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elle a ouvert des hospices et des hôpitaux, et à toutes les autres spécialités d'infortune, elle a ménagé des ressources infinies.

La mendicité n'a pas toujours rencontré des secours aussi bien déterminés, parce que, loin d'être l'expres sion d'une misère réelle, d'un besoin rigoureux, elle n'est souvent qu'un symptôme d'un mal étranger à l'indigence, une spéculation honteuse, un délit enfin dont le vice a su faire une véritable profession.

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Alphonse Karr a écrit, avec plus d'esprit que de raison, cette petite épigramme à propos de la mendicité : « Quand on voyage en France, on voit à chaque instant des poteaux sur lesquels on a écrit: la mendicité est défendue. C'est comme quand on a fermé les maisons de jeu on a bouché les égoûts, sans songer qu'il faudrait d'abord dessécher les ruisseaux. On défend de mendier il faut alors et d'abord défendre d'être pauvre (1). » Le spirituel écrivain a parlé de la mendicité en littérateur; l'économiste en parle autrement. Il sait que si elle est quelquefois le signe de l'indigence, elle est souvent aussi le masque dont se couvrent le vagabondage et l'oisiveté, et s'il en fallait une nouvelle preuve, nous la trouverions dans l'histoire de la maison de Bellevaux, que nous allons considérer dans trois époques distinctes.

I. En 1724, le roi Louis XV conçut l'idée de combattre la mendicité, cette plaie des sociétés civilisées qui a déjà inspiré tant de systèmes incomplets, tant de pro

(1) Les guêpes illustrées, janvier 1847.

jets avortés, et, dans ce but, il publia, à la date du 27 juin de cette même année, un édit qui ordonnait l'établissement dans chaque province d'un hôpital général destiné à loger et à nourrir les mendiants.

Conformément à cet édit, les bâtiments que les Bernardins de l'abbaye de Bellevaux possédaient rue du Petit-Battant (1) furent amodiés pour recevoir les mendiants de la Franche-Comté, et l'administration de l'établissement fut confiée aux directeurs de l'aumône générale qui la conservèrent jusqu'en 1769.

Le démembrement des provinces, opéré en 1790, n'apporta aucun changement dans la destination primitive de la maison de Bellevaux, car les trois départements du Doubs, du Jura et de la Haute-Saône, qui formaient la Franche-Comté, s'entendirent pour contribuer en commun, dans la proportion du nombre d'individus qu'ils y envoyaient, aux dépenses de l'éta blissement qui était précédemment entretenu aux frais de la province. Cette situation se prolongea jusqu'en 1809, où Bellevaux fut déclaré établissement départemental. Le dépôt de mendicité, dans l'esprit du législateur, étail originairement destiné à recevoir et à renfermer les mendiants et les vagabonds; mais il ne tarda pas à élargir le cercle de ses attributions et à se constituer tout à la fois en hôpital, en hospice et même en prison. Rien n'est plus diversifié que la condition des habi

(1) L'abbaye était située à 3 myriamètres de Besançon. Les bâtiments de la rue du Petit-Battant avaient été construits par les soins de Bernard, abbé de cette abbaye. Amodiés d'abord, ils furent achetés un peu plus tard et enfin reconstruits en 1791 sur un plus vaste plan.

tants de Bellevaux et que les motifs de leur séjour dans cette maison. Les mendiants et les vagabonds formaient la majorité parmi cette population bigarrée; mais tandis que beaucoup d'entre eux, arrêtés en flagrant délit de mendicité par les gardes de l'aumône, y étaient conduits par eux d'autorité et maintenus par jugement. plusieurs s'y présentaient d'eux-mêmes et sollicitaient leur admission comme une faveur. On y recevait souvent, pour s'y reposer quelques jours, des ouvriers de passage qui, ne pouvant trouver de l'ouvrage à Besan çon, étaient obligés d'en chercher ailleurs. Beaucoup étaient malades et n'y entraient qu'à raison de leur âge ou des habitudes de mendicité ou de vagabondage que l'autorité voulait réprimer; d'autres, au contraire, étaient malades ou infirmes, et l'on comprenait dans cette catégorie les aliénés, les épileptiques, les aveugles, les sourds, les muets, les galeux, les femmes affectées de maladies contagieuses et les filles enceintes qui n'avaient les moyens ni de se nourrir pendant leur grossesse. ni de se procurer les secours nécessaires à leur état.

