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faisant le dénombrement des pauvres. Les procès-verbaux des séances depuis 1807 à 1817 sont remplis de plaintes au sujet de l'accroissement du nombre des pauvres « Chaque jour, disent les administrateurs, beaucoup d'indigents se pressent au bureau pour réclamer des secours et nos cœurs sont vivement affligés de ne pouvoir leur en procurer. » Ici c'étaient de pauvres honteux, d'humbles citoyens que la révolution avait privés de leur fortune, là c'étaient des familles dont les soutiens naturels avaient été incorporés à l'armée par la conscription ou par les rêquisitions impériales. En ce temps là le bureau de bienfaisance était seul pour secourir 'tant d'infortunés et les institutions de charité qui sont devenues, depuis, ses puissants auxiliaires, n'é taient pas encore créées.

Différentes mesures furent le résultat de cette situation difficile. Ainsi, en 1808, le bureau, pénétré de la' triste nécessité où il se trouve de choisir parmi les pauvres, faute de moyens suffisants, pour les secourir lous, arrête que les mendiants' ne recevront plus de secours; en 1812, il remplace les distributions de pain par des soupes économiques et enfin il décide que dorénavant du 1er mai au 1er novembre de chaque année, il n'accordera de secours quelconque qu'aux septuagénaires et aux apprentis.

Ces situations, quelque graves qu'elles aient paru, ont eu souvent leurs analogues dans les commencements de ce siècle; mais il n'en est pas de même de deux événements dont le pays garde encore le souvenir, et qui” ont mis la charité et les efforts du bureau à la plus'

cruelle épreuve je veux parler du blocus de 1814 et de la disette de 1817.

L'année 1813 finissait dans les conditions les plus fâcheuses pour la ville de Besançon. Dès le mois d'octobre elle avait commencé à recevoir des malades que lui envoyaient les armées du Rhin et dans les seuls mois de novembre et de décembre qui suivirent, nos hôpitaux dûrent ouvrir leurs portes à 3,181 hommes exténués de privations, tombant de fatigues, rongés de chagrin, irrités de l'abus qu'on avait fait de leur courage autant qu'effrayés de leurs efforts et qu'une maladie pernicieuse, le typhus décimait d'une manière effrayante. De son côté, la garnison alors composée de recrues qui n'étaient point encore accoutumées aux fatigues et à la vie militaire avail fourni aux hôpitaux un large contingent, el 1969 malades, sortis de nos casernes dans les mêmes mois de novembre et de décembre, ajoutés à ceux que l'armée du Rhin avait envoyés, avait produit le chiffre énorme de 5,150 malades que nos hôpitaux de Saint-Jacques, de Bellevaux et de la Visitation (Saint-Louis) s'étaient partagés.

Voici du reste comment s'exprime à ce sujet un témoin oculaire :

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Depuis environ un mois, il arrive tous les soirs vers quatre heures une dizaine de voitures de malades et de blessés venant de Mayence, c'est-à-dire environ soixante à quatre-vingts chaque jour. Toutes les salles ont été bientôt encombrées; comme il n'y a point de place pour loger ces malades et point de fournitures pour établir d'autres salles, on a rempli

de paille la chambre de récréation et l'ancien réfectoire des petits garçons de la charité, et là on dépose ces malheureux arrivants, deux ou trois heures après qu'ils sont descendus de leur charriot, car il faut bien tout ce temps pour que les commissaires des guerres et aux entrées aient revêtu leurs registres, et que les médecins aient fait leur visite. C'est dans la salle des professeurs que cela se passe, et c'est un des lieux, avec les salles de paille, les plus infectés de la maison. La visite faite, les plus malades sont conduits dans les anciennes salles de la maison, et dans celles qu'on a établies au Refuge, tant qu'il y a de la place. Il y a bien des lits triplés; ceux qu'on ne peut pas loger sont envoyés à la Visitation ou à Bellevaux. On a fait sortir les mendiants de cette dernière maison pour y placer deux cent trente malades. Enfin, ceux qui peuvent avoir encore quelques jours à vivre sont mis dans les salles de paille, où ils passent la nuit, et le lendemain, de nouveaux charriots viennent les prendre pour les conduire plus loin. Quelquefois on retire des morts de l'intérieur des voitures, et souvent aussi on décharge des cadavres, dans les villages où l'on passe. A cet égard, l'imagination ne peut pas charger ce tableau de malheur et de misère. Jusqu'à quand durera cette évacuation? Nous l'ignorons. L'armée se fond, et l'on peut dire qu'elle tombe en maladie (1).

