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DES

SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS

DE BESANÇON.

SÉANCE PUBLIQUE DU 29 JANVIER 1859.

Président annuel M. TRIPARD.

DISCOURS DE M. LE PRÉSIDENT.

MESSIEURS,

Vous aimez la science, vous la cultivez et vous tendez toujours une main fraternelle à la jeunesse qui s'inspire de vos exemples et veut suivre vos traces. C'est ainsi que vous avez fait, lorsque vous m'avez appelé au milieu de vous. Honneur oblige; il me restait à justifier, autant qu'il était en moi, un choix si inattendu, et je suis venu déposer à vos pieds une œuvre de cœur plus que d'intelligence. J'espérais pouvoir acquitter ainsi une partie de ma dette de reconnaissance, mais voici que vous m'en imposez une plus étendue, en m'appelant à l'honneur

de vous présider. Si mes forces sont insuffisantes, le cœur du moins ne me manquera pas.

L'homme tend à s'élever de l'imparfait au parfait ; c'est son aspiration la plus vive et en même temps la plus durable. Cette tendance de notre esprit, est ce que nous appelons le progrès. Le progrès dans son sens général embrasse tout ce qui tend à développer l'intelligence des individus et des peuples, à élever l'humanité au double point de vue du bien physique et du bien moral.

Les découvertes des sciences exactes qui tendent plus particulièrement au développement du bien physique, se succédent avec une rapidité et une constance qui étonnent les savants eux-mêmes. On dirait que dans la matière se trouve le champ de l'infini. Ce progrès inespéré attire de ce côté toutes les intelligences et l'on ne trouve plus que de rares penseurs restés fidèles à la science du bien moral. Et encore les voyons-nous souvent fléchir eux-mêmes sous l'influence des sciences naturelles et disposés à laisser prédominer le bien physique sur le bien moral. Il résulte de ces faits què les sciences morales qui devraient marcher en tête, ne peuvent pas même aller de front avec les sciences naturelles. Elles se trafnent timidement sur leurs pas, et l'on dirait qu'elles marchent en sens inverse des lois générales du progrès. Tels, à la suite d'une vaillante armée, on voit les invalides couvrir les routes en groupes espacés, botteux et impuissants.

La décadance de la philosophie, voilà le grand fait que nous voudrions rendre sensible, en vous montrant sa marche, dès le dix-septième siècle jusqu'à nos jours,

dans la première question qui les résume toutes, celle de la nature et de l'essence de Dieu.

Selon que l'idée de Dieu se forme dans notre esprit, nous voyons le reste des choses sous l'influence de cette idéemère qui est comme le prisme à travers lequel nous éludions la lumière. Tout en effet part de cette idée et y remonte, tout s'y rattache, parce que cette idée est le centre de notre intelligence, comme Dieu est le centre du monde.

C'est cette idée qui inspire l'artiste lorsqu'il cherche l'idéal qui répond le mieux aux lois de l'harmonie, de la convenance et de la beauté. Il entrevoit le parfait et s'efforce de le réaliser. S'il atteint ce but, il a marqué son œuvre du sceau du génie et les peuples le saluent, parce qu'il a fait vivre dans sa plus noble expression un sentiment qui sommeillait dans la conscience du genre humain. Toute œuvre a son idéal, comme aussi tout homme est en germe un artiste qui se développe en s'appliquant à faire de sa conscience un chef-d'œuvre. C'est là qu'il faut d'abord graver son idéal, afin qu'il se réfléchisse au dehors et se reconnaisse dans tous les actes de la vie. Les peuples, l'humanité ont aussi leur idéal. c'est le but vers lequel ils doivent tendre et s'il est noble et élevé, chaque pas vers ce but marquera un progrès. Mais pour tous quel est cet idéal? C'est le parfait conçu dans son sens le plus absolu, c'est Dieu même. Dieu est donc le modèle éternel proposé à l'humanité par cette antique leçon : Faisons l'homme à notre image (1). L'idéal se trouve ainsi l'élément le plus sérieux

(1) Gen. I, 26.

de la vie et une exacte notion de Dieu, le principe le plus essentiel au développement des sociétés. C'est ce que nous apprend l'histoire. Nous y voyons la notion de Dieu influer sur la marche des sociétés et les sociétés réagir sur la notion de Dieu, s'élever ou s'abaisser, selon qu'elles se forment sur l'exemplaire divin, ou se façonnent un dieu selon leur propre image.

De toutes les inventions humaines, il n'en est point qui ait produit sur le monde moral un aussi grand ébranlement que la découverte de l'imprimerie. Les trésors des connaissances humaines renfermés dans les couvents pour l'usage exclusif de quelques penseurs solitaires furent tout à coup jetés sur la place publique et livrés à une population avide de science. En même temps que les armes de guerre se transformaient par l'invention de la poudre, des armes plus meurtrières pour les esprits inexpérimentés, celles des idées et des livres boulversaient toute l'Europe et en faisaient un vaste champ de bataille. A l'unité de pensée succédait la pensée individuelle soulevée, arrogante et pleine de ressen timents. L'Europe se fractionne en une multitude de petites souverainetés hostiles. L'anarchie est partout, dans les idées et dans les faits.

La papauté, si longtemps directrice des idées et modératrice des pouvoirs publics n'est plus écoutée. Aucune voix assez puissante ne peut s'élever pour dominer l'anarchie. Quelle autorité opposer à ces sociétés soulevées qui protestent contre toute autorité? Pour se faire écouter, il faut retrouver un lien commun de pensée, une puissance reconnue par tous, à l'aide de laquelle on

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