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» Et chez vous on trangresse un précepte divin, >> Lorsqu'on immole son prochain;

>> Vous tuez quelquefois d'un trait de calomnie,
> Jamais je ne me livre à cette ignominie.
» La rapine, il est vrai, m'inspire un grand amour,
» Mais j'ose seulement la pratiquer dans l'ombre,
>> Tandis que d'entre vous grand nombre
» Savent impunément rapiner en plein jour.
» Laissez-moi donc tranquille et selon ma nature,
> Employant à mon gré mes nuits et mes soleils,
>> De mon mieux chercher ma pâture,
>> Et moralisez vos pareils. >>

Cette fois Cicéron, de son digne adversaire
Ne fut pas le vainqueur. Il préféra se taire
Que d'essayer de raisonner;

Et presque rival de la fouine

Il s'en alla tuer, non loin de sa cuisine,
Des oiseaux pour son déjeuner.

LA MÉNAGERIE

« Venez, me disait l'autre jour,
>> En passant, une jeune amie,
» Venez donc voir à votre tour
» La nouvelle ménagerie. »
En riant je lui répondis
Peut-être des impertinences;
Ecoutez ce que je lui dis,
Et pardonnez à mes licences.

C'est un singulier agrément Que votre bouche me propose : Voir des bêtes! Moi? Non vraiment, Et vous en comprendrez la cause. Loin d'elles m'emportent mes goûts, Vous le savez; il en est même Dont l'aspect, soit dit entre nous, Me cause un déplaisir extrême.

Des bêtes !

- j'en vois tous les jours
Qui sont d'un poil plus ou moins rude.
Je connais entre autres des ours
Assez mal léchés d'habitude.

Des singes le nombre est si grand,
Si serré d'étage en étage,

Que du premier au dernier rang
On n'en saurait voir davantage.

Partout sont des caméléons
D'une peau qui tient du miracle.
Des lionnes et des lions,

J'en puis distinguer au spectacle.
Souvent mes yeux sont étonnés,
Dans mes rencontres ordinaires,
De voir comment sont façonnés
Les chameaux et les dromadaires.
D'entendre plus d'un perroquet
Je suis fréquemment à portée,
Et de leur ennuyeux caquet
Mon oreille est très-peu flattée.
Le vautour devient fort commun,
Et sans parcourir grand espace,
Je pourrais en citer plus d'un
Signalant son instinct rapace.

J'ai pour tous les tigres royaux Une invincible antipathie;

De bien d'autres laids animaux

J'entrevois la griffe amortie.
Certains ivrognes bourgeonnés,
Dont j'entends les discours barbares,
Ont plus de cornes sur le nez
Qu'un rhinocéros des plus rares.
Ne me parlez pas des serpents,
De quelque nom qu'on les décore;
Je hais les animaux rampants
Plus que tous les autres encore.
Je me sens frissonner près d'eux
Rien qu'à l'aspect de leur souplesse,
Et j'en sais de plus venimeux
Que ceux de la plus grande espèce.
Excusez donc, ma chère enfant,

Ma résistance et mon langage;
Je ne pourrais qu'à l'éléphant
Offrir quelque peu mon hommage:
En lui du moins on voit s'unir
A la force l'intelligence.
On n'a pas toujours ce plaisir
Au milieu de l'humaine engeance.

TOUT DÉGÉNÈRE.

Je regrette beaucoup dans ce moment, Messieurs, que les graves statuts de l'Académie ne permettent pas de chanter dans ses assemblées. S'il en était autrement, les couplets que je vais avoir l'honneur de vous lire, pour terminer cette séance, y gagneraient peut-être quelque chose, car vous le savez ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante.

Tout dégénère, mes amis ;

C'est le refrain d'une grand'mère ;
En dire autant est bien permis
Au barbon devenu grand-père.
Mais... est-ce bien la vérité ?

Oui :

depuis la pomme de terre

Jusqu'aux fleurs de l'humanité,
A mon avis, tout dégénère.

Quel air flétrit nos cerisiers?
Pourquoi ces pampres en souffrance?
Ne verrons-nous que les lauriers
Demeurer verdoyants en France?
Mais c'est un arbuste divin

Qui n'abreuve et ne nourrit guère,
Et quand on n'a ni fruits, ni vin,
On sent trop que tout dégénère.

Je m'étonne que nos soldats,
Emules de nos vieilles gloires,
Soient si vaillants dans les combats
Et remportent tant de victoires.

Certains conscrits des mieux armés
Me semblent peu faits pour la guerre,
Et grand nombre sont réformés,
Tant, chez nos fils, tout dégénère.

Ecoliers, nous prenions plaisir
A la paume, à la course, aux barres;
Maintenant pour se divertir,
Nos gamins brûlent des cigares.
Une autre fumée, à son tour,
Etourdit leur tête légère :

Avant la barbe vient l'amour,
Mais dans l'amour tout dégénère.

Ce n'est plus ce vrai sentiment
Dont l'empire agrandissait l'âme.
On poursuit impertinemment
Ou jeune fille ou jeune femme,
Ou sur le plus fangeux terrain
On court de chimère en chimère,
Et dans la débauche sans frein
Le cœur, les sens, tout dégénère.
Parlons un peu de la beauté :
Promptement se fanent ses roses;
Une savante Faculté

Sur ce point dirait bien des choses.
Si je les répétais ici,

On prétendrait que j'exagère;
Il n'en est pas moins vrai qu'aussi
Dans le sexe tout dégénère.

On s'étouffe dans un corset
Et l'on s'évente en crinoline.
On se mord la lèvre en secret,
Pour se la rendre purpurine.

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