Page images
PDF
EPUB

DISCOURS DE RÉCEPTION

DE M. LE MARQUIS TERRIER DE LORAY.

MESSIEURS,

Vos suffrages ne m'ont pas abusé. Ils ont été pour moi la preuve d'une bienveillance dont je sens tout le prix; ils ne m'ont point fait illusion sur l'insuffisance des titres qui eussent pu la justifier. Qu'y avait-il entre vous et moi, Messieurs? Qu'y avait-il entre cette Académie, dont le suffrage est justement regardé comme la récompense des succès littéraires ou scientifiques, et l'élu qui vient à vous, sans autre témoignage que votre indulgence même ? Une seule considération a pu déterminer votre choix. Vous vous êtes rappelé que, dans la pensée qui les institua, ces sociétés savantes devaient être une réunion de gens de lettres et de gens du monde; une sorte de terrain commun où les hommes d'affaires, comme les hommes de loisir pussent, dans un commerce utile, recevoir des littérateurs des préceptes et des lumières, sans paraître en recevoir des leçons. Vous avez voulu obéir à ce vou, et, par une distinction dont je suis profondément reconnaissant, vous m'avez appelé à prendre place parmi vous.

Cette fidélité à vos traditions a été de votre part toute désintéressée. Vous n'ignorez pas que, depuis le jour de

votre institution, le sens attaché à la qualification d'homme du monde a bien changé. Alors, ce titre était le privilège d'un petit nombre et supposait une situation sociale, une autorité, je ne sais quel crédit dont on a, sans doute, reconnu l'abus. Aujourd'hui, en se généralisant, il a singulièrement perdu de sa valeur. Aujourd'hui, il n'y a plus de priviléges ni d'abus. Le mérite seul a des droits, et si, par hasard, on les oublie, le mérite, qui s'oublie rarement de nos jours, sait les faire valoir avec une jalouse opiniâtreté. Quelle place est donc laissée à l'homme du monde dans notre société? Dépouillé de son prestige, abandonné au soin de ses affaires domestiques, perdu dans la foule, l'homme du monde n'est plus rien, ou, du moins, il ne serait rien, si vous ne daigniez quelquefois en faire un académicien.

Je me trompe, Messieurs. Hors du cercle des littérateurs et des savants où vous cherchez ordinairement vos élus, vous avez su, plus d'une fois, discerner un autre mérite; vous avez su honorer, par votre choix, l'homme de bien, le caractère élevé, le magistrat dévoué, et c'est ce que fit, à une autre époque, l'Académie de Besançon, en s'associant celui dont je viens vous entretenir aujourd'hui. M. de Santans, Messieurs, depuis longtemps déjà, a disparu d'au milieu de vous. Mais il m'a semblé qu'ayant, je n'en saurais douter, recueilli comme le bénéfice du souvenir qu'il a laissé, je serais ingrat en ne payant pas à sa mémoire le tribut auquel il a droit. Et puis, vous ne l'avez pas oublié, il y a peu d'années encore, bien des circonstances eussent rendu prématurée la tâche que je tente d'accomplir en ce moment. Car,

telle est la condition de notre renommée ici-bas! aussi longtemps que nous vivons, et après nous encore, les passions, les intérêts divers, les mobilités de l'opinion défient, en quelque sorte, l'impartialité, et, bien souvent, le temps de l'équité ne vient pour nous que lorsque notre mémoire est presque effacée parmi les hommes.

M. le marquis de Terrier-Santans naquit peu d'années avant la Révolution. Bien jeune encore, il émigra lorsque l'émigration avait cessé d'être une mode pour devenir un péril, et quand la voix des princes, rendue plus impérieuse par l'exil et par le malheur, en semblait faire un devoir à un grand nombre de Français. Aussi bien, les événements qui suivirent et les calamités qui s'accumulèrent sur la patrie ne parurent, que trop bien justifier sa résolution. La France était devenue méconnaissable, et il put dire, comme un autre banni:

Je n'appelle plus Rome un enclos de murailles
Que vos proscriptions comblent de funérailles.....

