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et l'Eglise; nos vieux chevaliers qui reviennent de la croisade, couverts des blessures du héros et des coquilles du pèlerin; et le dernier des Chalon, le dernier des preux, mourant au fond de l'Etrurie, parce qu'il préfère à l'orgueil de continuer sa race la gloire de la terminer sans qu'elle ait jamais reculé devant l'ennemi. Les jours qui suivent ont aussi leur poésie et leur grandeur. Après Charles-le-Téméraire et Louis XI, dont l'inimitié fut si fatale à notre repos, viennent Charles-Quint el Philippe II, qui aiment la Comté, Granvelle qui l'embellit, Brun et Gatinara qui la représentent dans les cours, Chiflet qui chante ses annales en croyant les retracer. La surprise de Besançon et la guerre de dix ans, les deux campagnes de Louis XIV, la défense de Faucogney, l'héroïsme des habitants d'Arcey, qui s'ensevelissent, plutôt que de se rendre, sous leur église en ruines; les travaux de Vauban, la fondation de nos séminaires et de nos hospices, sont autant de sujets qui feront couler dans l'ode, dans l'épopéé, dans l'élégie, la source des beaux vers. Que les inspirations du présent viennent disputer le prix aux inspirations du passé. C'est le même dévouement, c'est la même gloire qu'elles salueront encore en suivant nos soldats sur les champs de bataille du XIXe siècle, nos colons dans les plaines de l'Algérie, nos martyrs sur les échafauds de la révolution, nos missionnaires sur les mers lointaines des GrandesIndes. Voilà, Messieurs, les sujets que vous aimez, parce qu'ils rallient tous les suffrages et qu'ils trouvent de l'écho dans tous les cœurs.

Cependant, quelques lauriers que la poésie nous pro

mette, l'académie, fidèle à la mission qu'elle a reçue, met encore au-dessus de tout le reste les recherches de l'érudition locale. Nous ne saurions oublier que notre histoire presque tout entière est sortie de nos concours, et que c'est par eux que nous espérons la rectifier, l'étendre, la compléter. Nous appelons à cette œuvre tous ceux qui aiment à fouiller la nuit des âges et le sol de leur patrie. Ils se persuadent trop peut-être qu'il ne reste plus rien à dire. C'est une erreur: Port-sur-Saône, Gy, Champlitte, Quingey, Rougemont, Villersexel, Jussey, attendent encore un historien. Les annales d'Acey, de Bithaine, de Balerne, de Buillon, du prieuré de SaintMarcel et des deux Vaucluse, peuvent fournir matière à d'utiles travaux ; mais on s'inspirera mieux encore aux archives de Saint-Paul et de Saint-Vincent, ces deux monastères dont le rôle fut si grand et dont les titres sont si nombreux, ou bien dans la célèbre abbatiale de Baumeles-Moines, si curieuse à décrire et si digne d'être relevée de ses ruines. Que de maisons féodales, que de grandes familles qui méritent non-seulement une généalogie, mais une histoire! Je vois à leur tête les de Vienne et les Chalon, qui ont, pendant quatre cents ans, rempli de leur nom, de leur influence et de leurs exploits, la Comté, la France, l'Europe entière. Les sires de Montmartin, de Pesmes, d'Oiselay, de Cicon, leur cèdent en illustration, mais non pas en ancienneté. Quel intérêt ne s'attacherait pas aux deux maisons de la Roche, l'une qui n'a quitté les bords de l'Ognon que pour s'établir en Orient et y posséder le duché d'Athènes ; l'autre qui, en revenant des croisades, toute chargée de saintes reliques,