Encombrés à ce point, nos hôpitaux n'avaient pu recevoir qu'un fort petit nombre de malades civils, et la

(1) Lettres spirituelles de Mgr de Chaffoy, publiées par M. l'abbé Bergier, missionnaire de Beaupré, page 342.

charité s'était vue dans la nécessité de multiplier ses secours à ceux qui n'avaient pu y trouver asile. D'un autre côté, des événements graves se préparaient, l'horizon politique s'assombrissait et tout semblait conspirer pour frapper d'un fâcheux contre-coup les affaires antérieures du bureau de bienfaisance et présenter à ses opérations une perspective alarmante.

Au dire des hommes initiés au mouvement des affaires, la fortune de l'Empereur semblait pâlir, et dès le mois de novembre, une invasion devenait imminente. Les doutes, s'il en restait à quelqu'un, allaient bientôt se dissiper, et le passage du Rhin, exécuté le 21 décembre par l'armée des alliés, sa présence aux environs de Pontarlier, constatée quelques jours après, étaient plus que suffisants pour faire pressentir aux Bisontins le blocus prochain de leur ville.

Dans la perspective du siége, et conformément à l'ordre que le maire avait reçu du préfet Jean Debry, ȧ la date du 25 décembre, on avertit les habitants et les boulangers d'avoir à s'approvisionner pour trois mois; quelques jours après, le 4 janvier (1814), la ville est mise en état de siége, et le 10, l'investissement par l'armée ennemie étant devenu complet, la place se trouve réduite à ses propres ressources.

« Dans la matinée, la population vit, pour la première fois, la ville prendre l'aspect sévère d'une place assiégée. Au retentissement saisissant de la générale, la gendarmerie fit fermer les boutiques et interdit la circulation aux enfants et à quiconque re portait pas les armes; chaque homme armé se rendit à son poste de

combat. A onze heures du soir, une autre fausse alerte, battue à dessein par un temps détestable de verglas, prouva au gouverneur que soldafs et citoyens étaient prêts à lout événement. Les fenêtres furent illuminées; la gendarmerie, les pompiers, la municipalité, la police, la garde nationale et les troupes, tous furent en un instant présents à leurs postes (1). »

Aux tristes préoccupations, si bien justifiées par l'événement, venaient se joindre des souffrances d'un autre ordre. L'hiver sévissait dans toute sa rigueur; les soldats étaient mal vêtus, leurs officiers mal payés, les approvisionnements fort insuffisants et les caisses de l'Etat présque vides. L'administration supérieure était aux abois, et des requisitions de vivres et d'argent ou des emprunts forcés restaient au gouverneur comme dernière ressource à opposer à une situation dangereuse à laquelle rien n'avait préparé la ville.

Alors, tout prend un aspect sinistre, les rues deviennent désertes, les industries s'inquiètent, le travail, après s'être ralenti partout, cesse bientôt tout à fait. Les modestes provisions, les modiques épargnes, les petites économies s'épuisent; les ouvriers se plaignent et la misère se multiplie. Le recensement fait par le bureau de bienfaisance au commencement de l'hiver (19 novembre 1815) avait fixé à 800 le nombre des familles à secourir; mais ce chiffre est bientôt au-dessous de la vérité. Un second recensement entrepris dès les premiers

Deax époques militaires à Besançon et en Franche-Comté par Leon Ordinaire, capitaine d'artillerie, ť. II, p. 117.

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