M. de Santans appartint toujours à la portion active de l'émigration. En quittant la France, il avait cherché non un asile, mais un drapeau, et, toujours rappelé vers les lieux de ses affections, sur la terre étrangère il ne voulut jamais habiter qu'une tente. Cependant, il dut la planter dans bien des lieux, et la replier bien des fois, avant de retrouver le toit de son enfance que, dans ses illusions d'exilé, il avait espéré revoir chaque jour. Enfin, des temps meilleurs apparurent et il se hâta d'en profiter, dès que la dissolution du corps de Condé l'eut laissé sans patrie au dehors et que le rappel des émigrés lui en rendit une au dedans.

En revenant en France, M. de Santans ne trouvait autour de lui que des ruines. Les cendres de son foyer étaient dispersées, sa famille était décimée, son patrimoine était anéanti. Nul plus que lui n'aurait pu accuser les rigueurs de la Révolution et garder à sa patrie de ces rancunes chagrines dont les âmes même les plus élevées ont tant de peine à se défendre. Nous croyons pouvoir affirmer que jamais sentiment semblable ne trouva accès dans la sienne. Jamais, j'en prends à témoins ceux qui l'ont connu, on ne l'entendit porter sur les hommes qui ne partageaient pas ses opinions, ces jugements amers et passionnés que semblent légitimer les malheurs civils, et qui les perpétuent. Cependant, les plaies de la France étaient encore bien vives et les cœurs bien ulcérés. Beaucoup d'esprits prévenus se défiaient de ces proscrits redevenus citoyens et se montraient enclins à leur impuler à crime l'exil qu'ils avaient subi. Funeste effet des déchirements intérieurs! On consent à oublier les maux qu'on a soufferts; on ne peut oublier encore ceux qu'on a fait souffrir, et le ressouvenir des violences exercées devient un mal nouveau plus incurable que ces violences mêmes. De là ces malaises éternels et ces lentes convalescences des peuples tombés en révolution, qui feraient douter de leur guérison, si quelque chose pouvait résister à l'action du temps et tromper les grands desseins de la Providence sur les nations.

M. de Santans était, plus que tout autre, propre à contribuer à une conciliation à la fois si difficile et si désirable. Ses qualités généreuses, son caractère loyal, ses mœurs pleines d'ouverture et d'urbanité, lui atti

raient naturellement les sympathies de tous. Rentré inconnu dans son pays, comme on doit l'être après douze ans d'absence, il ne tarda pas à conquérir un grand nombre d'amis et, malgré la notoriété de ses antécédents, il fut, en 1808, appelé à exercer un commandement dans la garde nationale. Il vit là une occasion nouvelle de se rapprocher de ses concitoyens, et accepta le poste modeste qui lui était offert.

Le retour des Bourbons donnait à M. de Santans la possibilité, je dirai même une sorte de droit de prendre part aux affaires publiques, dont il était resté jusqu'alors éloigné. Toutefois, ce n'est pas ce qu'il y vit. La Restauration apportait à la France la paix dont elle avait un si pressant besoin ; à lui le gouvernement de ses espérances et de ses affections, il n'y chercha rien autre. Suffisamment récompensé dans ses sentiments de loyauté par le retour de ses rois, il ne se demanda point si le moment n'était pas venu d'être indemnisé, dans ses intérêts et dans son ambition, des longs et lourds sacrifices qu'il avait supportés. Un caractère modeste, une grande défiance de lui-même l'eussent d'ailleurs arrêté sur le chemin des sollicitations qu'il ne suivit jamais, et il laissa passer, en s'étonnant un peu et se félicitant plus encore de leur nombre, la foule de ceux qui faisaient valoir d'anciens services, et plusieurs même qui cherchaient à faire oublier les services rendus à une autre cause. D'ailleurs, les débuts du nouveau gouvernement répondaient faiblement à sa manière de voir. On a souvent taxé d'imprudence et d'impéritie le parti monarchique de 1815, qui avait pour publicistes les Château

« PreviousContinue »