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continua à habiter les bords du Dessoubre et à dominer dans nos montagnes. Ces sujets nous sont presque inconnus, mais nous savons qu'on les étudierait avec succès, le premier dans la bibliothèque des croisades, dans les archives de la maison de Berbis et du château de Villersexel; le second dans les papiers du comté de Montbéliard, mis en ordre par M. Duvernoy, et partagés entre les grands dépôts de Besançon, de Vesoul et de Paris. Veut-on raconter à la fois de beaux faits d'armes, de grandes ambassades, de longues influences, qu'on étudie les Poupet et les de Rye, qui tinrent au XVIe siècle une si grande place dans l'histoire; les Vaudrey, les Toulongeon, les Carondelet, qui leur disputaient alors le premier rang et qui le gardèrent encore dans l'âge suivant; les sires de Montjoie, princes de l'empire; les sires de Faucogney, dont les titres existent encore aux archives de Dijon ; les sires de Granges, dont on retrouve le sang et les domaines chez les Grammont, illustrés d'ailleurs par tant de vertus. Je signale aussi les maisons de Moustier et de Lallemand, célèbres par leurs alliances et par leurs dignités; la maison de Marmier, héritière de celle de Ray; la maison de Scey, la plus ancienne de toutes, la plus riche en documents, et qui lirait encore aux archives de Quingey une partie de son histoire, mêlée à celle de l'abbaye de Buillon. Ajoutez à ces monographies une foule de sujets d'un intérêt plus général. Vous accueilleriez avec faveur des études nouvelles sur les tombeaux et sur les villes de l'époque romaine, sur notre parlement et sur nos bailliages, sur les chapitres de StJean, de Saint-Etienne, de Sainte-Madeleine et de Saint

Anatoile. L'histoire du défrichement de nos montagnes serait pleine d'enseignements pour l'agriculture; celle de nos églises et de nos monuments religieux, pleine de détails curieux pour l'architecture, la liturgie et la piété.

L'histoire, pensive et recueillie, regarde en arrière ; l'économie politique, jeune, ardente, un peu inquiète, voit en avant. Vous lui avez donné une place dans vos concours et vous lui soumettez des problèmes qui ont toujours un grand retentissement dans le monde. Dans votre amour pour le vrai progrès, vous voulez que les penseurs se rencontrent et s'expliquent devant vous sur les intérêts généraux de l'humanité. Vous modérez l'impatience autant que vous réprouvez la routine. Vous montrerez la même sagesse, en proposant de rechercher les conditions du véritable esprit d'association, la même noblesse de sentiments, en mettant au concours la question de la foi dans ses rapports avec l'état des âmes au XIX* siècle, ou celle des impressions que les grands spectacles de la nature doivent fournir à notre époque; la même largeur de vues, en demandant comment les relations internationales seront modifiées par les intérêts économiques. La centralisation, administrative, ses causes, ses excès, ses remèdes, offrent aussi la matière d'un grand problème. Il ne sera pas moins utile de déterminer jusqu'à quel point nos révolutions ont transformé l'esprit et le caractère franc-comtois, ce que nous en avons perdu et ce qui nous en reste encore. Les développements et l'influence de l'horlogerie attirent tous les regards; c'est à vous de constater l'importance de celte industrie et de réunir les éléments d'une enquête

sérieuse et profitable. Il est une haute question qui sol. licitera tôt ou tard l'attention des plus habiles. En comparant les naissances aux décès, et les richesses croissantes du sol à la diminution progressive des familles, Vous serez peut-être effrayés à l'aspect de la dépopulation qui commence et de la solitude qui se fera un jour devant nous. Mais où la science se trouble et ne voit qu'un abîme, la morale signale une grande prévarication et la religion un grand remède. Votre voix s'élèvera encore pour venger l'honneur du foyer, rappeler les vertus sociales et domestiques, protéger et faire fleurir les bonnes

mœurs.

Non, malgré la redoutable rivalité des intérêts malériels, les travaux de l'esprit ne descendront pas chez nous du haut rang où vous les avez placés. Que la Franche-Comté dispute aux contrées voisines l'empire des arts utiles qui servent l'humanité; mais que l'académie conserve le sceptre des arts de l'intelligence, qui nous élèvent, nous charment et nous consolent. L'industrie et le commerce occupent dans nos préoccupations une place plus considérable qu'ils ne l'avaient jamais eue; loin de nous en troubler, bénissons-en la Providence. Espérons que la vie intellectuelle, morale, religieuse des Franc-Comtois, n'en dominera pas moins leur vie matérielle, et que, loin d'en être écrasée ou flétrie, elle en sera agrandie et ornée. En parcourant la voie de fer que la main de nos ingénieurs a suspendue et découpée avec tant de hardiesse aux flancs des rochers du Doubs, on voit, permettez moi de le dire, comme une image de cette noble espérance. Le voyageur avait

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