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PIÈCES DE VERS

Par M. VIANCIN.

LES DEUX CHIENS D'UN GRAND POÈTE.

Lord Byron, l'illustre poëte,

Moderne gloire d'Albion,

Avait dans son château deux chiens dont l'union
Se montra constamment parfaite.
Leur mutuel attachement
Etait d'autant plus remarquable

Que rien entre eux n'était semblable,
Non d'instinct, mais physiquement.
L'un était fort petit, l'autre de grande espèce.
Celui-ci, pour son compagnon,

Loin d'être méchant et grognon,
Lai témoignait souvent la plus vive tendresse,
Tandis que parmi nous les grands pour les petits
N'ont fréquemment que du mépris.
Chez un fermier du voisinage
Le roquet, par malheur, un jour
S'avisa d'aller faire un tour.

Il rencontra sur son passage
Un Cerbère de basse-cour

Qui se rua sur lui, le mordit avec rage
Et mit en état fort piteux

Ce promeneur malencontreux.
Le pauvre petit chien couvert de meurtrissures,
Dès qu'il fut délivré d'un ennemi cruel,
Revint clopin clopant au logis fraternel.
Son Oreste aussitôt lui lècha ses blessures.

Pendant qu'il le pansait ainsi bien doucement,
Il paraît que dans son langage]

Le Pylade plaintif lui contait clairement
Tous les détails de son voyage,
Et lui signalait le bourreau
Qui venait de faire à sa peau
Un si déplorable dommage.

Peu de moments après son ami soucieux,
Méditant gravement ce qu'il avait à faire,
Fit signe à son chétif confrère

De l'accompagner de son mieux

Du côté de la ferme où rôdait le Cerbère.
Et les voilà partis. Bientôt l'on arriva

Et celui qu'on cherchait tout d'abord se trouva.
Le nouveau champion, transporté de colère,
Se jeta sur le dogue avec tant de fureur

Qu'il le broya de tout son cœur,
Lui fit par tout le corps entaille sur entaille,
Et lui-même blessé, tout sanglant, mais vainqueur,
Le laissa pantelant sur le champ de bataille.
Après quoi nos amis joyeux,

Bien qu'un peu marchant avec peine,
S'en revinrent dans leur domaine
Savourer le plaisir des dieux.

Fatigué mais content de sa noble victoire,
Le généreux triomphateur

Bientôt ferma les yeux et rêva de sa gloire
Dans un sommeil réparateur.

Qui sait si lord Byron, de ce vengeur modèle,
En des songes plus beaux, ne se souvenait pas,
Quand frappé d'une lutte à la Grèce mortelle,
Pour la Grèce il armait son bras,
Et tombait loin de sa patrie

Parmi les opprimés qu'il voulait secourir,
Tandis que dans leur apathie

S'endormaient tant de rois qui les laissaient périr?

Bien légitime est la vengeance
Quand sur des oppresseurs éclate son courroux.
Le soin d'en diriger les coups
Est un devoir de la puissance;
Et dans leurs suprêmes efforts
Sous les pieds de la tyrannie,

Tous les faibles lutteurs, dignes de sympathie,
Ont le droit de compter sur le secours des forts.

UNE ILLUSION D'INSECTES,

FABLE.

Tout roi qu'il est de la nature, L'homme est dupe souvent d'un mirage trompeur : Ainsi peut bien tomber dans une grande erreur Plus d'une infime créature.

Des vaches et des bœufs, réunis en troupeau,
Parcouraient au soleil leur pacage ordinaire,
Pendant qu'avidement s'attachait à leur peau
D'insectes affamés un peuple sanguinaire.

On comprend que je veux parler
De ces taons aux corps plats, à vilaines figures,
Qui ne cessent de harceler

De pauvres animaux criblés de leurs piqures.
Leurs yeux fort clairvoyants aperçurent non loin
Un grand nombre de chars tous rangés à la file
Que l'on préparait avec soin

A leur prochain départ du faubourg d'une ville.
Ils conclurent de ces travaux
Qu'on allait de tant d'équipages
Organiser les attelages

Par un régiment de chevaux.

<< Quelle aubaine! Quelle bombance !

>> C'est là que nous allons trouver de quoi sucer,
» Se dirent-ils; volons! » Aussitôt on s'élance,
Et d'abord sur les chars on trouve à se placer.

Mais de la chose présumée

Rien ne paraît, n'arrive;

on ne voit en avant

Qu'une épaisse et longue fumée

Qui tourbillonne au gré du vent;

Puis, à certain signal, et sans coursiers ni rosses,
Voilà que tout-à-coup roulent tous les carrosses :
C'était le premier train pour un nombreux transport
Du chemin de fer sur Belfort.

Qui fut bien attrappé? Nos mouches dévorantes.
Une d'entre elles dit : « Mais un si grand convoi
>> Renferme bel et bien des bêtes différentes ;

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>> Nous pourrions... Que dis-tu, s'écrie avec effroi >> Un autre taon des moins farouches,

>> Dans ces rangs, à coup sûr, sont force gobe-mouches » Qui certes nous feraient un fort mauvais parti, » Et tu verrais si j'ai menti. >>

Là-dessus, rengainant leurs dards sous leurs moustaches, Les vampires désappointés,

A coups d'ailes précipités,

S'en retournèrent à leurs vaches,

Comme d'autres sujets, pour de bonnes raisons,
Reviennent quelquefois bien vite à leurs moutons.

Défiez-vous des apparences,

Et n'allez pas pour l'incertain

Quitter, en vous berçant de vaines espérances,
Le bien qu'un sort modeste a mis sous votre main.
La fortune et la renommée

Que l'on poursuit à la vapeur,

Pour tout fruit d'une folle ardeur,
Souvent ne donnent que fumée.

DONT L'ACADÉMIE A VOTÉ L'IMPRESSION.

ÉPIGRAMMES

Par le baron CHARLES DE SAINT-JUAN.

A UN JEUNE FAT.

Brillant conteur de bagatelles,
Papillon privilégié,

Vous voulez oublier les belles;
N'en seriez-vous point oublié ?

SUR Mme DE

Au milieu d'un sot auditoire
Que son pédantisme séduit,
Chloé pense atteindre à la gloire,
Mais toujours la gloire la fuit.

Si Marc, des beaux esprits l'élite,
Vous semble un sceptique entêté,
Du moins, il n'a jamais douté
De la valeur de son mérite.

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