Quelquefois Bellevaux ouvrait ses portes hospitalières à des enfants abandonnés, à de pauvres femmes chassées par leur mari et qui ne savaient où trouver un asile; d'autres fois, au contraire, c'était une maison de correction où l'on enfermait pour un temps limité ou même à perpétuité des criminels ou de simples délinquants. Parmi ces derniers, les uns étaient condamnés par simple jugement de bailliage, d'autres par un arrêt de la cour prévòtale, quelques uns enfin étaient renfermés sur de simples lettres de cachet.

J'ai cherché à connaître, sans y réussir, toutes les conditions que devaient présenter les pauvres qui entraient volontairement à Bellevaux; mais je suis porté à croire que les règles qui présidaient à leur admission étaient relâchées ou sévères, suivant la nature des moGifs invoqués à l'appui de la demande et que les considérations de l'ordre moral avaient plus de faveur que les autres. Quelques exemples, en montrant l'esprit du temps, prouveront cette assertion.

Un père de famille, mécontent de son fils âgé de 16 ans, demande qu'on le reçoive correctionnellement à Bellevaux. Sa femme proteste de l'innocence de son fils et se plaint de la brutalité du père. Que faire en cette conjoncture? L'administration reçoit l'enfant, constate sur le registre d'inscription la dissidence des parents, puis elle ajoute⚫ lequel croire, c'est ce que la suite apprendra.»

Un indigent appartenant au culte protestant veut se débarrasser de sa fille qui est sur le point de devenir mére. Pour cela, il demande et il obtient son admission á Bellevaux sous prétexte de la faire instruire dans la religion catholique. Ou trouve plusieurs faits semblables dans les archives; mais il ne parait pas que les conversions qui en ont été la suite aient donné beaucoup de satisfaction. Une de ces filles, entrée volontairement à Bellevaux pour y faire son abjuration, était reprise correc tionnellement quelques mois après, et, après avoir « passé par les verges sur la place d'armes,» elle était renfermée de nouveau pour cause de vol et d'immoralité.

Voilà pour les considérations morales. J'ai dit tout à l'heure qu'elles avaient plus de faveur que les autres: en voici un exemple entre plusieurs.

Un malheureux campagnard demande à faire entrer au dépôt sa fille âgée de 15 ans, infirme et percluse de ses membres. Ayant reçu une réponse négative, il prend le parti de l'exposer sur un peu de paille à la porte de Bellevaux, un jour de foire, dès 5 heures du matin. Ce stratagème qui fait peu d'honneur à la tendresse du père réussit; mais son inscription au registre des entrées porte que ce n'est que le soir que les directeurs de Bellevaux se décidèrent à admettre cette malheureuse enfant « pour apaiser le public et pour ne point l'exposer aux caprices des libertins.

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Pour apaiser le public! Le public avait-il donc une si grande estime pour le régime de l'établissement, et regardait-il comme si heureux les pauvres qu'on voulait bien y admettre? Nullement. Le public est comme les enfants; l'esprit de contradiction fait partie de sa nature, et on le voit toujours faire de l'opposition à l'autorité, quelle qu'elle soit, et à ceux qui sont placés audessus de lui à un titre quelconque. Hier il murmurait; aujourd'hui il va menacer; mais ce sera pour des motifs diametralement opposés.

Ainsi, l'on surprend en flagrant délit de mendicité un vieillard âgé de 75 ans, coupeur de bois de profession, « Il avait sa hache, et lorsque les gardes de l'aumône le conduisirent en cet hôpital, il s'est fait trafner par les rues; en sorte qu'ils ont manqué d'être accablés par la populace qui leur a jeté une grêle de pierres.

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