, les Gnomes, les Nains et tout le cortège de l'Edda. Ils consultaient les augures, le cri des oiseaux, le galop de certains coursiers blancs nourris dans les bois, les baguettes magiques; ils croyaient aux talismans el á la science des runes.

Mais au sein de toutes ces superstitions, restes dégénérés d'un culte primitivement pur, et malgré leurs mœurs sauvages, nos pères avaient ce qui est le germe et la base de toute vraie civilisation le respect de l'autorité et la ferme croyance qu'elle descend de Dieu. Un homme était parmi eux revêtu d'une puissance absolue et irrévocable, c'était le grand pontife le Sinist, ou premier des anciens; lui seul pouvait frapper, car le fier Burgonde n'eut toléré le châtiment sur son corps noble el libre de nulle autre main que de la main de Dieu. Leurs Kindins (1), chefs héréditaires, juges en paix,

(1) Præses, commandant.

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