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Derrière eux, à cheval, est un autre chasseur
En pourpoint de drap rouge, à la toque bizarre,
Sonnant à pleins poumons une telle fanfare,
Qu'assourdi le baron douta si ce veneur

N'avait pas le tonnerre au fond de la poitrine.

Rien n'arrête homme et chiens, ni coteaux, ni ravine;
Ils filent comme l'air; les rocs épouvantés

S'illuminent partout de subites clartés;
Plongeant sur le vallon que traverse la chasse,
Le châtelain tremblant, la suit d'un œil hagard.
Horrible vision qui tour à tour s'efface,
Tour à tour reparaît. Tout à coup le fuyard
Par un brusque circuit rabattit sur lui-même,
Les pieds rouges de sang et d'effroi le front blème ;
Il gagnait le coteau quand devant lui soudain
Des squelettes hideux ont barré le chemin.
Il en paraît à gauche, il en paraît à droite;
Nul moyen d'échapper. L'inconnu haletant
Sent des chiens affamés, l'haleine ardente et moîte,
Il tombe... Un hallali retentit et Satan

Saute à bas de cheval pour faire la curée.
Le baron dont le front se mouillait de sueur,
Qui jusqu'à cette nuit n'avait jamais eu peur,
S'écria Jésus Dieu! d'une voie atterrée.
A peine il avait dit qu'aussitôt chiens, cheval,
Fantômes, cavaliers dans les ombres du val
Disparurent sans bruit, et soudain face à face,
Seul il se trouve avec la victime; autour d'eux
On n'entend que le flot murmurant de l'Audeux,
Et la plainte des bois où le vent glacé passe.
L'inconnu s'approcha du seigneur interdit,
Et d'une sourde voix en sanglottant lui dit :

Tu vois devant tes yeux, jeune homme, ton grand père, Un chasseur comme toi, qui jadis sur la terre,

Hélas! persécuta les bêtes et les gens.

Où passaient mes piqueurs se desséchaient les champs;
Malheur au villageois surpris en braconnage !
Eut-il un père infirme ou des fils en baɛ-âge,
Il était attaché sur un cerf; mes limiers
Lançaient la double proie à travers les halliers
Sans trève ni merci. Le cerf à la vesprée
Enfin tombait; alors je sonnais la curée,
Et, spectacle inouï, tu vas pâlir d'effroi,
Levriers et mâtins aussi cruels que moi,
Sous mes yeux dévoraient le vassal et la bête.
Cent de mes villageois subirent cette mort.

Mais d'un Dieu méconnu la vengeance était prête;

Je mourus et depuis, ô justice du sort!

De mes vasseaux tués la troupe meurtrière,

Me chasse avec ma meute, hélas! la nuit entière;
J'ai beau fuir, ou pleurer, mes chiens et mes vasseaux
Me relancent par monts, me relancent par vaux.
Quand je tombe, Satan à la meute altérée
Jette en sonnant du cor mon cadavre en curée.
Que mon exemple, enfant, te serve de leçon ;
Pardonne au braconnier, épargne la moisson;
Souviens-toi, devant Dieu, qu'un chrétien est ton frère.

Soudain le vieux seigneur disparut, et de terre
Jaillit en pétillant un tourbillon de feu.

Quand l'aube en souriant, parut dans le ciel bleu,
Les piqueurs effrayés retrouvèrent leur maître

Mais leurs yeux ne pouvaient vraiment le reconnaitre ;

Sa barbe et ses cheveux étaient devenus blancs; Dans la nuit il avait vieilli de cinquante ans.

Il ne rentra jamais au château de ses pères;
Il fit murer la porte et combler le fossé,
Mutiler son blason sur les murs séculaires
Pour que son propre nom à jamais effacé,
Ne laissât point de trace au souvenir de l'homme;
Il partit pieds déchaux, en mendiant pour Rome;
Revint absous, vendit son donjon et ses biens.
Avec l'argent paya la rançon des chrétiens,
Et là, dans le vallon, inculte et solitaire,
Où la chasse infernale avait jadis eût lieu,
Il fit édifier un vaste monastère;

Le pape lui donna ce nom : La Grâce-Dieu.

ÉPIGRAMMES

Par le baron CHARLES de SAINT- JUAN.

J'ai lu le magnifique éloge
D'où naquit ta célébrité,

Mais, permets que je t'interroge,

Dis-moi, combien t'a-t-il coûté?

Vous m'avez connu jeune et souvent corrigé,
J'étais bien sot alors. Vous n'avez point changé.

Au Pinde, Lysidas a des talents divers :

Il fait des vers en prose et de la prose en vers.

Avec emphase, dans la ville,

Balourd dit qu'il descend des Francs;
Mais, si nous en croyons les gens,
Balourd est un franc imbécille.

Contre moi, Chicaneau vient de plaider une heure, Je l'en remercîrai, ma cause en est meilleure!

Vous dites que Jocko, si plein de vanité!
Devient impertinent, il l'a toujours été..

De Fierval la sincérité

Est réellement peu commune;
Son cœur rempli de vérité,
Jamais n'en laisse échapper une.

Ce nouvel Harpagon ne prête ni ne donne,
Il reçoit de chacun et ne rend à personne.

Narcisse, à dix-huit ans, comme un sot débutait,
A trente il a tenu tout ce qu'il promettait.

Ce n'est qu'aux grands talents que s'attache l'envie,
Les tiens n'ont jamais pu réveiller ses serpents;
Dans la foule ignoré, rien n'eut troublé ta vie
Si toi même n'avais fait rire à tes dépens.

A l'école vieilli, le pédant Trissotin,

Ne sait pas le français, mais il sait le latin!

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